vendredi 28 septembre 2018

« Roger Nimier – masculin, singulier, pluriel » (A. Cresciucci)

La postérité est un tribunal volage. De certains écrivains, hormis à l’occasion de quelques anniversaires ou commémorations propices à les faire momentanément redécouvrir, elle ne retient que quelques bribes de légende. Surnageront quelques anecdotes pittoresques, quelques citations approximatives, quelques soupirs d’admiration ou quelques engouements suscités pour des raisons hasardeuses – politiques notamment. Tous ces éléments inciteront à la paresse : on croira tout savoir d’un écrivain sur ces bases, ou du moins suffisamment pour se contenter de le vénérer formellement ou de le mépriser, voire de le détester. Si l’écrivain est mort prématurément (morceau supplémentaire de légende), son souvenir même risquera de s’effacer lorsque ses derniers contemporains auront fini de disparaître.
Dans bien des cas, ce n’est pas grave. Mais dans celui d’un écrivain de la taille de Roger Nimier, ce serait plus que regrettable. Les clans amicaux se clairsemant sous l’effet du temps, restent la critique et l’histoire littéraires.
Dans ce dernier domaine, l’université est bien silencieuse. Comme ses confrères « hussards », Nimier n’est guère un objet d’étude. Trop classique ? Trop « de droite » ? Trop farceur ?
Il serait cependant injuste de ne pas citer le nom de Marc Dambre, lequel depuis une trentaine d’années, outre le biographe de Nimier[i] , s’est fait l’éditeur de nombreux recueils posthumes de ses textes et le maître d’œuvre d’un « cahier de l’Herne » paru pour le cinquantenaire de sa mort. Au point, diront certains, de s’être institué gardien du temple.
Alain Cresciucci, qui vient lui aussi du monde universitaire, a décidé d’ouvrir les fenêtres dudit temple. Avec Roger Nimier – masculin, singulier, pluriel[ii], il nous invite à redécouvrir Nimier : l’homme, certes, mais surtout l’œuvre, sans oublier le personnage ou plutôt les personnages, avant de s’interroger sur sa postérité. On pourrait dire de cet essai qu’il vient compléter un cycle entamé en 2011 dans Les désenchantés et poursuivi en 2014 dans Jacques Laurent à l’œuvre puis en 2016 dans Le monde (imaginaire)d’Antoine Blondin. Ledit cycle avait d’ailleurs été précédé d’une biographie d’Antoine Blondin[iii], parue en 2004.
L’essai dont il est question ici n’est pas à proprement parler biographique. Il propose une lecture thématique de l’œuvre aux multiples facettes d’un écrivain dont « on eût dit qu’il passait en foule », comme l’écrivit de lui Alexandre Vialatte. Ce sont tour à tour l’œuvre romanesque et critique de Nimier, mais aussi son travail cinématographique et éditorial qui nous sont exposés ici, sans oublier ses incursions dans le domaine de la politique et de la morale (dans Le grand d’Espagne, par exemple) ou même de la philosophie (les moins concluantes, semble-t-il). On regrettera toutefois l’absence d’une étude spécifique du style de Nimier.
Il en ressort, hormis les quelques facilités, provocations ou travaux alimentaires auxquelles Nimier put de temps à autre se livrer, un point commun entre tous ces domaines : l’exigence, à commencer par celle envers soi-même. Ce trait, moins tragique, moins romantique qu’on ne sait quelle lassitude courant vers la mort aux couleurs de « l’écurie fatalité » (pour paraphraser un Antoine Blondin déjà révolté en 1962 contre ce genre de billevesées), pourrait expliquer bien des choses, à commencer par le fameux « silence romanesque » qui frappa Nimier pendant neuf ans.
Ni hymne à l’extravagance pourfendant l’ennui sartrien ni dénigrement d’un écrivain trop « léger » pour retenir l’attention, ni non plus méditation – tout aussi facile – sur le désespoir habillé de fantaisie et traqué au volant d’une voiture de sport[iv], l’essai d’Alain Cresciucci paraît un guide à conseiller à qui voudrait découvrir Nimier plus de cinquante ans après sa mort.
Et la postérité ? « Nous en reparlerons dans un siècle ou deux », conclut Alain Cresciucci. Volontiers, mais autant (re)commencer dès maintenant.


[i] Son Roger Nimier, hussard du demi-siècle était à l’origine une thèse.
[ii] Paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
[iii] Etant donné le sous-titre des Désenchantés (« Blondin, Déon, Laurent, Nimier »), verrons-nous paraître pour réellement clore ce cycle un Déon par Alain Cresciucci ? Ce serait sans doute intéressant.
[iv] Avec si possible une belle passagère pour mourir à cent cinquante à l’heure une nuit…

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