vendredi 6 avril 2018

L’Eglise de M. Tincq

Il est un phénomène saisonnier qui, selon nos sensibilités, nous amusera, nous irritera, nous emplira d’espérance ou nous laissera perplexes. C’est l’intérêt que portent subitement les gros journaux à l’Eglise catholique au moment des grandes fêtes chrétiennes que sont Pâques et Noël. En général, nos amis les journalistes trouvent toujours quelqu’un à interroger, de préférence quelqu’un qui soit réputé compétent en ce domaine. Sage précaution, a priori, s’ils veulent s’assurer d’avoir quelque chose de pertinent à écrire. Cette année, le jour de Pâques, le site du Point faisait paraître un entretien avec M. Henri Tincq, qui fut jadis chroniqueur religieux au Monde[i].
N’allons pas imaginer que ce choix ait été motivé par le fait que cette année le dimanche de Pâques tombait un 1er avril. Ce serait manquer de charité envers M. Tincq. Tout simplement, l’intéressé vient de faire paraître un essai intitulé La Grande Peur des catholiques de France. Or, sans avoir lu cet ouvrage, le moins que je puisse dire après la lecture de cet entretien (où l’on apprend que M. Tincq « s’inquiète d’une dérive identitaire et réactionnaire au sein des fidèles ») est qu’il m’a quelque peu dérouté.
Passons sur ce que cet entretien a de décousu, répétitif et incohérent : il n’est pas à exclure que les journalistes du Point aient procédé à un montage des propos de M. Tincq de manière à le rendre plus « percutant » Ce qui frappe de manière plus significative en est la tonalité générale, qui semble mêler amertume et nostalgie. Amertume devant quoi, nostalgie de quoi ?
Pour ce qui est de la nostalgie, c’est celle d’un certain « catholicisme de gauche », que M. Tincq qualifie de « missionnaire, social, progressiste et œcuménique ». Il regrette, par exemple, l’absence de grandes figures de catholiques engagés comme l’est, paraît-il, M. Jacques Delors. Et il constate que « les "cathos de gauche" ont presque disparu ». M. Tincq devrait, au-delà de ce constat, se demander pourquoi ils ont ainsi disparu : étaient-ils donc si missionnaires que cela ? Pourtant, apparemment sans le vouloir, M. Tincq livre un élément de réponse : « dans ma jeunesse, on passait de l’Eglise au monde. Aujourd’hui, on vient d’un monde sécularisé et on entre dans l’Eglise. » Il semble le regretter. Or, qu’est-ce que « passer de l’Eglise au monde » ? A la lettre, cela pourrait être : quitter l’Eglise pour le monde. Est-ce bien cela être « missionnaire » ? Ne serait-ce pas plutôt aller en Eglise dans le monde ? A force de « passer de l’Eglise au monde », les « cathos de gauche » pourraient bien s’y être égarés, devenant plus « de gauche » que « cathos » ou, autrement dit, plus du monde que dans le monde.
L’amertume, quant à elle, a pour objet une Eglise contemporaine où, en France du moins, M. Tincq croit détecter une « dérive identitaire et réactionnaire ». Entendons-nous : cette dérive existe, chez un certain nombre de personnes, et prend plusieurs formes. Un aperçu en a été donné l’an dernier par Erwan Le Morhedec dans son Identitaire, le mauvais génie du christianisme. D’autres dérives analogues ont été évoquées par Patrice de Plunkett dans Cathos, ne devenons pas une secte et par François Huguenin dans Le pari chrétien, bien que n’étant pas à proprement parler l’objet de ces deux essais, en particulier de celui de François Huguenin. Ce dernier, par exemple, étrille au passage certaines critiques de Laurent Dandrieu contre l’attitude prônée par le pape envers les migrants. Ces trois essais ont l’avantage, en dénonçant certaines postures d’une droite catholique ou prétendue telle, de ne pas être écrits par des auteurs partisans : MM. Le Morhedec, de Plunkett et Huguenin peuvent difficilement être classés « à gauche ». Aussi s’efforcent-ils d’être précis et factuels lorsqu’ils dénoncent certaines dérives. Avec M. Tincq, c’est différent, du moins dans l’entretien qu’il a accordé aux journalistes du Point. En quoi résident les dérives que voit M. Tincq ? Apparemment, dans l’opposition affirmée par bon nombre de catholiques français aux lois et projets de lois « sociétaux » sur le mariage homosexuel, l’avortement, la bioéthique… ou dans le « retour à des pratiques anciennes » (lesquelles, on l’ignore). En somme, ce que M. Tincq considère comme une « dérive identitaire et réactionnaire » dans l’Eglise en France pourrait se nommer « fidélité ». Ce genre de propos me semble assez malhonnête, M. Tincq assimilant à de réelles dérives, qu’il évoque fort peu (si ce n’est les dandriesques andouilleries déjà évoquées plus haut) la simple permanence de quelques principes ou rites.
M. Tincq poursuit d’ailleurs dans le brouillard, quand il s’agit d’articuler Eglise et politique : il affirme par exemple son incompréhension devant l’absence assumée de consigne de vote de la Conférence des évêques de France au second tour de l’élection présidentielle de 2017, considérant que ladite Conférence n’aurait « pas été capable d’appeler à faire barrage à la candidature Le Pen, alors même que François Fillon avait dit qu’il fallait tout faire pour éliminer la représentante du Front national. » Admirons la condescendance du ton (« pas été capable ») et la confusion des genres exprimée dans le « alors même que » : la Conférence des évêques de Frances est-elle censée se ranger aux avis de M. Fillon ? Ce serait là, à mon humble avis, une regrettable dérive.
Peut-être ces propos cachent-ils un désir plus ou moins conscient de contredire le clergé et une bonne partie des fidèles pour simplement s’offrir le plaisir de manifester sa liberté. Quitte à être incohérent. Un exemple ? Au début de l’entretien, M. Tincq donne son avis sur la conduite proprement héroïque du colonel Beltrame, sur l’effet de cette conduite sur les consciences catholiques et sur l’expression de cet effet. S’il finit par trouver « bon que des hommes et des femmes courageux, comme le colonel Beltrame, rappellent par leur exemple jusqu’où peuvent aller l’homme de foi et le lecteur des Evangiles » (propos fort juste), c’est après avoir qualifié d’absurde la comparaison souvent faite entre le colonel Beltrame et saint Maximilien Kolbe. Pourquoi ? Parce que selon lui cela encouragerait l’idée d’un « affrontement planétaire » entre christianisme et islam. Apparemment, M. Tincq s’interdit de voir plus large, et de considérer ce que peuvent avoir en commun deux instances d’une réponse éternelle et permanente au mal, réponse qui peut aller jusqu’au don total de soi.
« Je ne reconnais plus mon Eglise », affirme M. Tincq. En est-il donc propriétaire ? On croirait entendre (avec, certes, d’autres arguments) un lefebvriste d’il y a quarante ans ou un de ces « droitards » en dérive aujourd’hui… Voilà où mène le désir d’être de son temps : à n’être plus, un jour, qu’un fantôme. M. Tincq, et avec lui bon nombre de « cathos de gauche », vaut certainement mieux que cela.
Et, comme je suppose sans vouloir en faire un dangereux réac que M. Tincq croit en la résurrection du Christ, joyeuses Pâques !


[i] C’est à lire ici.

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