lundi 30 avril 2018

Les spectres sont parfois ridicules

La frénésie commémorative ne semble pas avoir de fin. Tout y passe, avec parfois des accents magiques : voudrait-on faire advenir à nouveau les événements commémorés, évoquer des fantômes ou au contraire s’en prémunir ? Peut-être ne se console-t-on pas, parfois, de n’être plus ce que l’on était un certain temps auparavant ? J’aurais pu, pour ma part déclarer ouvertes les festivités marquant le cinquième anniversaire de ce blogue ou donner au présent billet le titre de Numérologie II en souvenir d’un Numérologie écrit il y a cinq ans et de mon inspiration d’alors. Après tout, il doit se trouver des personnes pour qui on n’est jamais mieux commémoré que par soi-même.
N’excluons pas toutefois les commémorations qui semblent exprimer le regret de n’avoir pas connu telle ou telle époque passée, glorieuse ou décisive, et de n’avoir pu, fatalement y déployer toutes sortes de qualités ou de vertus…
Cinquantenaire d’un mois
Si mai 1968 fut un mois où la France résonna de divers slogans plus ou moins absurdes, c’est d’une célébration du cinquantenaire de ce mois agité que d’aucuns semblent vouloir la faire résonner aujourd’hui. On croirait presque entendre, en allumant la radio : « soixante-huit, huit, huit » ! Observons, sans vouloir polémiquer, que l’on fait beaucoup moins de bruit pour les soixante ans de mai 1958 ou pour les trente ans de mai 1988.
On fêtera donc ce mois, on colloquera, on palabrera pour savoir si mai 1968 libéra enfin la société d’un carcan moral étouffant ou si, au contraire, ce mois est la cause de tous les malheurs qui frappent la même société, à commencer par son amoralisme et sa déliquescence. Ces jugements sont probablement exagérés. Comment un mois d’agitation (dont quelques syndicats eurent l’intelligence de profiter pour obtenir des augmentations de salaires) pourrait-il être raisonnablement considéré comme la source de toutes nos joies ou de tous nos malheurs ? Ce ne fut vraisemblablement qu’un signe parmi d’autres d’un changement d’époque, de la naissance du flasque et narcissique esprit contemporain.
D’autant que les agitateurs d’alors, pour la plupart, ne virent guère triompher les idées pour lesquelles ils s’imaginaient lutter. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de s’en plaindre, parce que, bon, le maoïsme, le trotskysme, tout ça… Ces agitateurs ont aujourd’hui vieilli, les uns s’aigrissant, les autres engraissant, d’autres encore ayant consenti à un certain prestige d’ordre folklorique, tous ou presque disposés à se féliciter de leur héroïque passé révolutionnaire. Pendant que le monde changeait (et pas qu’en bien), ils feignaient d’être les organisateurs de ce changement en mimant la révolution : une resucée de plus d’une situation sur laquelle peut être porté un jugement attribué à Karl Marx[i] sur la répétition de l’histoire : en tragédie, puis en farce.
Nos soixante-huitards, nourris jusqu’à l’indigestion de diverses lectures, jouèrent donc aux révolutionnaires comme don Quichotte jouait au chevalier errant. Le ridicule, globalement, l’emporta sur le tragique. Un de leurs aînés (et partisans), Jean-Luc Godard, l’avait involontairement prophétisé un an avant dans La Chinoise[ii].
Il en alla autrement ailleurs chez les révolutionnaires de cette époque, en Allemagne et en Italie, par exemple. Là, le ridicule bascula plus qu’à son tour dans le sanglant : on était plus chez Dostoïevski, celui des Démons, que chez Cervantès. Mais ces possédés-là, bien que gavés plus ou moins des mêmes délires que nos soixante-huitards, n’étaient pas allés s’exercer au lancer de pavé à Paris, que l’on sache…
Qu’est-il resté chez nous de cette poussée de fièvre ? Une vague intoxication, sans doute, qui incite de temps à autre quelques jeunes gauchistes à jouer à mai 1968. En d’autres termes, à mimer le mime d’une révolution. La brève et récente occupation de quelques universités a encore fait la preuve de la vacuité de ces postures.
Observons cependant que le ridicule ne tue pas – ou peu – tant qu’il se cantonne à des poses.
Maurras, encore
La peur de l’homme au couteau entre les dents ou l’admiration indue du génie n’ont pas toujours pour objet des idées, des mouvements ou des hommes d’extrême-gauche. Il y en a aussi pour Charles Maurras, né en 1868, dont il a déjà été question ici. Après l’affaire du livre des commémorations, voici celle que d’aucune voudraient voir naître au sujet de la parution dans la collection « Bouquins » d’un recueil de l’intéressé. Le Monde a par exemple fait paraître tout un article sur « le spectre de Charles Maurras », tandis que, paraît-il, de jeunes esprits de droite, en dehors du strict milieu Action française, s’intéresseraient à sa pensée.
Etant peu connaisseur, voir ignorant, de l’œuvre de Maurras, je me contenterai de renvoyer mes lecteurs à quelques notes intéressantes de Patrice de Plunkett (ici et ). Mais j’avoue être assez amusé – ou consterné – par les poses que prennent les uns ou les autres pour dénoncer les dangers que ferait peser sur la Rrrrrépublique la « redécouverte » de Charles Maurras ou pour en faire un penseur d’avenir, un maître en lucidité.
Charles Maurras, aurait, dit-on, vu en sa condamnation après la Libération la revanche de Dreyfus. Personnellement, j’ai du mal à partager en 2018 l’enthousiasme des uns ou l’effroi des autres devant la pensée d’un homme qui, en 1945, en était resté à 1894. Cela dit, pourquoi ne pas aller jeter un œil dans ce volume paru chez « Bouquins », ne serait-ce que par intérêt historique ?
Le spectre de M. Hollande
Parmi d’autres publications récentes, on trouve, paraît-il, un livre où M. Hollande entend partager les édifiantes leçons qu’il aurait tirées de son oubliable quinquennat. Comme il faut bien vendre du papier dès lors qu’un texte est imprimé dessus, M. Hollande se répand à la radio et à la télévision.
Le naturel qu’on lui prête reprenant le dessus, le voilà qui se dispose à partager ses dernières plaisanteries sur M. Macron, qui ne serait pas le « président des riches », mais plutôt celui des « très riches » et qui lui paraît « passif dans le couple » qu’il formerait avec M. Trump. Je trouve M. Hollande un peu sévère avec le digne successeur qu’il a probablement encouragé, voire désigné à un moment ou un autre. Après tout, on prête à M. Hollande des mots peu amènes sur les « sans-dents » : pourquoi ferait-il donc la fine bouche devant celui pour qui certains « ne sont rien » ? Quant aux relations supposées entre MM. Macron et Trump, disons simplement que M. Macron n’a pas eu comme M. Hollande la chance de pouvoir aller cirer les bottes de M. Obama, lequel présentait mieux que M. Trump.
Mais que se rappellera-t-on du quinquennat de M. Hollande ? Le « mariage pour tous », peut-être ? Nous verrons bien un jour à ce sujet si les raisons pour lesquelles nous autres, opposants à cette réforme, étions traités de menteurs et de zinzins il y a cinq ans tiennent toujours[iii].


[i] Né en 1818.
[ii] Et, dès 1965, Pierrot le fou est truffé de citations des Pieds nickelés.
[iii] Apparemment, non (voir ici ce qu'écrit assez cyniquement un journaliste de Libération, par exemple).

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