vendredi 28 octobre 2016

« Livre pour adultes » (Benoît Duteurtre)

Impitoyables, les saisons se succèdent. Selon notre humeur, nous éprouvons de ce fait de l’impatience, de la nostalgie ou de l’ennui. Ainsi, après la rentrée littéraire, voici revenir la saison des prix littéraires. Cela passera. En attendant, on serait tenté de croire que les éditeurs (annonçant désormais la couleur sur les bandes qui ornent leurs nouveautés d’automne : « rentrée littéraire ») et les jurys considèrent les écrivains comme des écoliers. Quant aux écrivains, se prennent-ils au jeu ? Quelques-uns, entre la rentrée et la remise des prix, trompent peut-être leur anxiété en songeant avec regret à l’été et à la saison des mirabelles, qui annonce l’approche de cette fameuse rentrée.
L’élève Duteurtre a remis une copie cette année : Livre pour adultes. L’auteur de Ballets roses ferait-il dans l’égrillard ? Point : il nous emmène plutôt du côté des regrets et, pourquoi pas, des mirabelles, puisqu’il est parfois question dans ce livre d’un petit village des Vosges.
La nostalgie d’un monde passé, imparfait mais où l’homme avait sa place, avant d’être écrasé et desséché par la modernité, n’est pas une nouveauté chez Benoît Duteurtre. Elle rôde toujours au détour de ses romans, quand elle n’en est pas l’argument même, ce qui est aussi le cas de certains de ses essais. Ajoutons à cela que Benoît Duteurtre produit depuis longtemps sur France-Musique une émission où sont célébrées de vieilles gloires de la musique légère[i].
Comment, dans ces conditions, se renouveler ? Comment éviter à l’heure de la remise des prix une appréciation mêlant l’estime et la lassitude, comme : « l’élève Duteurtre a comme toujours de belles qualités, ses copies sont agréables et bien présentées, mais il traite toujours le même sujet. » ? En battant les cartes, par exemple, ou en feignant de les battre pour les juxtaposer : ainsi semblent se mêler souvenirs, évocations d’êtres aimés ou rencontrés, brèves fictions, essais… Tout réside alors dans l’art d’y mettre de l’ordre.
A bien y réfléchir, l’ordre n’a pas dû être difficile à établir pour Benoît Duteurtre ; chaque morceau trouve sa place dans un chapitre reflétant un de ses thèmes de prédilection (ou faut-il dire : une de ses obsessions ?) : la fuite du temps (et son effet sur nous), la mise à mort du voyage par le tourisme de masse (sous le titre astucieux de « Voyage au bout du voyage »), la transformation des villes en panneaux publicitaires, la désertification des campagnes, les articulations paradoxales (où personne n’est innocent) entre la modernité, la post-modernité et l’anti-modernité…
Ces articulations sont le prétexte de jolies et cruelles nouvelles (« Fou de musique », « La tribu » et « Le monastère ») qui sont peut-être les meilleurs morceaux de ce livre, avec l’évocation (« Mon village ») des effets dévastateurs de la modernité sur un patelin des Vosges et sur la vie de ses habitants – ou ce qu’il en reste.
L’ensemble est agréablement écrit, comme toujours chez Duteurtre, qui cherche probablement plus à provoquer la réflexion (et ce de manière plaisante) que l’éblouissement. La disparition, et avant elle la décrépitude, des êtres aimés et d’un monde familier ou attisant la curiosité, donnent à l’ensemble une tonalité triste, sinon sombre, qui justifie son titre : c’est bien un livre pour adultes[ii]. En revanche, la mention « roman » apposée sur la couverture par les éditions Gallimard laisse perplexe.


[i] « Etonnez-moi, Benoît », titre qui est aussi celui d’une chanson créée par Françoise Hardy, sur des paroles d’un jeune inconnu nommé Patrick Modiano, spécialisé depuis dans le roman où l’on rumine doucement – mais sans grande nostalgie – le passé.
[ii] Dans un tout autre registre, je songe aux Fraises sauvages, d’Ingmar Bergman, où la bru du héros cloue sèchement le bec à un couple en train de se disputer, afin de ne pas ôter trop tôt leurs illusions à trois jeunes gens qui assistent à la scène…

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