dimanche 2 octobre 2016

Nos ancêtres les Gaulois (2)

Les commentaires que deux de mes lecteurs ont eu l’obligeance de laisser à propos de mon billet précédent sont intéressants par leur apparente opposition, que je qualifierais plus volontiers de complémentarité. On pourrait les résumer comme suit :
(1) Les Gaulois nous sont étrangers et ne signifient plus grand-chose pour nous, à part quelques clichés peu vérifiables pour nous autres, commun des mortels.
(2) Les Gaulois ont laissé plus de traces dans notre pays que nous ne le soupçonnons, ce dont témoigne notre toponymie.
Pourquoi ces arguments sont-ils plutôt complémentaires qu’opposés ? Eh bien, parce que si la proposition (2) est incontestable, elle ne permet de rien relever de plus dans notre éventuel héritage gaulois que la présence de traces, certes nombreuses, mais qui se limitent à des noms dont la plupart d’entre nous ignorent la signification et que nous prononçons sans y penser : où l’on retourne à la proposition (1).
De là le peu de pertinence à se réclamer de « nos ancêtres les Gaulois » pour célébrer le génie français. Il est bien des aspects de l’histoire, parfois assez anciens, que nous pouvons dire nôtres de manière plus sûre et plus éloquente.
Mais, à propos d’héritage, cette expression, nos ancêtres les Gaulois, peut susciter d’autres réflexions. Celles-ci sont également provoquées par un problème aigu de ce que certains nomment la modernité tardive : celui de la transmission et, pourquoi pas, des traditions.
L’autre jour, en entendant une émission de radio, j’appris que, désormais, pour garantir la conservation d’œuvres cinématographiques récentes (tournées sur des supports numériques), on en fait des copies sur pellicules, tant la durée de vie des supports numérique est brève comparée à celle d’une pellicule. Nous n’en sommes pas toujours conscients : ainsi, nous croyons souvent que numériser des documents contribue à leur conservation. Cela est vrai tant que les fichiers ainsi créés sont lisibles : que leurs supports périssent (relativement vite, semble-t-il) ou que de nouveaux systèmes d’information apparaissent jusqu’à supplanter leurs prédécesseurs…
Naturellement, il pourra m’être objecté que les supports sur lesquels on recopie les documents ont toujours varié. Mais, pour ne prendre que les livres, on ne numérise ceux-ci que depuis peu, tandis qu’on les imprime depuis cinq cents ans, après les avoir copiés et recopiés à la main pendant… Observons en outre que, pour lire un livre, point n’est besoin d’équipements particuliers autres que ses propres yeux et ses propres mains ; en somme, pour lire un livre, il suffit de savoir lire (et de connaître la langue dans laquelle il est écrit).
La photographie et l’enregistrement sonore étant des inventions plus récentes, elles sont plus intimement liées aux solutions techniques censées les servir. De sorte qu’il m’est par exemple difficile d’écouter mes cassettes, tandis que je suis équipé pour mes disques 78 tours : la cassette remonte aux années 1960 et a mis environ quarante ans à devenir parfaitement illisible, alors qu’avec quelque patience et quelques efforts, on trouve encore des tourne-disques disposant de la bonne vitesse pour lire des disques gravés disons entre 1905 et 1955.
L’obsolescence accélère, en somme : c’est toujours un moyen pour les industriels de perpétuer leurs ventes. Cela dit, ce procédé (de bonne guerre économique ?) fait toujours courir un risque de perte massive de documents et partant de mémoire, voire de compréhension.
Cette accélération, parallèlement, opère aussi dans les mentalités : l’Europe, ces deux cents dernières années (en gros), a souvent rompu de manière tout à fait consciente avec son passé, mue la plupart du temps par des volontés politiques. L’affaissement des humanités ces derniers lustres témoigne d’une certaine accélération, tout-à-fait voulue, dans le processus.
Du reste, gauche et droite, révolutionnaires et capitalistes, aucun n’y trouve à redire : il vaut mieux disposer de cerveaux privés de toute référence pour les emplir de propagande d’Etat ou de publicité commerciale.
De sorte que bientôt, si cela continue, nous n’aurons plus loisir de nous demander si les Gaulois étaient nos ancêtres, mais il nous faudra nous demander si nos ancêtres (et même parfois nos proches ancêtres) ne seront pas comme des Gaulois pour nous. Et nous serons peut-être aussi des Gaulois pour nos enfants. Il restera bien quelques traces pour le plaisir des érudits…

2 commentaires:

  1. Il est tout de même un peu paradoxal de dire que l'expression "nos ancêtres les Gaulois" n'est pas pertinente et d'affirmer en même temps que "nous sommes tous des Africains" (titre d'un livre du paléontologue Michel Brunet, le co-découvreur de Toumaï). Le discours sur les racines a été de tout temps très marqué par l'idéologie. Pour moi, si la seconde proposition est vraie, je ne vois pas pourquoi la première serait fausse.

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    1. Oui, c'est juste. Et notons au passage que nous dire Africains, même si cela est probable, a encore moins de sens que nous dire Gaulois car, comme vous l'indiquiez dans votre commentaire à mon billet précédent, les Gaulois ont laissé d'incontestables traces.
      S.L.

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