vendredi 1 janvier 2016

Lecteurs voyageurs

Illiers-Combray
En mai 1994, je fis avec des amis un voyage à Illiers-Combray, non loin de Chartres. Le nom de ce bourg est évidemment lié au souvenir de Marcel Proust. Illiers servit comme on le sait de modèle au Combray de la Recherche, au point que sa municipalité obtint un jour d’accoler au premier nom – bien réel – le second, parfaitement fictif.
A Illiers-Combray, donc, on visite la maison où le jeune Proust passa tant de vacances. Cette maison mêle habilement l’aménagement et la décoration d’une villégiature rurale et cossue du XIXe siècle à des signes de piste plus ou moins subtils destinés aux proustiens fétichistes, artistes ou philosophes. Dans le jardin, il ne manque pas une aubépine. Et la pâtisserie d’Illiers sert de petites madeleines – les vraies, celles de la tante Léonie, est-il assuré – que l’on peut à loisir tremper dans sa tasse de thé.
La visite de la maison de la tante est guidée, ce qui permet de glaner au passage quelques anecdotes. Ainsi, j’entendis, ce jour de 1994, l’aimable guide nous conter le désarroi, voire la consternation (jusqu’aux larmes) de touristes japonaises apprenant que cette maison n’était en rien celle de la tante Léonie, puisque celle-ci n’est qu’un personnage de roman.
Naturellement, nous eûmes un sourire à la fois attendri et condescendant quand nous furent évoquées ces pauvres et naïves Japonaises. Elles avaient pris pour un merveilleux recueil de souvenirs une formidable tentative d’illustration par le roman d’une philosophie du souvenir. C’est que nous savions cela, nous autres.
Rétrospectivement me vient une question : quel était alors, pour nous, l’intérêt d’un tel voyage, hormis le plaisir d’une belle excursion dont je garde d’ailleurs un souvenir enchanté ?
Epitaphe à Madrid
Curzio Malaparte n’était pas avare, dans ses divers ouvrages, en anecdotes données pour vraies alors qu’elles révèlent surtout ses talents de conteur et son imagination[i]. Dans Kaputt[ii], il s’est même trouvé un complice, Augustin de Foxà, diplomate espagnol intarissable en matière d’anecdotes macabres, de traits d’esprit ou de pitreries profondes.
Dans une de ses macabres histoires, Foxà évoque l’épitaphe d’un étudiant nommé Novillo, lue, affirme-t-il, au cimetière de Saint-Sébastien, à Madrid :
« Dieu a interrompu ses études pour lui enseigner la vérité. »
Cette épitaphe m’a été rappelée par la lecture toute récente d’un roman de Carl-Henning Wijkmark, Da capo[iii]. Le héros de ce roman est un photographe suédois chargé par un riche commanditaire américain d’illustrer un livre ayant pour sujet, en gros, la représentation de la mort en Europe centrale. Déviant en permanence de son sujet pour diverses raisons, le photographe, se souvenant soudain de cette épitaphe, décide de faire un crochet par Madrid pour retrouver la tombe de ce Novillo et la photographier.
Une fois à Madrid, déception : on lui apprend que cette tombe n’existe pas, que c’est une invention et qu’il n’est pas le premier, ni le dernier sans doute, à tomber dans le panneau.
Cet épisode, assez drôle, est plutôt bienvenu dans un roman dont l’ambiance est pesante et qui est parfois affligé de longueurs[iv]. Regardons-y cependant de plus près : est-ce vraiment une invention de Malaparte ? Après tout, ce pourrait aussi bien être une invention de Foxà dont Malaparte rendrait fidèlement compte. Voire une invention que Malaparte prête à Foxà. Ou encore mieux : cette tombe existe vraiment et c’est Wijkmark qui a eu l’idée génialement romanesque d’en faire – en gros – une invention de Malaparte…
On ne sait jamais trop, avec ces écrivains. Pour un peu, j’irais presque faire le voyage de Madrid pour savoir à quoi m’en tenir. Mais à quoi bon ?
(Et, bien évidemment, une très bonne année 2016.)


[i] Soyons un instant Italien et saluons ces talents d'un si non e vero, e ben trovato.
[ii] Dont le premier chapitre a, rappelons-le, pour titre : Du côté de Guermantes
[iii] Paru en 1994.
[iv] Mais qui vaut le détour.

3 commentaires:

  1. N'allez pas à Madrid, la ville est moche, les espanche sont laides ,les queues devant les rares monuments et musées potables sont interminables

    Vous l'aurez compris, j'ai pas aimé

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  2. De plus, comme souvent en Europe déchristianisée, les concessions funéraires ne sont perpétuelles que pour quelques personnages historiques
    Il y a de fortes chances que la tombe que vous cherchiez ne vous ai pas attendu ....vous continuerez donc à rester dubitatif

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    1. Ne craignez rien... Ce n'est pas moi qui la cherche, cette tombe. De plus, vous n'avez pas tort d'ajouter encore une hypothèse : la tombe aurait existé et n'existe plus.
      Et puis, rester dubitatif en la matière ne me déplaît pas.

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