Si jamais vous l’ignorez
(peut-être habitez-vous à l’étranger), apprenez qu’auront lieu demain dimanche,
à Paris et à Bordeaux, deux Manifs pour tous. L’occasion de s’y rendre,
bien sûr, mais aussi de se poser quelques questions, jusques et y compris
d’ordre esthétique.
Manif pour quoi ?
A quoi bon cette manifestation, diront les moins au
fait : la loi sur le mariage dit pour tous est passée, passez donc à autre
chose ! Ayons pitié d’eux, et apprenons-leur qu’il s’agit maintenant des choses sérieuses :
affirmer un refus clair et sans ambiguïté de donner un quelconque droit en
France à l’insémination artificielle pour des couples de femmes et au recours à
des mères porteuses pour des couples d’hommes. Autrement dit, à la fabrication
d’enfants à la commande, comme s’il s’agissait de biens, et à la location de
corps de femmes, comme s’il s’agissait d’outils de production[i].
Oui, nous répondront de plus avisés que les
précédents, mais le gouvernement ne semble pas vouloir légaliser ce genre de
pratique. Formellement, l’objection n’est pas fausse, mais certaines
circulaires tendent à les autoriser de fait, en douce, en reconnaissant au cas
par cas le fait accompli.
Ah, mais pardon, insisteront-ils : M. Valls
vient de dire qu’il est contre et qu’il s’y opposerait. A cette objection, je
répondrai qu’un personnage historique bien connu dans notre pays et par bien
des aspects plus mémorable et parfois vénérable que M. Valls déclara en 1958
que, lui vivant, on ne verrait jamais flotter le drapeau du FLN en Algérie[ii].
Cet homme se nommant Charles de Gaulle, on demande à voir en ce qui concerne M.
Valls[iii].
Et, pour couper court à toute objection sur
l’égalité des droits, ajoutons trois remarques :
Premièrement, il ne s’agit plus de s’opposer à un
simulacre dont la portée ne serait que symbolique. Il est réellement question
ici de la dignité d’êtres humains.
Deuxièmement, ce n’est pas parce que c’est autorisé
dans quelques pays étrangers qu’il faut s’aligner. J’aurais même tendance à
penser le contraire : la France pourrait fort bien avoir l’honneur d’être
un exemple de résistance aux formes les plus perverses du libéralisme[iv].
Troisièmement, à ceux qui diront que la
« PMA » est autorisée pour certains couples hétérosexuels, il est
possible de répondre que c’est limité à des cas précis de stérilité. Et –
c’est là un avis personnel qui n’engage que moi – que je serais plutôt pour
l’interdire, de même que le recours à une mère porteuse, à tout le monde :
il arrive qu’une personne ait certaines incapacités. C’est triste, parfois
douloureux même, cela mérite beaucoup de délicatesse et de compassion, mais
cela ne justifie pas toutes les manipulations.
Je suis donc au regret de dire ceci : le
premier qui me parlera d’homophobie à propos de ces manifestations (et à propos de
l’opposition à une certaine modernité dont elles ne sont qu’une forme parmi
d’autres) se verra gratifié de ma part d’un vigoureux… haussement d’épaules.
Esthétique de la manifestation
Venons-en maintenant à des considérations qui
pourraient passer pour futiles et qui ne le sont pourtant pas. je veux parler
d’esthétique, de la forme qu’ont prise jusqu’à présent les Manifs pour tous.
Dès le début, j’avoue avoir été gêné, pour ne pas
dire crispé, par l’orgie de drapeaux bleus ou roses avec un joli motif (ou
logo) représentant une famille idéale (mais sans visage), par la sono
« dansante » (à l’aune contemporaine) et par des slogans parfois
approximatifs. Sur ce dernier point, les panneaux prévus pour demain semblent
marquer une légère amélioration, avec encore quelques à-peu-près regrettables[v].
Pour le reste, nous verrons bien sur place.
Pourquoi cet agacement ? Il y a, certes, une
affaire de goût. Le rose bonbon et le boum-boum amplifié, le cucul et le festif, très peu pour moi, merci[vi].
Quant à brailler des slogans au milieu d’une foule… Mais il y a autre
chose : je ne vais pas à ces manifestations pour faire la fête (non que
cela ne m’amuse pas un peu), mais pour participer à une protestation contre des
projets qui me semblent néfastes. Contre le mariage dit pour tous, on en était
encore au niveau de la blague, absurde ou vaudevillesque, comme on voudra.
Tandis que maintenant, c’est du sérieux. L’allure des manifestations devrait le
refléter : un peu moins de bruit, quelques banderoles ici et là, et des distributions
de tracts[vii]
aux passants le long du cortège, cela pourrait être fort digne.
Je crois deviner ce que cachent tous ces trililis :
la peur de ne pas avoir l’air moderne. Un défilé plus austère risquerait de
faire passer les manifestants pour d’affreux réacs. Eh bien, l’hostilité d’une bonne partie de la presse, des
politiciens et des pipôles (un peu le même monde, tout cela) est telle que le
mal est déjà fait. Disons donc aux organisateurs : n’ayez pas peur de
passer pour des réacs. Que vous le
soyez ou non, qu’importe ? Soyez libres, et soucieux de votre cause et de
sa défense pacifique, plutôt que de votre image. Et ne risquez pas de lasser
certaines bonnes volontés, ce qui serait dommage[viii].
Une dernière chose : tout le matériel utilisé
pour ces manifestations coûte de l’argent. J’ignore combien, mais cela compte
quand on entend aussi – fort à propos – protester contre l’assèchement
progressif de l’aide aux familles, notamment les plus pauvres ou les plus
nombreuses.
Mais qu’importe : j’irai quand même manifester
demain. L’enjeu dépasse mes goûts et mes réserves.
[i] Rappelons à ce sujet ce
qu’avait déclaré Pierre Bergé en 2012, en défendant le mariage dit pour
tous : « Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits,
que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés.
Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à
l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant. »
Dont acte : pour M. Bergé, un ouvrier, c’est une paire de bras, et une
paire de bras, ça se loue. Autrement dit, c’est un outil de production. Pareil
pour une femme. Peut-être cela devrait-il nous faire réfléchir aussi sur le
travail salarié…
[ii] Ne vous méprenez
pas : il ne s’agit pas de faire ici sa petite poussée de nostalgie Algérie française, mais d’exposer un
exemple.
[iii] Nous verrons bien
l’écart entre selon les organisateurs
et selon la police…
[iv] Eh oui ! La mission de la France : pays des droits de l’homme ou fille aînée de l’Eglise, il y a en l’occurrence de la place pour tout le monde.
[v] Je vous laisse vous faire
votre idée ici.
[vi] Petite note
personnelle : je connais des gens qui prétendent que je suis né vêtu de
tweed, d’autres que j’étais coiffé avec la nuque bien dégagée et la raie sur le
côté dès la naissance. C’est très exagéré.
[vii] Les tracts devant
contenir plutôt des explications que des slogans ou quelques formules « choc » :
il s’agit de parler à des adultes.
[viii] Voir ici un propos
intéressant (quoique je n’en partage pas toutes les conclusions) dans le blog de Fikmonskov.
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