Les outils de communication que la technique contemporaine met à la disposition de beaucoup d’entre nous pourraient être une bénédiction. Que de beautés, de vérités et de discussions ils pourraient aider chacun à découvrir ou à partager ! C’est parfois le cas, ne nous plaignons pas trop. Ces outils sont après tout ce que nous en faisons.
Or, le plus souvent, ils
sont le relais de querelles aussi enflammées qu’insignifiantes. Faut-il
encourager les « réunions non-mixtes » ou s’en indigner, Pépé le
putois est-il un véhicule de la culture du viol, un sapin de Noël n’est-il qu’un
arbre mort, voilà des questions que d’aucuns jugent essentielles, auxquelles
ils se sentent obligés de répondre – de préférence de manière tranchée et
brutale au moyen de quelques touites, par exemple – et dont nous n’avons cure. Les
opinions, telles qu’elles sont transmises par divers canaux, s’empilent ainsi
en une cacophonie de piaillements indigents. Un ministre a même pris la peine,
ces derniers jours, de faire savoir à qui aura voulu l’entendre, qu’il était
favorable à l’octroi de la Légion d’honneur au président d’un aéro-club à qui
la municipalité de sa commune – de sensibilité écologiste – avait refusé de
renouveler une subvention représentant environ un cent-cinquantième de son
budget. Nous en sommes là. Mais après tout il ne tient qu’à nous de ne pas
prêter une attention excessive à tout ce bruit, histoire de ne pas céder devant
ce vaste complot contre toute espèce de vie intérieure qu’est – selon les mots
de Bernanos il y a bien soixante-quinze ans – le monde moderne.
Il est cependant des
bruits dont il faut bien dire quelque chose. Au détour d’une note parue dans
une livraison récente de la Revue des deux mondes, je pus lire que d’aucuns,
aux États-Unis, feraient bien un sort à Flannery O’Connor en décrétant que
celle-ci était raciste, le mot nègre[i]
apparaissant souvent dans ses nouvelles et ses romans. Cette note étant
elle-même une recension de la livraison de décembre 2020 de l’Atelier du roman[ii], je
courus me procurer ladite livraison. Laquelle contient un dossier de pas moins
de soixante-quinze pages sur Flannery O’Connor. L’un des contributeurs à ce
dossier, Trevor C. Merrill, outre un intéressant article sur « Le roman
selon Thomas d’Aquin », nous apprend dans une chronique de quoi il
retourne : en juin 2020 est paru dans le New Yorker un article[iii]
accusant Flannery O’Connor de racisme en s’appuyant sur le contenu de quelques
lettres et cartes postales qu’elle avait envoyées à sa famille en 1943 (à l’âge
de dix-huit ans, donc) lors d’un voyage dans le Massachussets (mentalement aux
antipodes de sa Géorgie natale). Peu après la parution de cet article, une
étudiante de l’université Loyola, sise dans le Maryland, a lancé une pétition
(en ligne, bien entendu) pour obtenir que le nom d’un foyer d’étudiantes de
ladite université ne porte plus le nom de Flannery O’Connor et obtenu gain de
cause. Les explications du président de l’université Loyola, dont Trevor C.
Merrill rend compte, sont un trésor de sinuosité qu’on ne trouve d’ordinaire
que dans les plus malveillantes caricatures de jésuites. Trevor C. Merrill
précise en outre que des voix se sont élevées avec les meilleures intentions du
monde pour défendre la mémoire de Flannery O’Connor, puisant dans son œuvre pour
démontrer son opposition au racisme dont, pas loin de soixante ans après sa
mort, certains l’accusent. Et il n’a pas tort d’écrire que ces défenses sont
maladroites et favorisent les accusateurs, en contribuant à faire (en l’occurrence)
du racisme « la seule question valable ».
Faut-il dire quelque
chose en défense de Flannery O’Connor ? Oui, et c’est assez simple :
si elle a tenu un jour les propos racistes qu’on lui prête et manifesté ici ou là
des préjugés dans le même sens, voilà de mauvaises pensées et de mauvaises
paroles. Si elle en a eu conscience, étant une catholique aussi pieuse que sincère,
elle s’en sera probablement ouverte à son confesseur. Et cela ne nous regarde
pas.
Quant à l’œuvre de
Flannery O’Connor, elle n’est pas là pour distribuer les bons ou les mauvais
points. C’est un regard d’une richesse et d’une profondeur considérables, qui
porte sur de tout autres sujets. C’est ce que ce dossier de l’Atelier du
roman, au-delà de vaines controverses contemporaines, tente de nous faire
découvrir ou de confirmer si l’œuvre de Flannery O’Connor nous est familière,
par exemple si nous avons lu Mystère et manières. Les lecteurs assidus de
Flannery O’Connor y trouveront donc un certain plaisir[iv] ;
puisse la curiosité des autres être éveillée.
On réclame donc un peu
moins de bruit et un peu plus de beauté et de vérité !
(Et votre serviteur vous
souhaite de joyeuses – et saintes – fêtes de Pâques.)
[i] Fort crûment dans le texte,
d’ailleurs : nigger ; le
mot n’est pas des plus agréables, mais encore faut-il lire les autres mots du
texte…
[ii] Revue désormais éditée
chez Buchet-Chastel. On y retrouve avec plaisir, en guise de culs-de-lampe, quelques
dessins de Sempé.
[iii] « Sinistre »
selon les mots de Trevor C. Merrill, qui en écrit encore qu’il « est très
bien structuré, efficace à tous les niveaux, que ça vaut presque la peine d’être
lu. »
[iv] Ne serait-ce que dans le
propos liminaire de « La terrible grâce du Seigneur », article de
Nunzio Casalaspro : « Flannery O’Connor écrit des romans catholiques
dont les protagonistes, protestants, ressemblent à des fols-en-Christ
orthodoxes. »
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