vendredi 9 avril 2021

Un peu moins de bruit !

Les outils de communication que la technique contemporaine met à la disposition de beaucoup d’entre nous pourraient être une bénédiction. Que de beautés, de vérités et de discussions ils pourraient aider chacun à découvrir ou à partager ! C’est parfois le cas, ne nous plaignons pas trop. Ces outils sont après tout ce que nous en faisons.

Or, le plus souvent, ils sont le relais de querelles aussi enflammées qu’insignifiantes. Faut-il encourager les « réunions non-mixtes » ou s’en indigner, Pépé le putois est-il un véhicule de la culture du viol, un sapin de Noël n’est-il qu’un arbre mort, voilà des questions que d’aucuns jugent essentielles, auxquelles ils se sentent obligés de répondre – de préférence de manière tranchée et brutale au moyen de quelques touites, par exemple – et dont nous n’avons cure. Les opinions, telles qu’elles sont transmises par divers canaux, s’empilent ainsi en une cacophonie de piaillements indigents. Un ministre a même pris la peine, ces derniers jours, de faire savoir à qui aura voulu l’entendre, qu’il était favorable à l’octroi de la Légion d’honneur au président d’un aéro-club à qui la municipalité de sa commune – de sensibilité écologiste – avait refusé de renouveler une subvention représentant environ un cent-cinquantième de son budget. Nous en sommes là. Mais après tout il ne tient qu’à nous de ne pas prêter une attention excessive à tout ce bruit, histoire de ne pas céder devant ce vaste complot contre toute espèce de vie intérieure qu’est – selon les mots de Bernanos il y a bien soixante-quinze ans – le monde moderne.

Il est cependant des bruits dont il faut bien dire quelque chose. Au détour d’une note parue dans une livraison récente de la Revue des deux mondes, je pus lire que d’aucuns, aux États-Unis, feraient bien un sort à Flannery O’Connor en décrétant que celle-ci était raciste, le mot nègre[i] apparaissant souvent dans ses nouvelles et ses romans. Cette note étant elle-même une recension de la livraison de décembre 2020 de l’Atelier du roman[ii], je courus me procurer ladite livraison. Laquelle contient un dossier de pas moins de soixante-quinze pages sur Flannery O’Connor. L’un des contributeurs à ce dossier, Trevor C. Merrill, outre un intéressant article sur « Le roman selon Thomas d’Aquin », nous apprend dans une chronique de quoi il retourne : en juin 2020 est paru dans le New Yorker un article[iii] accusant Flannery O’Connor de racisme en s’appuyant sur le contenu de quelques lettres et cartes postales qu’elle avait envoyées à sa famille en 1943 (à l’âge de dix-huit ans, donc) lors d’un voyage dans le Massachussets (mentalement aux antipodes de sa Géorgie natale). Peu après la parution de cet article, une étudiante de l’université Loyola, sise dans le Maryland, a lancé une pétition (en ligne, bien entendu) pour obtenir que le nom d’un foyer d’étudiantes de ladite université ne porte plus le nom de Flannery O’Connor et obtenu gain de cause. Les explications du président de l’université Loyola, dont Trevor C. Merrill rend compte, sont un trésor de sinuosité qu’on ne trouve d’ordinaire que dans les plus malveillantes caricatures de jésuites. Trevor C. Merrill précise en outre que des voix se sont élevées avec les meilleures intentions du monde pour défendre la mémoire de Flannery O’Connor, puisant dans son œuvre pour démontrer son opposition au racisme dont, pas loin de soixante ans après sa mort, certains l’accusent. Et il n’a pas tort d’écrire que ces défenses sont maladroites et favorisent les accusateurs, en contribuant à faire (en l’occurrence) du racisme « la seule question valable ».

Faut-il dire quelque chose en défense de Flannery O’Connor ? Oui, et c’est assez simple : si elle a tenu un jour les propos racistes qu’on lui prête et manifesté ici ou là des préjugés dans le même sens, voilà de mauvaises pensées et de mauvaises paroles. Si elle en a eu conscience, étant une catholique aussi pieuse que sincère, elle s’en sera probablement ouverte à son confesseur. Et cela ne nous regarde pas.

Quant à l’œuvre de Flannery O’Connor, elle n’est pas là pour distribuer les bons ou les mauvais points. C’est un regard d’une richesse et d’une profondeur considérables, qui porte sur de tout autres sujets. C’est ce que ce dossier de l’Atelier du roman, au-delà de vaines controverses contemporaines, tente de nous faire découvrir ou de confirmer si l’œuvre de Flannery O’Connor nous est familière, par exemple si nous avons lu Mystère et manières. Les lecteurs assidus de Flannery O’Connor y trouveront donc un certain plaisir[iv] ; puisse la curiosité des autres être éveillée.

On réclame donc un peu moins de bruit et un peu plus de beauté et de vérité !

(Et votre serviteur vous souhaite de joyeuses – et saintes – fêtes de Pâques.)



[i] Fort crûment dans le texte, d’ailleurs : nigger ; le mot n’est pas des plus agréables, mais encore faut-il lire les autres mots du texte…

[ii] Revue désormais éditée chez Buchet-Chastel. On y retrouve avec plaisir, en guise de culs-de-lampe, quelques dessins de Sempé.

[iii] « Sinistre » selon les mots de Trevor C. Merrill, qui en écrit encore qu’il « est très bien structuré, efficace à tous les niveaux, que ça vaut presque la peine d’être lu. »

[iv] Ne serait-ce que dans le propos liminaire de « La terrible grâce du Seigneur », article de Nunzio Casalaspro : « Flannery O’Connor écrit des romans catholiques dont les protagonistes, protestants, ressemblent à des fols-en-Christ orthodoxes. »

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