samedi 20 février 2021

« Ce monde est tellement beau » (S. Lapaque)

 Sébastien Lapaque aime tant les théories qu’il en échafaude parfois lui-même : d’Alger, de Rio de Janeiro, voire de la carte postale ou de la bulle carrée, sa bibliographie en témoigne. La pratique ne manque pas non plus, et pas seulement du point de vue littéraire, comme le prouve Ce monde est tellement beau, son dernier roman.

Pratique ? Encore convient-il de s’entendre sur l’acception à donner à ce mot. Car nous sommes prévenus dès le deuxième chapitre par un aphorisme que nous devons être nombreux à regretter de ne pas avoir écrit : « Les gens pratiques sont fatigants, ils passent leur temps à vous faire des remarques saugrenues. » Un point-virgule nous eût fait toucher à des délices dignes de Nimier…

Mais revenons à ces gens pratiques. Qui sont-ils ? On pourrait dire : ceux dont les préoccupations, voire les ultimes aspirations, ne sont que terrestres et physiques. La richesse, le confort, le bien-être, la bonne santé, voilà leurs horizons, dont la poursuite doit impérativement faire l’objet d’une constante évaluation, afin d’être optimisée. Pas une minute à perdre en contemplation (qu’ils nommeront rêvasserie).

Des gens pratiques, Lazare, héros et narrateur de Ce monde est tellement beau, en est entouré : son père, ses frères, sa compagne qui vient de le quitter et la sœur de cette dernière. Une vie terre-à-terre en quelque sorte exaltée par le bruit contemporain semble leur convenir à merveille. Or, ce bruit, ces horizons bas, Lazare ne les supporte plus, au point d’avoir eu un jour la révélation du nom à donner à tout cela : l’Immonde. Cette révélation, si elle est un signe de lucidité, n’est pas sans dangers ni, pour user d’un vocabulaire tout à fait pertinent, ses tentations.

Celle de s’en accommoder, voire de s’y adapter ? Guère, si l’Immonde est désormais révélé. Celle de se révolter ? La plus forte à première vue, avec celle de sombrer dans la dépression ou l’à-quoi-bonisme. Cette dernière n’est pas sans menacer Lazare, avec celle d’un repli hautain, fort confortable à sa manière. Car Lapaque n’est pas Houellebecq : il finit ses paragraphes et ses personnages ne s’abandonnent pas aux troubles charmes du naufrage. Lazare sait garder de la tenue, y compris vestimentaire : « Porter une cravate sous un pull en laine d’Écosse était une habitude surannée, mais j’y tenais. »

Sur quoi s’appuyer pour sortir de cette ornière ? Il n’y a pas trente-six solutions : la foi. Et la pratique qui en découle, pratique qui ne saurait être une habitude, mais un cheminement, un apprentissage sans fin. Quelques personnages vont aider Lazare sur ce chemin.

Pour commencer, il y a Lucie, voisine de Lazare, charmante ornithologue passionnée de Shakespeare. Avec elle, sous le prétexte de découvrir la richesse et la beauté – menacées par la brutalité et la gloutonnerie de l’Immonde – du règne animal et du théâtre élisabéthain, le roman aurait pu prendre le chemin d’une idylle qui se serait vite affadie : ma-chérie-m’a-quitté-mais-Lucie-m’a-fait-connaître-le-vrai-amour-en-m’apprenant-les-vraies-valeurs. Soyons sérieux une minute, voulez-vous bien ? Lucie, aussi jeune et jolie soit-elle, n’est qu’un guide parmi d’autres sur un chemin que Lazare doit parcourir lui-même.

Il en va de même de quelques rencontres, comme celle de Denis, ancien « dealer d’optimisme » revenu à la religion juive, ou de quelques amis qui sont pour lui comme des repères, Walter ou Saint-Roy notamment. De proche en proche, ils lui feront faire d’autres rencontres qui le pousseront à faire le saut de la foi, comme le père Raguénès ou Xavier, le frère de Walter (on pourra faire à Lapaque, à propos de Xavier, le reproche de lui mettre dans la bouche des propos qui semblent plus écrits que parlés ; les tirades de Xavier paraissent parfois manquer de naturel ; trop théoriques, peut-être ?).

L’effort qu’a à faire Lazare passe par la découverte des beautés du monde – la Création et les œuvres des hommes en harmonies avec celle-ci, aussi bien dans un match de rugby entre clubs amateurs que dans une forêt, un oiseau ou Shakespeare (libéré des élucubrations de metteurs en scène contemporains) – en franchissant le mur de l’Immonde. Et peu à peu en tirer les conséquences, entrer dans les églises autrement qu’en touriste. À ce propos, une interrogation : lorsque Lazare, passant à Chartres, sa ville natale, un dimanche[i], se décide à entrer dans la cathédrale pour assister à la messe, on lit : « un clerc apporta un livre saint serti d’argent tandis qu’un autre balançait un ostensoir qui diffusa une odeur d’encens dans la nef. » Il s’agit évidemment d’un encensoir et non d’un ostensoir. Alors ? Lapaque aurait-il commis un lapsus que, dans un monde affreusement déchristianisé, aucun correcteur n’aura relevé ? Au travail, Lapaque ! Évangélisez-nous un peu ces gens de chez Actes Sud ! Ou alors, s’agit-il d’user à dessein d’un vocabulaire pour le moins approximatif afin de suggérer l’ampleur de l’ignorance, voire de la misère de Lazare à ce moment du récit ?

Quoi qu’il en soit, Ce monde est tellement beau comporte une exhortation à s’abandonner à la foi – confiance et louange – dans la bouche de Walter, exhortation de joueur de rugby à qui hésiterait au seuil de cette foi : « Il faut mettre la tête ! cria Walter, rentrer au casque ! »



[i] Le premier dimanche de Carême, soit dit en passant. C’est en ce moment que ça se passe !

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