Entendons-nous : il
y a bibliothèque et bibliothèque. Celle que l’on a chez soi n’est souvent que
peu de chose devant les bibliothèques publiques, universitaires, ou simplement
celles des lycées.
Pour ce qui est de ces
dernières, je garde un souvenir attendri de celle du lycée Condorcet, que je
fréquentai il y a environ un quart de siècle. Ce souvenir se confond avec celui
que j’ai du parloir, que j’avais évoqué ici naguère.
Mais pour l’heure je m’en
tiendrai à ma bibliothèque. Elle est vivante, et toujours croissante. La trouver
abondante serait n’avoir jamais vu celle d’un vrai lettré. Disons que je suis
encore d’âge moyen. S’y côtoient évidemment des livres achetés neufs ou d’occasion,
unis par la grise poussière parisienne – les livres d’occasion ont une petite
avance, ayant goûté à l’air des quais, dans les boîtes des bouquinistes. S’y
ajoutent les butins de quelques pillages de bibliothèques, choses faussement
menues laissées derrière eux par quelques proches regrettés ou par ceux de
chers et vieux amis…
En mettant de l’ordre
dans mes rayonnages ces derniers jours, je suis tombé ainsi sur un recueil de
poésies de Rimbaud. Avait-il jauni chez mes grands-parents ou chez ceux d’un
ami qui m’avait autorisé quelques prélèvements, je l’ai oublié. C’est une
édition plutôt bon marché (le prix au dos est de trois cents anciens francs)
qui n’est pas entièrement coupée…
Faut-il présenter ce
mauvais sujet (et grand poète) que fut Arthur Rimbaud ? N’insistons pas :
l’œuvre est encore appréciée et l’homme connaît son châtiment, qui consiste à
être devenu une attraction touristique de Charleville. N’accablons pas non plus
cette noble cité, qui n’est pas dépourvue de charmes, ceux de la place ducale
par exemple : une sorte de place des Vosges en réduction, laissée dans son
jus.
Mais revenons à ce voyou
de Rimbaud qui, en 1870, savait scandaliser le bourgeois (ou espérait le
scandaliser) en s’affichant républicain (ou en se rêvant tel). Ouvrant mon
recueil au petit bonheur alors que j’étais en train de le classer, je suis
tombé page 37 sur un sonnet dont voici l’antépénultième vers :
« Nous vous laissions dormir avec la République »
Drôle de vers, s’il est
pris ainsi, isolé du reste : s’agissait-il de laisser dormir les chimères
républicaines qui agitaient, en ce second empire finissant, quelques esprits
souvent tout aussi bourgeois que ceux que Rimbaud espérait scandaliser ?
Point, j’en ai peur, puisque ce vers est suivi de
« Nous couchés sous les rois comme sous une trique »
et que ces « vous »
à qui Rimbaud s’adresse sont, dès le premier vers, nommés :
« Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize »
qui ne sont pas les
victimes des sanglants massacres révolutionnaires, mais les
« Morts de Valmy, morts de Fleurus, morts d’Italie »
Il ne fallait donc pas
compter sur Arthur Rimbaud pour aider à faire remonter Henri V sur le trône. Ah,
le décevant garnement !
Cela dit, ce recueil
porte un achevé d’imprimer de mai 1958, ce que je trouve assez amusant.
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