vendredi 10 juin 2016

Recherche de paternité

Il y a quelques temps, j’évoquais ici (en note infrapaginale) les propos pour le moins condescendants tenus par Mme Vallaud-Belkacem sur France-Culture, le 23 mai, au sujet des rapports entre notre cher président et les Français. Pour mémoire, en voici une partie :
« Un responsable politique et en particulier un responsable politique au sommet de l'État, qui préside aux destinées d'un pays, d'une certaine façon il a un peu un rôle équivalent à ce que peut avoir un père de famille ou une mère de famille à l'égard de ses enfants. […] Mais réfléchissez à la façon dont vous vous comportez avec vos enfants. N'est-il pas utile que de temps en temps, vous leur donniez confiance en eux-mêmes, vous leur disiez où on va et comment on y va ? Parce que vous, vous avez l'ensemble des informations utiles pour éclairer, justement, leur chemin. »
Peut-être le poste qu’occupe actuellement Mme Vallaud-Belkacem l’aura-t-il poussée à tenir de tels propos : il se peut qu’un ministre de l’Education nationale, par une sorte de déformation professionnelle, finisse par prendre tous ses interlocuteurs – ou ses auditeurs – pour de petits enfants. Mais je n’en sais rien, après tout. Je comprendrai cela sans doute plus tard, quand je serai grand.
Cependant, quelque chose me gêne, qui me pousse à réfléchir, oh, sommairement, mon intelligence de petit garçon n’étant pas celle d’une grande personne comme, disons, M. Hollande ou Mme Vallaud-Belkacem. Et si le président n’était pas mon père, ni même un peu dans le rôle d’un père, pour moi ou pour quiconque de mes concitoyens ?
(Une précaution s’impose : le problème n’est pas la personne de M. Hollande. Je crois qu’il m’est difficile de considérer quelque Président de la République que ce soit depuis ma naissance – au temps vrombissant de Georges Pompidou – comme mon père.)
D’où me vient cette gêne ? Peut-être du fait que – du moins en théorie – le Président de la République est un citoyen comme un autre élu à ce poste par la majorité de ceux de ses concitoyens – ses pairs, ses égaux ! – qui auront bien voulu se déranger pour l’occasion. En quelque sorte, à en croire Mme Vallaud-Belkacem, il me serait demandé tous les cinq ans de contribuer au choix de mon père, y compris en décidant de le congédier s’il ne me convient pas. Voilà ce qui me laisse perplexe et dubitatif.
Je ne suis évidemment pas si naïf : je sais que Mme Vallaud-Belkacem a usé d’une image. Mais quand même, cette image me gêne.
Qu’en est-il de mon père ? Eh bien voilà, mon père, je ne l’ai pas choisi. C’est mon père, point. Et j’ai plutôt de la chance, m’entendant fort bien avec lui, ainsi qu’avec ma mère, merci. Et ils se dispensent en général de me parler comme à un petit enfant, vu mon âge.
Bien entendu, ne prétendant pas cacher mes convictions religieuses, je crois aussi que nous avons tous un Père, Qui est aux Cieux. Lequel nous aime infiniment. Et nous laisse libres de L’aimer ou non. Je ne L’ai pas élu. Il est.
De plus, étant catholique, si je m’adresse à un prêtre, je lui dirai père, et je n’ai pas prévu d’élire le curé de ma paroisse. On m’objectera que le pape est bien élu, lui : oui, mais par des cardinaux, pas par moi. Et, étant donc catholique, il ne me dérange pas de croire que la Saint-Esprit a Son rôle dans cette élection. Ajoutons que le pape mène rarement une campagne électorale semée de promesse plus ou moins démagogiques et d’attaques plus ou moins courtoises envers ses pairs au moment d’un conclave…
Observons qu’aucun de ces pères ne nous parle comme à de petits enfants qui ne comprennent pas grand-chose.
Dans un domaine plus profane et politique – et pour nous historique, mais qui sait ce que nous réserve l’avenir – il faut aussi relever la figure du roi. Le roi, normalement, ne choisit pas de le devenir, pas plus que le peuple n’est autorisé à le choisir ni à le congédier. Il est là, le peuple aussi (et il vaut mieux pour tout le monde que l’un et l’autre s’entendent). Pour le coup, le roi (ou la reine) acquiert une certaine ressemblance avec un père (ou avec une mère). Et pour le coup les responsabilités, voire les obligations, qui sont celles d’un père ou d’une mère. Un roi n’est pas là pour faire à sa guise ni pour faire avancer ses convictions ou ses intérêts, mais pour déterminer ce qu’il conviendra de donner, de laisser à ses « enfants ». Et aussi pour le leur expliquer, non pour faire leur éducation, mais parce qu’il le leur doit, en supposant que ses « enfants » sont… des adultes. Il est, en tant que « chef de famille », le responsable reconnu du bien commun.
A côté de cela, qu’est-ce qu’un président ? Un genre de syndic de copropriété, en somme. De ceux qui se vexent quand on ne les reconduit pas dans leurs fonctions. S’il outrepasse cette limite et commence à se prendre pour un père, il connaîtra vite le désamour dont pâtissent beaux-pères, marâtres ou tuteurs dans pas mal de romans, bons ou mauvais, et même dans certains contes de fées…

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