vendredi 22 avril 2016

Des comiques et des écrivains

On sait rire en Allemagne :
L'humoriste – ou fantaisiste – allemand Jan Böhmermann s’est récemment fait remarquer pour quelques vers de mirliton, diffusés sur une chaîne de télévision de son pays, paraît-il insultants pour M. Erdogan, président de la république de Turquie. Ledit président, pris d’une fureur réelle ou feinte, a réclamé pour cela des poursuites contre ce monsieur par la justice allemande.
Certes, insulter qui que ce soit reflète toujours un certain manque d’élégance. Il y a toujours des manières plus fines de rire, même aux dépens d’un chef d’Etat peu recommandable. Mais l’affaire prend une tournure trouble : il existe, dit-on, une obscure loi allemande interdisant les insultes envers les chefs d’Etats étrangers ; et Mme Merkel aurait déclaré n’avoir rien contre son application en l’occurrence, compte tenu des liens exceptionnels et historiques entre la Turquie et l’Allemagne.
Cela appelle trois remarques :
Premièrement, supposons que Mme Merkel n’aura pas songé, en matière de liens entre l’Allemagne et la Turquie, à ceux qui existèrent par exemple en 1915. Ce serait plutôt déplacé.
Deuxièmement, cette histoire me rappelle, je ne sais pourquoi, un passage du monologue de Figaro dans Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais. Allez y jeter un coup d’œil et vous me direz à quoi servent les proclamations républicaines, démocratiques et humanitaires qu’on entend çà et là d’habitude.
Troisièmement, cet événement n’a guère fait de bruit chez nous. Où sont passé le charlisme et la défense de la liberté d’expression à tout prix ? Imaginons un instant la même affaire avec un autre nom qu’Erdogan. Poutine ou Orban, par exemple : quel beau scandale ce serait[i] !
Ça va mieux, merci :
On raconte que la semaine dernière le célèbre auteur des blagounettes s’est produit à la télévision. A ses dires, cela va mieux. On l’en félicite, en lui souhaitant une meilleure santé.
Son prédécesseur aurait déclaré peu avant à qui voulait l’entendre qu’il n’avait pas l’intention de regarder ce passionnant spectacle. Compte tenu de la proverbiale – et constante – versatilité de cet autre fantaisiste national, on ignore s’il a tenu parole.
Pour ma part, je me suis abstenu de ce divertissement, offert par notre amuseur suprême. J’avais mieux à faire ce 14 avril et je n’ai même pas la télévision.
Ledit amuseur a ensuite honoré quelques pays orientaux d’une tournée dont j’ignore si elle a répandu l’hilarité dans ces contrées traversées par de douloureuses épreuves. Il a cependant eu son petit succès au musée copte du Caire, grâce à un de ces bons mots aussi spontanés qu’inspirés dont il a le secret. Alors qu’un journaliste local manifestait sa perplexité devant l’impopularité de notre vedette en son propre pays, celle-ci lui a répondu : « vos prières sont les bienvenues ».
Curieusement, cela ne m’a pas fait rire. D’abord parce que les intentions de prière des coptes sont sans doute assez chargées en ce moment. Ensuite parce que la prière, si elle n’est pour un comique mollement laïcard que l’objet de quelques petites blagues, est une chose certainement sérieuse pour les coptes qui l’écoutaient ce jour-là ; un tel propos est pour le moins condescendant. Pour moi aussi, du reste, la prière est une chose sérieuse. Je veux bien prier pour M. Hollande, mais si, mais si ! Pas pour sa popularité, dont je me soucie au moins aussi peu qu’il semble se soucier de toute vie spirituelle. En revanche, pour qu’il songe au bien commun et œuvre pour lui, le temps qui lui reste à son poste, cela me va.
Pensée de droite :
Lu il y a quelques jours dans le blogue de Patrice de Plunkett un épastrouflant florilège de citations de Mme Chantal Delsol (voir ici), tirées de la préface qu’elle a commise pour un récent ouvrage de Frédéric Rouvillois, La Clameur de la Terre – les leçons politiques du pape François. Vu la teneur de certains articles qu’il a publiés dans la presse (ici par exemple), il y a fort à parier que Rouvillois développe dans ce livre (que je n’ai pas encore lu) des propos favorables au pape François.
Or il semble que cela n’ait pas l’heur d’être du goût de Mme Delsol, qui doit avoir un problème avec l’écologie, notion dont on sait qu’elle a les faveurs du pape.
De plus, pour qui a lu quelques-uns de ses ouvrages, les sympathies monarchistes de Frédéric Rouvillois ne sont pas un mystère. Mme Delsol fait un sort à celles-ci, les qualifiant de « chimériques ».
Tout cela est un peu fort de café : préfacer un livre pour le contredire, voire le démolir, voilà qui manque d’élégance, pour commencer. De plus, qualifier de chimériques les idées d’un auteur qui a brillamment exposé en quoi les utopies peuvent être dangereuses (voir ici), c’est ce que l’on appelle ne pas manquer d’air, de même que considérer l’encyclique Laudato si’ comme un « salmigondis ». Sur ce dernier point, j’ignore dans quels pots Mme Delsol, quant à elle, fait cuire ses ragouts.
A propos de préfaces, Mme Delsol en a récemment commis une autre, cette fois pour un recueil des œuvres complètes de Rivarol, Chamfort et Vauvenargues, paru cette année en « Bouquins ». Bon, que la viande soit un peu longue et parfois filandreuse, c’est un fait, et c’est après tout le lot d’une préface érudite et universitaire ; mais l’ensemble est plutôt digeste. Notons au passage que Mme Delsol semble apprécier le genre de monarchie qui a selon elle les faveurs de Rivarol : une monarchie constitutionnelle, à l’anglaise, raisonnable, quoi. Passons, connaissant le modèle de cohésion sociale que fut le Royaume-Uni de temps à autre (après tout, Antoine de Rivarol ne pouvait pas prévoir l’apparition de Margaret Thatcher, étrange créature adulée de tout libéral-conservateur qui se respecte), ou l’exemple convaincant de la Monarchie de Juillet. Rêverie louis-philipparde ? Ce n’est pas très sérieux. Observons enfin, et cela semble être sa marque de fabrique, que Mme Delsol ne peut s’empêcher de reprocher à Rivarol son manque de rigueur. C’est sans doute ignorer qu’on lit plutôt Rivarol pour son sens du bon mot qui vise juste et frappe fort. Rivarol est un écrivain talentueux, voire génial, mais un écrivain contre, ce qui constitue sans doute sa limite, mais n’a rien à voir avec un éventuel manque de rigueur.
L’honneur, même posthume, d’une préface de Mme Delsol paraît donc redoutable.
Ecrivains de droite- et d’ailleurs :
Bien entendu, il ne faut pas confondre Antoine de Rivarol avec Rivarol, follicule réputé d’extrême droite, qui existe encore, me suis-je laissé dire. Reconnaissons à cette publication l’honneur d’avoir accueilli dans ses colonnes le talent d’un autre « Antoine de Rivarol » : il s’agit d’Antoine Blondin. Les amateurs pourront lire certains des articles de lui parus dans Rivarol dans les années 1950, dans Ma Vie entre des lignes. Curieusement, ce recueil ne comprend pas la critique élogieuse qu’il fit en 1952 d’un roman magnifique, œuvre d’un ami d’André Breton qui fut en son temps encarté au PCF : Le Rivage des Syrtes, de Julien Gracq. Lequel, à en croire la biographie de Blondin par Alain Cresciucci (parue chez Gallimard en 2004), apprécia fort cette critique.
Comme quoi, en 1952, la littérature permettait de conserver quelques morceaux de civilisation, à gauche, à droite… 




[i] Que l’on se rassure : je n’ai prévu de passer mes prochaines vacances avec aucun de ces deux messieurs.

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