samedi 28 février 2015

Etranges libertés

La France… non, la République… non, enfin… notre président, nos ministres aussi, sont sous la protection d’un nouveau talisman : le désormais célèbre Esprit du 11 janvier. Au moindre problème, le voilà invoqué pour rassembler les Français, en ces heures graves, que ce soit pour rabibocher MM. Boubakeur et Cukierman ou pour faire passer une loi du moment, lorsqu’elle fait grincer quelques dents.
Liberté de censure (1)
Je pense bien sûr au feuilleton parlementaire de la semaine dernière, autour de la loi Macron, laquelle n’est pas, selon les mots mêmes de notre bon président, la loi du siècle. On sait quels en furent les épisodes : cette loi a provoqué par le caractère libéral de certains de ses articles – notamment en ce qui concerne le nombre de dimanches ouvrables ( !) par an – l’ire de quelques députés de la majorité, qui se promettaient de voter contre. Las ! C’était compter sans l’ire de M. Valls (sans parler de l’agacement de M. Macron), provoquée par celle des frondeurs : en gros, le gouvernement n’a pas de temps à perdre avec ceux qui s’opposent à sa politique, surtout quand il a pour mission de défendre la France contre le terrorisme. On ne voit pas trop le rapport, mais il semble qu’exposer des réserves (voire pire) au sujet d’un projet de loi relève désormais du péché contre l’Esprit du 11 janvier. Et les péchés contre l’esprit sont impardonnables, comme on le sait, d’où le tonitruant courroux de M. Valls (auquel on est en fait assez habitué).
Notre premier ministre, bien que fâché, n’a point voulu voir se damner par un tel péché ses camarades frondeurs : il a donc choisi, conformément à l’alinéa 3 de l’article 49 de notre constitution, d’adopter ce projet de loi, revendiqué comme mineur, sans le soumettre au vote des députés. Occasion rêvée pour l’opposition de déposer une motion de censure contre le gouvernement, laquelle a été rejetée, les frondeurs ayant voté contre : après l’heure de la mutinerie était venue celle de la soupe, sonnée par le parti socialiste, qui ne saurait tolérer une telle indiscipline ; quand on est député de la majorité, on vote les lois proposées par le gouvernement, les yeux fermés, un point c’est tout.
Dans ce cas, si un député ne peut voter selon ses convictions ou le programme sur lequel il a été élu, il est légitime de se demander s’il ne faudrait pas se passer du parlement. Il suffirait, tous les cinq ans, de compter les circonscriptions où un parti ou un autre aurait la majorité, de nommer le gouvernement en fonction du parti vainqueur et ensuite de le laisser faire à sa guise pendant cinq ans. Quelle économie pour l’Etat !
(Mais on me souffle que cela se nommerait un plébiscite, mot qui a un air furieusement « Napoléon III ». Ce serait très, très mal.)
Liberté de manifester
Qu’eût-il fallu faire pour s’opposer à un tel projet, notamment en ce qui concerne les dimanches ? Manifester ? Pétitionner ? Pourquoi pas… Dans ce sens, Jérôme Leroy publia récemment un bref article, malheureusement déjà indisponible, sur le site de Causeur (mais disponible ici). M. Leroy s’y étonne (ou feint de s’étonner) de ce que les « cathos » descendus par centaines de milliers dans la rue pour les Manifs pour tous n’aient pas bougé d’un pouce pour protester contre une disposition fort peu compatible avec des pratiques chrétiennes. Naturellement, M. Leroy les soupçonne d’incohérence : antilibéraux en matière de mœurs, mais libéraux quand il s’agit d’économie. C’est sans doute vrai pour une partie d’entre eux, dont les indignations sont certainement un peu trop sélectives. Mais il ne faudrait pas généraliser non plus, et certains lecteurs de Causeur ont répondu à M. Leroy par une objection que j’approuve tout à fait : les Manifs pour tous nous ont usé les semelles et les articulations, ainsi que les cordes vocales, pour être souverainement ignorées par nos gouvernants, quand ceux-ci ne nous insultaient pas ou ne faisaient pas charger des CRS dans le tas[i]. 
Et puis M. Leroy n’avait qu’à organiser des manifestations. Peut-être quelques « cathos de LMPT » seraient-ils venus, qui sait ? Nous eussions pu défiler, disons entre la Bastille et les Invalides, histoire de montrer que ce n’eût pas plus été une manifestation de gaûûûche qu’une manifestation de drouâââte.
Liberté de censure (2)
Quelques jours plus tard, M. Leroy a repassé les plats, cette fois à propos de publicités pour un site de rencontres extra-conjugales[ii], publicités qu’une association familiale catholique[iii] et quelques maires souhaitent faire interdire. Là encore, M. Leroy croit pouvoir relever la même incohérence, tout en approuvant ces protestations. Mais attention : lui, c’est parce qu’il est de gauche, et par conséquent antilibéral : ce site de rencontres est une exploitation marchande de l’adultère. Il n’a pas tort, du reste, mais où a-t-il vu que cet aspect des choses échappait à tous les catholiques, dont les seuls sujets d’indignation se ramèneraient au sexe[iv] ? M. Leroy est bien gentil, il n’écrit pas mal et dit parfois des choses justes : mais il devrait de temps en temps oublier ses postures de communiste chic et les préjugés qui vont avec. Il y gagnera beaucoup.
Cela étant posé, le propos n’est pas de commenter les écrits de M. Leroy, puisqu’il n’a d’ailleurs pas complètement tort. Laissons-le en paix et gageons que dans cette dernière minuscule affaire, on verra se former un front libéral pour faire taire les protestations : «  de quoi se mêlent ces gens, on ne nuit à personne (tu parles) », sans crier trop fort : « et puis quand même c’est un bon business, non ? ». Evidemment, pour protéger ce genre d’affaires (et de plus crapoteuses encore), il y aura toujours des idiots utiles pour traiter de vieilles chaisières obsédées ceux qui s’en inquiètent.



[i] A ce propos, le surnom de Manu Militari donné récemment à M. Valls par Libération au sujet du « 49-3 » qu’il a dégainé, ce surnom traînait un peu partout dans la réacosphère en 2013. Ne le dites pas aux journalistes de Libération, ils en rougiraient peut-être.
[ii] Dont, sans me vanter, j’avais déjà touché un mot (ici) au temps des premiers vagissements de Chatty Corner.
[iii] Des « cathos tradis », évidemment, selon la grosse presse. Hou, les vilains réacs tous moisis !
[iv] Pour résumer, on pourrait dire que l’adultère est un mal, qui fait souffrir les cocus, mais aussi leurs enfants, et même les époux infidèles. Il est donc immoral d’encourager ces pratiques. Quant à en faire une affaire lucrative, là, on touche le fond. Mais un vrai libéral, en toute logique, n’y verra aucun mal, puisque justement c’est lucratif. Point n’est besoin d’être de gauche pour le comprendre.

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