La France… non, la
République… non, enfin… notre président, nos ministres aussi, sont sous la
protection d’un nouveau talisman : le désormais célèbre Esprit du 11
janvier. Au moindre problème, le voilà invoqué pour rassembler les Français,
en ces heures graves, que ce soit pour rabibocher MM. Boubakeur et Cukierman ou
pour faire passer une loi du moment, lorsqu’elle fait grincer quelques dents.
Liberté
de censure (1)
Je pense bien sûr au
feuilleton parlementaire de la semaine dernière, autour de la loi Macron,
laquelle n’est pas, selon les mots mêmes de notre bon président, la loi du
siècle. On sait quels en furent les épisodes : cette loi a provoqué
par le caractère libéral de certains de ses articles – notamment en ce qui
concerne le nombre de dimanches ouvrables ( !) par an – l’ire de quelques
députés de la majorité, qui se promettaient de voter contre. Las ! C’était
compter sans l’ire de M. Valls (sans parler de l’agacement de M. Macron),
provoquée par celle des frondeurs : en gros, le gouvernement n’a
pas de temps à perdre avec ceux qui s’opposent à sa politique, surtout quand il
a pour mission de défendre la France contre le terrorisme. On ne voit pas trop
le rapport, mais il semble qu’exposer des réserves (voire pire) au sujet d’un
projet de loi relève désormais du péché contre l’Esprit du 11 janvier.
Et les péchés contre l’esprit sont impardonnables, comme on le sait, d’où le
tonitruant courroux de M. Valls (auquel on est en fait assez habitué).
Notre premier ministre,
bien que fâché, n’a point voulu voir se damner par un tel péché ses camarades frondeurs :
il a donc choisi, conformément à l’alinéa 3 de l’article 49 de notre
constitution, d’adopter ce projet de loi, revendiqué comme mineur, sans le
soumettre au vote des députés. Occasion rêvée pour l’opposition de déposer une
motion de censure contre le gouvernement, laquelle a été rejetée, les frondeurs
ayant voté contre : après l’heure de la mutinerie était venue celle de la
soupe, sonnée par le parti socialiste, qui ne saurait tolérer une telle
indiscipline ; quand on est député de la majorité, on vote les lois
proposées par le gouvernement, les yeux fermés, un point c’est tout.
Dans ce cas, si un député
ne peut voter selon ses convictions ou le programme sur lequel il a été élu, il
est légitime de se demander s’il ne faudrait pas se passer du parlement. Il
suffirait, tous les cinq ans, de compter les circonscriptions où un parti ou un
autre aurait la majorité, de nommer le gouvernement en fonction du parti
vainqueur et ensuite de le laisser faire à sa guise pendant cinq ans. Quelle
économie pour l’Etat !
(Mais on me souffle que
cela se nommerait un plébiscite, mot qui a un air furieusement « Napoléon
III ». Ce serait très, très mal.)
Liberté
de manifester
Qu’eût-il fallu faire
pour s’opposer à un tel projet, notamment en ce qui concerne les
dimanches ? Manifester ? Pétitionner ? Pourquoi pas… Dans ce
sens, Jérôme Leroy publia récemment un bref article, malheureusement déjà indisponible, sur le site de Causeur (mais disponible ici).
M. Leroy s’y étonne (ou feint de s’étonner) de ce que les « cathos »
descendus par centaines de milliers dans la rue pour les Manifs pour tous
n’aient pas bougé d’un pouce pour protester contre une disposition fort peu
compatible avec des pratiques chrétiennes. Naturellement, M. Leroy les
soupçonne d’incohérence : antilibéraux en matière de mœurs, mais libéraux
quand il s’agit d’économie. C’est sans doute vrai pour une partie d’entre eux,
dont les indignations sont certainement un peu trop sélectives. Mais il ne
faudrait pas généraliser non plus, et certains lecteurs de Causeur ont
répondu à M. Leroy par une objection que j’approuve tout à fait : les Manifs
pour tous nous ont usé les semelles et les articulations, ainsi que les
cordes vocales, pour être souverainement ignorées par nos gouvernants, quand
ceux-ci ne nous insultaient pas ou ne faisaient pas charger des CRS dans le tas[i].
Et puis M. Leroy n’avait
qu’à organiser des manifestations. Peut-être quelques « cathos de
LMPT » seraient-ils venus, qui sait ? Nous eussions pu défiler,
disons entre la Bastille et les Invalides, histoire de montrer que ce n’eût pas
plus été une manifestation de gaûûûche qu’une manifestation de drouâââte.
Liberté
de censure (2)
Quelques jours plus tard,
M. Leroy a repassé les plats, cette fois à propos de publicités pour un site de
rencontres extra-conjugales[ii],
publicités qu’une association familiale catholique[iii] et
quelques maires souhaitent faire interdire. Là encore, M. Leroy croit pouvoir
relever la même incohérence, tout en approuvant ces protestations. Mais
attention : lui, c’est parce qu’il est de gauche, et par conséquent
antilibéral : ce site de rencontres est une exploitation marchande de
l’adultère. Il n’a pas tort, du reste, mais où a-t-il vu que cet aspect des
choses échappait à tous les catholiques, dont les seuls sujets d’indignation se
ramèneraient au sexe[iv] ?
M. Leroy est bien gentil, il n’écrit pas mal et dit parfois des choses
justes : mais il devrait de temps en temps oublier ses postures de
communiste chic et les préjugés qui vont avec. Il y gagnera beaucoup.
Cela étant posé, le propos
n’est pas de commenter les écrits de M. Leroy, puisqu’il n’a d’ailleurs pas
complètement tort. Laissons-le en paix et gageons que dans cette dernière
minuscule affaire, on verra se former un front libéral pour faire taire les
protestations : « de quoi se mêlent ces gens, on ne nuit à
personne (tu parles) », sans crier trop fort : « et puis
quand même c’est un bon business, non ? ». Evidemment,
pour protéger ce genre d’affaires (et de plus crapoteuses encore), il y aura
toujours des idiots utiles pour traiter de vieilles chaisières obsédées ceux
qui s’en inquiètent.
[i] A ce propos, le surnom de Manu Militari donné récemment à M. Valls
par Libération au sujet du
« 49-3 » qu’il a dégainé, ce surnom traînait un peu partout dans la réacosphère en 2013. Ne le dites pas aux
journalistes de Libération, ils en
rougiraient peut-être.
[ii] Dont, sans me vanter,
j’avais déjà touché un mot (ici) au temps des premiers vagissements de Chatty Corner.
[iii] Des « cathos
tradis », évidemment, selon la grosse presse. Hou, les vilains réacs tous
moisis !
[iv] Pour résumer, on pourrait
dire que l’adultère est un mal, qui fait souffrir les cocus, mais aussi leurs
enfants, et même les époux infidèles. Il est donc immoral d’encourager ces
pratiques. Quant à en faire une affaire lucrative, là, on touche le fond. Mais
un vrai libéral, en toute logique, n’y verra aucun mal, puisque justement c’est
lucratif. Point n’est besoin d’être de gauche pour le comprendre.
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