Non, vous n’aurez pas ici de réflexions de ma part
sur Mme Taubira et la Marseillaise. Ni
sur la journée nantaise de la jupe, pas plus que sur la victoire au concours de
l’Eurovision d’une chanteur-e autrichiens[i].
Si ce n’est que toucher le fond permet de constater, bien souvent, que celui-ci
est assez meuble et offre donc la possibilité de creuser encore. Haussons donc
poliment nos amples épaules devant ces sottises et les réactions
disproportionnées qu’elles provoquent.
Il y a plus grave, après tout. Comme l’enlèvement
récent par une bande islamiste de deux cents écolières nigérianes, promises par
leurs ravisseurs à la vente sur quelque marché aux esclaves. Nous pourrions
dire : qu’y pouvons-nous, puis passer à autre chose. Oui, mais à partir du
moment où nous en sommes informés, à moins d’être des brutes…
Touit # prurit
De telles nouvelles provoquent inévitablement des
réactions plus ou moins réfléchies. Quiconque aujourd’hui a quelque notoriété
se croit sommé d’émettre un touit sur tout et n’importe quoi. Avec, le plus
souvent, un résultat qui se résume à… tout et n’importe quoi. Tel M. Mariani,
député UMP des Français de l’étranger, qui a asséné le 7 mai un : « #Nigéria. L'enlèvement par secte #BokoHaram
rappelle que l'Afrique n'a pas attendu l'Occident pour pratiquer l'esclavage #Déculpabilisation ».
En soi, l’affirmation n’est pas complètement fausse,
mais à quoi nous invite-t-elle ? Pas même à réfléchir. Cela ressemble plutôt
à un ronchonnement plus ou moins forcé, censé probablement caresser quelques droitards dans le sens du poil,
particulièrement avec ce « #Déculpabilisation ».
Il faudrait peut-être faire remarquer à M. Mariani
que le mal commis par d’autres ne saurait exonérer nos chers et vieux pays
européens des fautes qui y ont été commises, fautes dont nous sommes en quelque
sorte solidaires ou héritiers, que cela nous plaise ou non. Disons que ce mal
devrait nous aider à comprendre combien il importait pour nos pays de renoncer
à ces fautes et combien il importe, si ce n’est déjà fait, d’en demander une
bonne fois pardon – et non, soit dit en passant, d’en profiter pour faire une
petite séance d’autodénigrement avec des manières de chaisières de gauche.
Quant aux droitards,
pour les convaincre, comme je sais qu’il en est de fort lettrés, je leur
conseille de lire – ou de relire – La cabane
dans la vigne, d’Ernst Jünger, écrivain rarement détesté par les droitards cultivés et intelligents. Ils y
trouveront ceci, en date du 16 mai 1945, au sujet d’une Allemagne vaincue,
meurtrie, livrée au pillage et à la destruction, mais aussi pas tout à fait
innocente :
« Cependant,
nous ne pouvons nous dépouiller de notre appartenance à notre peuple. Il est
dans la nature des choses que le malheur de notre famille, les souffrances de
notre frère nous poignent plus cruellement – et aussi que nous soyons plus
étroitement associés à sa faute. Elle est nôtre. Il nous faut verser caution
pour elle, la payer. »
Mais toutes ces discussions, aussi intéressantes
soient-elles[ii], ne
libèreront pas ces jeunes Nigérianes.
Touit # humanitaire
Sur un plan terrestre, concret, que faire ?
Pour vous et moi, à peu près rien. Devons-nous donc nous contenter d’une
indignation aussi impuissante qu’elle est vertueuse ? Nous y reviendrons,
nous y reviendrons.
Certains, en tout cas, ne se satisfont qu’à moitié
de cette impuissance. Il leur faut afficher leur indignation. Pris eux aussi
par la manie du touit, ils se répandent en messages finissant tous par « #BringBackOurGirls ». Ce genre d’affichage
n’est ni coûteux ni dangereux et ne nécessite aucun effort particulier. Une manière
facile de soulager sa conscience, en somme, comme à peu près tous les grands
messages humanitaires. Ça ne mange pas de pain, comme dit le peuple.
Qu’il nous soit permis de douter de l’efficacité d’une
telle attitude : comment croire aux frayeurs ou aux remords qui naîtraient
chez un chef de bande fanatique parce que Mme Obama ou je ne sais quelle belle
âme a écrit Bring back our girls ?
Touit # prière
Le drame des esprits modernes, dans de telles
situations, c’est qu’ils ne savent pas à qui s’adresser, et que leurs
suppliques risquent de se perdre dans le vide. Elles finissent par ne plus
ressembler qu’à des vagissements sentimentaux et mièvres.
J’ai éprouvé – Dieu me pardonne ! – une légère
crainte en lisant dans une dépêche de l’agence Zenit que le Pape lui-même avait
touité son petit Bring back our girls.
Oui, mais lui sait à Qui s’adresser dans ce cas, écrivant : « Unissons-nous tous dans la prière pour que
soient immédiatement relâchées les lycéennes enlevées au Nigeria.
#BringBackOurGirls. »
Admirable, jésuitique ruse : endossant
momentanément les oripeaux de la modernité, s’infiltrant dans la masse des
pleurnichards, il leur rappelle soudain quel est le seul acte raisonnable qu’ils
puissent poser : prier et inviter à prier.
[i] Eh bien, perdrais-je toute
notion de grammaire ? Point du tout, voyons : pourquoi ne pas appliquer
à la grammaire la théorie du genre,
enrichie d’une théorie du nombre ?
En ce qui concerne la prière, il est étonnant qu'elle ne soit pas davantage pratiquée par notre personnel politique : ces paroles engagent moins qu'une promesse électorale, et ne coûtent rien au budget de l'Etat.
RépondreSupprimerOui, mais que fais-tu alors de la laïcité ? Sur un autre plan (plus sérieux mais pas meilleur), le politicien se dirait sans doute que prier, c'est avouer ses limites - sans compter cette expression courante, quand on a tout essayé : "reste plus qu'à prier".
SupprimerEnfin on peut aussi se demander qui (ou Qui) est engagé par la prière, en effet.
SL