Le sourire amical que j’adressai
tantôt à nos voisins d’Italie est devenu, par la force des choses, un sourire
fraternel et navré. Nous voilà donc, nous aussi, sommés de nous enfermer chez
nous, ce qui devrait bientôt arriver – et arrive déjà – dans certains pays. Ces
conditions sont dures, mais si elles sont nécessaires pour éviter une
catastrophe – ou du moins en limiter les effets – il nous faut nous y plier
avec discipline.
Cette épreuve nous frappe
en plein Carême, et en l’occurrence les privations qu’il nous faut endurer ne
sont pas de ces « petits sacrifices » pas si durs auxquels nous
consentons pieusement chaque année. Nous voilà privés jusqu’à nouvel ordre de
messes et de sacrements. Dans le désert, il nous reste la prière et la charité.
C’est peut-être dans de telles circonstances que nous sommes capables d’en
saisir l’importance. De saisir aussi ce qu’est la solitude de ceux que leur
santé empêche en permanence de sortir de chez eux. Ou encore ce qu’est la faim,
quand sortir acheter à manger devient une aventure guère exaltante[i]. Et aussi
d’apprendre cette vertu qu’est la patience.
Évidemment, pour ceux
qui, depuis quelques jours, travaillent à distance, les choses ne sont pas si
difficiles[ii] :
ils ont de quoi occuper leurs journées et sont même payés à cela[iii]. Quant
aux autres confinés, il leur faut bien trouver quelque chose à faire. D’aucuns
inventent de petits jeux idiots ou amusants, se filment et répandent cela sur
Internet. C’est, certes, souvent sympathique, mais un peu vain. Au bout de la
vingtième plaisanterie relayée par un ami ou un parent, on finit par se lasser.
D’autres se gavent de films ou de séries télévisées : je ne sais pas dans
quel état se trouve leur cerveau chaque soir.
Reste la lecture. Les gros
lecteurs poursuivront probablement un programme déjà établi, dévorant des piles
déjà constituées, non en prévision de la dure épreuve que nous avons à subir,
mais simplement par habitude. Ou, s’ils n’avaient pas renouvelé leur stock,
peut-être avaient-ils un programme de relectures ?
Pour ma part, étant dans
ce dernier cas, j’ai décidé d’être imperturbable : je relis à petites
enjambées Crime et Châtiment, que j’avais lu bien trop jeune pour tirer
de ce roman les nourritures dont il regorge. Lorsque j’aurai terminé cette
lecture, j’aviserai. J’ai malheureusement le temps, car il est probable (et
peut-être souhaitable, hélas) que la durée de ce grand enfermement excède les
deux semaines initialement annoncées.
Suis-je d’ailleurs aussi
imperturbable que je l’affirme ? J’ai remarqué que, chaque fois que des
personnages se serrent la main ou se donnent une accolade, j’ai peur pour eux. Mais
l’actualité influence parfois aussi nos lectures d’une manière plus directe.
Il a été beaucoup dit,
par exemple, que La Peste de Camus s’est dernièrement vendu comme de
petits pains, à une époque où il était encore possible d’entrer dans une
librairie pour acheter des livres. Curieuse idée, à mon goût, que celle de
vouloir ainsi coller à l’actualité à travers la littérature. À tout le
moins, je garderais ce genre de lecture pour plus tard. Et à qui tient à des
lectures en rapport avec la situation où nous nous trouvons, je conseillerai
plutôt le Voyage autour de ma chambre, de Xavier de Maistre. Il n’est pas
inutile pour le moral de lire aussi des choses drôles.
Bien entendu, pour qui n’a
pas ce livre chez soi, il est un peu tard[iv] :
l’idée de se faire livrer à domicile quoi que ce soit, y compris des livres, si
elle est séduisante, sollicite le concours de personnes pour préparer,
emballer, transporter et déposer les commandes, s’exposent à la contagion. Nos plaisirs,
même les plus élevés, ne valent pas la vie d’un homme. il vaudrait mieux que
les personnes ainsi sollicitées aient, comme la plupart d’entre nous, la
possibilité, la chance même, de rester chez elles.
Cessons donc, nous autres
confinés, de nous plaindre : restons chez nous, prions, lisons, rions et
faisons quelque chose pour nos prochains, autant que cela nous est possible.
[i] Cette aventure est à relativiser,
à côté de ce que doivent vivre ceux qui travaillent dans les boutiques et
magasins que nous fréquentons.
[ii] À condition, il est vrai,
de vivre seuls. La solitude a aussi des avantages.
[iii] Cela dit sans dénigrer
en aucun cas ces personnes, dont je fais partie.
[iv] Mais ne constatons-nous
pas qu’il est – d’une manière bien plus préoccupante – un peu tard pour
beaucoup de choses ? Demandez aux médecins des hôpitaux (et aux personnels
médicaux en général) dont le dévouement n’a d’égal que le mépris avec lequel
ils ont été traités par des gouvernements successifs ces dernières années.
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