samedi 10 août 2019

De quelques jubilés

L’homme aime à commémorer les événements, en particulier au bout d’un nombre « rond » d’années. La raison pour laquelle ce genre de nombre est considéré comme rond lorsqu’il est un multiple de 5 – plus particulièrement de 10 ou de 25 – tient probablement à des facilités de calcul. J’ignore pour ma part si 5, 10 ou 25 ont quelque signification symbolique, mais force est de reconnaître que les multiples de 3 ou de 7, par exemple, sont un peu moins faciles à calculer et à ajouter aux années où se sont produits les événements à commémorer.
Sur ces bases arithmétiquement simples, voire simplettes, les événements à commémorer l’été 2019 n’ont pas manqué ou ne manquent pas. Retenons-en trois.
Pour commencer, prenons les 75 ans de la libération de Paris. La mémoire en est chère à tout Parisien et, pourquoi pas, à tout Français. J’en ai déjà touché un mot ici, il y a cinq ans, cédant déjà aux facilités arithmétiques dont je me gaussais à l’instant. Hélas, pour quelques années, Notre-Dame de Paris manquera à ces célébrations. C’est tout ce que j’ajouterai à mes propos d’il y a cinq ans.
Observons qu’un gros mois avant d’être libérés (ou de se libérer), quelques Parisiens purent dire, aussi surpris qu’amusés : « tiens, ils s’arrêtent entre eux, maintenant ». C’était le 20 juillet 1944, date que l’on pourrait croire plus commémorée en Allemagne qu’en France : jamais des Allemands n’avaient été aussi près de se débarrasser eux-mêmes du régime nazi. J’étais prêt à céder à ce préjugé, sur la base de souvenirs vieux de 25 ans : à Stuttgart, où je me trouvais l’été 1994, les vitrines des librairies étaient envahies d’ouvrages consacrés à cet événement, vieux alors de 50 ans ; mais il est vrai que le maire de Stuttgart se nommait alors Rommel et avait quelque intérêt à associer le nom de son père à celui des conjurés. Et, après tout, Claus von Stauffenberg était un Wurtembergeois.
Or, paraît-il, on ferait aujourd’hui la fine bouche en Allemagne devant ce souvenir. C’est que, voyez-vous, tous les conjurés n’étaient pas de tendres démocrates et qu’ils ont attendu juillet 1944 pour passer à l’action, alors que le IIIe Reich commençait à accuser une tendance au rétrécissement. À la première de ces réserves, il est facile de répondre par cette question : et les tendres démocrates, qu’avaient-ils tenté jusque-là ? Répondre à la second est plus délicat : il est vrai que bon nombre des conjurés étaient des militaires que les succès des armées allemandes avaient pu griser un moment ; mais il est aussi et surtout vrai que renverser un régime totalitaire en commençant par éliminer le chef suprême de celui-ci n’est pas un tâche des plus faciles. Avant de reprocher aux conjurés de juillet 1944 le caractère tardif de leur acte, il convient de se renseigner sur la préparation de celui-ci et sur les difficultés qu’ils rencontrèrent pour l’accomplir. Il y a des piles de livres là-dessus. Et, surtout, il convient de ne pas dénigrer le courage d’hommes qui payèrent de leurs vies l’échec d’un noble sursaut, d’autant plus noble qu’il y en eut bien peu d’autres en Allemagne pour tenter l’entreprise.
Du courage, il en fallut probablement une bonne dose aux trois astronautes américains qui, en juillet 1969, s’en allèrent sur la Lune. Le cinquantenaire de cet exploit, aussi technique qu’humain, nous aura été rappelé cet été. Il est à noter que pour sa part technique, il doit beaucoup aux hautes compétences de Wernher von Braun. L’homme s’y connaissait depuis un moment en fusées : pendant que Stauffenberg échouait (de peu) à pulvériser Hitler, les jolies fusées de Werhner von Braun, après une parfaite trajectoire, parvenaient à faire découvrir aux Londoniens les dernières merveilles de la technique allemande. Et, du reste, von Braun ne se souciait guère, croit-on savoir, des conditions dans lesquelles ses jolies fusées étaient fabriquées[i].
C’est peut-être pourquoi je préférerai toujours mille fois un Claus von Stauffenberg à un Wernher von Braun.


[i] Les amateurs de littérature américaine pourront lire L’Arc-en-ciel de la gravité (Gravity’s Rainbow) de Thomas Pynchon. Et les amateurs de chansons américaines pourront en écouter une, irrésistible, de Tom Lehrer.

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