mardi 6 septembre 2016

Pas de costume de bain ?

« Mais nous n’avons pas de costumes de bain ! » s’exclame la jeune fille, avec juste ce qu’il faut d’accent allemand pour être charmante. Cette réplique, tirée de Frantz, le nouveau film de François Ozon, a servi d’illustration sonore dans une récente émission de France-Culture. Je fus surpris d’entendre l’animatrice de cette émission – où Ozon était invité – répéter avec gourmandise cette réplique avant de glousser d’un rire qui sembla gagner l’ensemble du studio.
Force m’a été de m’interroger sur la raison de ce rire. S’agissait-il de se moquer de la pudeur – forcément surannée – d’une jeune fille de 1920 (époque où se déroule l’action du film) avec toute la condescendance de mise chez les esprits modernes pour nos mœurs passées (nous sommes tellement plus éclairés, de nos jours…) ? Ou ce rire résultait-il seulement d’un télescopage avec l’attention portée ces dernières semaines aux costumes de bain en France ?
De fait, dans la lamentable affaire du burkini (nous avons décidément les affaires Dreyfus que nous méritons), n’avons-nous pas entendu ce que nous pourrions appeler le parti de l’Autre (avec en tête M. Edwy Plenel, immarcescible altermoustachiste) faire un hasardeux, voire absurde, parallèle entre le burkini et les charmants costumes des baigneuses de 1900 ou 1910 ? Cependant, dans le camp opposé à celui des autristes, certains arguments tout aussi stupides ont fleuri, laissant entendre que la seule tenue décente pour une femme qui va à la plage serait la quasi-nudité.
Que penser devant de tels déballages de bêtise, voire d’hystérie ? Certes, le burkini est évidemment utilisé par celles qui le portent comme une bannière identitaire pour le moins mal venue. Ne pas y réagir serait donc une manière de céder du terrain aux islamistes de tout poil. Mais y réagir en envoyant la police forcer des femmes à se dévoiler et en donnant pour exemple la libre femme française à peu près à poil, voilà deux cadeaux faits aux islamistes : leur permettre de prétendre que les musulmans sont persécutés chez nous et que nos idéaux sont réduits à l’impudeur (ou au voyeurisme) et à l’avachissement.
Peut-être faudrait-il en faire un livre entier, accumulant de nombreux et subtils arguments. Ou y répondre par de vigoureux et ostentatoires haussements d’épaules. Entre les deux se trouvent mille manières de tomber dans le piège évoqué plus haut.
(Observons au passage une curieuse symétrie entre la femme quasi-nue et la femme burkinisée : les deux, sur les théâtres que constituent les plages, imposent aux autres le spectacle d’une conception, qu’elles croient être la leur, de leur corps ; l’une se veut libérée de je ne sais quels tabous et tient à le montrer, tandis que l’autre veut absolument montrer à tout le monde sa modestie et sa soumission à sa propre loi ; il faudrait longuement expliquer en quoi, dans ces comportements plus apparentés l’un à l’autre qu’on ne le penserait à première vue, l’extrême modernité et l’archaïsme se mêlent, comme souvent.)
Le mot burkini et son étymologie – mêlant burqa et bikini[i] – se prêtent par ailleurs à de nombreux jeux de mots que je vous épargnerai[ii]. Cependant, je trouve regrettable que l’on n’ait pas pensé par exemple à birka, qui est aussi le nom d’une ancienne ville suédoise. Cela nous aurait rappelé un bon morceau de quelque saga, ici résumé :
Un chef viking, nommé Ragnar, faisant escale sur un rivage paisible après quelque expédition, envoya un de ses hommes chercher de l’eau. Celui-ci, à son retour, rendit compte à son chef d’une rencontre qu’il avait faite en chemin : celle d’une bergère à la beauté ineffable. Le chef voulut évidemment se faire son idée d’une pareille beauté, sans s’en contenter toutefois : il voulait savoir si cette bergère avait quelque jugeote. Il ordonna donc à cet homme de retrouver la bergère et de lui demander de venir le voir, lui, Ragnar, le lendemain, quand ce ne serait ni le jour ni la nuit ; elle ne devrait porter aucun vêtement, mais sans être nue ; personne ne devrait l’accompagner, mais il ne fallait pas qu’elle vînt seule ; et elle ne devrait pas avoir mangé, tout en n’étant pas à jeun. La jeune fille vint donc à l’aube, avec son chien ; elle mâchait une pelure d’oignon et, ce qu’il fallait cacher, elle l’avait caché au moyen d’un filet de pêche. Sa sagesse venant parfaire sa grande beauté, Ragnar lui demanda de l’épouser…
Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne voit guère une telle sagesse s’épanouir chez nos politiciens. Tous se jettent sur le moindre sujet de polémique pour débiter quelque discours mécanique sans aucune crainte du ridicule. M. Valls, en particulier, s’y applique avec une constance qui serait à son honneur si notre pays n’était pas dans une situation inquiétante. Il y met des trésors d’éloquence républicaine. Comment ne pas goûter une de ses récentes sorties, comme « Marianne a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple, elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça, la République ! » ?
Les habitués de Chatty Corner savent le goût professé ici pour l’œuvre de Roger Nimier, en particulier pour Perfide, où un tel morceau d’art oratoire eût pu trouver toute sa place. D’ailleurs, vu le ton caricatural pris par à peu près n’importe quel discours politique en ce moment, il est légitime de se demander si les historiens futurs, pour décrire notre époque, ne seront pas obligés d’enrichir notre grammaire en inventant un temps : le plus-que-Perfide.


[i] Force est donc de rejeter l’hypothèse d’un nom suisse allemand – Bürki, par exemple – italianisé pour paraître plus raffiné. D’ailleurs, cela donnerait burchini.
[ii] Je me contenterai donc de vous renvoyer à l’excellent traitement qui en est fait chez Fromage Plus, ici.

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