vendredi 12 juin 2015

Morand et Nimier : une poire pour la soif ?

Alors qu’en 2012 quelques publications[i] avaient salué Roger Nimier cinquante ans après sa mort, on eût pu espérer un volume de la Pléiade au moins pour 2015, année où Nimier eût atteint quatre-vingt-dix ans. Il n’en est rien, apparemment, et la maison Gallimard se contente de publier une Correspondance (1950-1962) de Paul Morand et Roger Nimier, présentée, établie et annotée par Marc Dambre[ii]. Autant le dire d’emblée, ce n’est pas par cette correspondance que l’on conseillera à un néophyte d’entrer dans l’œuvre de Morand, ni dans celle de Nimier : il s’agirait plutôt de petits morceaux pour inconditionnels avides de la moindre miette[iii].
Amitié
Cependant, par quelques signes plutôt que par de longs épanchements (ce qui est très bien), nous parvenons à déceler la naissance et la croissance d’une amitié, voire d’une affection entre ces deux-là. La première lettre est de Morand et commence par « Cher confrère », ce qui vaut adoubement, ainsi qu’un peu plus loin un « je mise sur vous et ne veux pas perdre ». Pour commencer, le jeune Nimier répondra avec une certaine humilité (réelle ou de pure forme, il ne nous est pas permis de trancher).
Avec le temps, les échanges se font de plus en plus fréquents (mot plus adéquat ici que denses). On se donnera bientôt du « Cher ami », puis du « Cher Nimier », « Cher Roger » ou « Cher Paul ». L’affection est suggérée dans quelques lettres où Morand appelle Nimier « mon fils ».
Nous ne saurons jamais ce que ces deux amis se disaient. Il ne nous reste que ce qu’ils s’écrivirent : des mots brefs, où il est question de potins un rien datés, de rugby, de vin et bien sûr de voitures rapides. D’hospitalité aussi, puisque Nimier avait les clefs de la maison des Hayes, près de Rambouillet, dont Morand était le propriétaire. Là, il pouvait s’isoler pour écrire ou simplement dormir. De cette retraite naîtra (ce dont seuls quelques minces indices apparaissent) D’Artagnan amoureux.
Travail
Il se trouve donc quelques considérations sur la littérature dans cette correspondance ? Fort peu, en fait. Il y est plutôt question d’édition, voire de cuisine éditoriale, à une époque où Nimier était éditeur chez Gallimard. Nous voyons dans quelques-unes de ces lettres le souci chez Nimier de mettre en valeur l’œuvre d’écrivains qu’il admire, à commencer par Morand. Celui, aussi, de leur faire exprimer leur talent et leur intelligence au sujet d’autres écrivains, notamment en leur commandant des préfaces pour « le livre de poche classique ». Paul Morand sera évidemment requis. Ce dernier souci n’est du reste pas complètement désintéressé : c’est aussi un moyen de lancer une collection et d’arrondir les revenus de quelques écrivains (cuisine éditoriale, disions-nous…), encore que l’argent ne soit pas un besoin pressant chez Morand. Ce qui le pressait plutôt, c’était de se refaire une réputation après avoir été plutôt mal vu après la Libération.
Fantaisie
Tout cela est bel et bon, mais un peu maigre. Le plus grand plaisir qui naît de cette correspondance est celui de la fantaisie : fantaisie nimiesque (par quelques échos de son style, quelques grilles de mots croisés en quatre cases pour Hélène Morand ou quelques signatures farfelues comme « Roger Joyce ») et fantaisie morandienne, notamment aux dépens du Solitaire, autrement dit Jacques Chardonne. Ces fantaisies finiront, hélas, en queue de poisson, un soir de septembre 1962 sur l’autoroute de l’Ouest et, comme chacun sait, D’Artagnan amoureux, tout juste achevé, prendra le statut peu enviable de roman posthume.
Une bande accompagne le livre : « Le guide du parfait hussard », peut-on y lire. Publicité abusive : un tel guide ne saurait exister, Nimier ayant brisé le moule si jamais il y en eut un.
Des plaisirs aussi légers, comme un rafraîchissement pris en passant au bord de la route (le temps de laisser refroidir un peu le moteur) pourront nous sembler coupables. Auquel cas une pénitence s’impose. La maison Gallimard, qui fait parfois bien les choses, y a pourvu : concomitamment à cette correspondance-ci paraît un deuxième volume de celle de Paul Morand et Jacques Chardonne[iv], qui s’étend sur plus de mille pages entre 1961 et 1963. Toutefois, pénitence n’est pas punition : nous aurons des cailloux dans les chaussures, mais aussi peut-être quelques pierres précieuses entre les mains. Nous verrons.
En attendant un volume de Nimier dans la Pléiade[v] ? Les inconditionnels, dont je suis, en seraient enchantés, et les esprits curieux de littérature auraient tout Nimier dans une main…



[i] Parmi lesquelles un riche Cahier de l’Herne.
[ii] A qui l’on doit un travail analogue sur la correspondance de Nimier avec Jacques Chardonne, parue en 1984, mais surtout un beau travail de réédition de nouvelles ou d’articles de critique de Nimier, ainsi qu’une biographie parue en 1989. Marc Dambre est maintenant professeur émériteTempus fugit.
[iii] Mais j’affirme sur l’honneur ne rechercher aucune note de teinturier de Nimier ni de Morand ; d’ailleurs, je redoute les faux.
[iv] Le premier (1949-1960) remonte à il y a un an et demi (voir ici).
[v] Que faut-il faire ? Une pétition en ligne ? Des manifestations de rue ? En criant NIMIER POUR TOUS ?

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