Il faut croire que les
politiciens sont parfois gagnés par la boulimie, sous des formes pour le moins
curieuses : rien n’échappe à leur appétit, pas même les noms, ceux des
choses comme ceux des lieux ou des personnes.
Le
progrès ne s’arrête pas en Finlande
La lecture de quelques
récentes brèves dans la presse en ligne de langue suédoise m’a… disons
amusé : en Finlande, le gouvernement prévoit d’instaurer la neutralité des
prénoms, autrement dit d’autoriser de donner à un garçon un prénom féminin ou à
une fille un prénom masculin (voir ici). Le seul critère, aux dires du ministre compétent,
serait le bon goût.
Certes, ce dernier souci
est à l’honneur de ce ministre… Mais faudra-t-il un décret spécifiant ce qu’est
le bon goût en matière d’attribution de prénoms ?
Ajoutons à cette (demie)
boutade le calvaire qu’aura à endurer la petite Carl-Gustaf (pour peu que ses
parents soient des admirateurs de feu le maréchal Mannerheim) ou le petit
Katarina pour goûter à l’absurdité d’une telle mesure[i] :
que voulez-vous, le peuple est souvent d’un conformisme ; quand il n’est
pas tout-à-fait malléable, il faut souvent du temps au gouvernement pour le
mater.
Or un prénom a un
sens : qu’il exalte une vertu ou un trait de caractère, qu’il ait été
porté par un aïeul (ou une aïeule), un homme (ou une femme) exemplaire, voire
un saint ou une sainte, il peut marquer celui qui le porte. Et cela d’une
manière insoupçonnée par ses parents, lorsque ceux-ci le choisissent pour sa
jolie sonorité ou par quelque effet de mode. On sait déjà comment certains
prénoms farfelus marquent socialement ceux qui les portent. Le comble du
farfelu ne serait-il pas, comme ça, parce que c’est amusant, de donner un
prénom généralement attribué au sexe opposé à son enfant ?
Outre les souffrances que
cela engendrerait, on peut s’interroger sur la rage qui semble pousser les
politiciens modernes, en Europe, à démolir tout ce qui ressemble de près ou de
loin à une tradition ou à un repère[ii].
Le
maire, le premier ministre et le commandant
Séisme en France cette
semaine : M. Robert Ménard, maire de Béziers, a changé le nom d’une rue de
sa bonne ville : Hélie Denoix de Saint-Marc remplace désormais le 19 mars
1962. M. Valls, aussitôt, a été saisi de convulsions, qualifiant de « triste »
et de « rance » ce genre d’acte.
Reconnaissons à M. Valls
une sensibilité aiguë, digne des plus fins appareils de mesure. On le croirait
muni d’antennes. Imaginons quelle serait sa réaction si, par exemple, la ville
de Paris décidait de nommer « place du maréchal Juin » la place
Pereire : les murs trembleraient. Signalons-lui cependant que la place
Pereire se nomme bien désormais, depuis quelques lustres déjà, place du
maréchal Juin, alors qu’Alphonse Juin, à l’époque où Hélie de Saint-Marc fut
arrêté puis déporté à Buchenwald, était un général de l’armée d’armistice qui
défendit vaillamment l’Algérie contre l’invasion… anglo-américaine. Il est vrai
que le général Juin, par la suite, se rattrapa plus qu’honorablement.
Bien entendu, personne
n’aura l’indécence de supposer que le geste de M. Ménard et la réaction de M.
Valls et de quelques autres à ce geste ont quelque chose à voir avec des
élections toutes proches. Ce serait douter du désintéressement de ces hommes de
conviction, désintéressement qui force l’admiration.
Trêve d’ironie : ce
qui est triste, c’est de voir le nom d’Hélie de Saint-Marc mêlé à ces minables
querelles. Après tout, à l’âge qu’a un Manuel Valls ou à celui qu’a un Robert
Ménard, Hélie de Saint-Marc avait déjà derrière lui un passé de
résistant, de déporté et d’officier ayant combattu dans deux guerres coloniales ;
notons aussi que s’il a pris part au putsch d’avril 1961, il s’est simplement
constitué prisonnier à l’issue de celui-ci, ne sombrant pas dans une aigre
carrière de desesperado au sein de l’OAS.
Souhaitons-lui de reposer
en paix. Et à M. Valls de prendre connaissance d’un de ses propos :
« Il ne faut pas s’installer dans sa vérité mais l’offrir en tremblant »[iii].
Mon
village
Du reste, à quand
l’habitude de donner aux rues des noms de héros ou d’événements
remonte-t-elle ? Je l’ignore, mais je soupçonne un usage républicain qui
serait comme la parodie de la dédicace d’une église[iv]. Du
reste, cet usage dépend dans ses résultats de la sensibilité de celui qui
attribue les noms. Qu’une ville change de maire, et voilà le passant perdu,
dérouté par les plaques qui auront changé au coin des rues.
Il ne me déplaît pas, au
contraire, d’habiter près de la rue de Vaugirard, de la rue de la Croix-Nivert,
de la rue Saint-Lambert ou de la rue du Clos-Feuquières : des noms qui
traînent depuis des siècles dans mon « village » parisien.
Au fond, je préfère que
les rues m’apprennent la géographie (et parfois l’histoire) d’un lieu plutôt
que les préférences (même sincères) ou les calculs politiques du maire du
moment.
[i] Mes éventuels lecteurs
plus instruits que moi de la culture finnoise sont priés de me pardonner mon
ignorance. Sorti de Juha et Pekka (deux
prénoms pour l’instant masculins), je connais fort peu les prénoms finnois. Je
me suis donc rabattu sur des usages plus suédois (sans aucun chauvinisme pour
autant).
[ii] Cette démolition,
évidemment, ne se fait pas brutalement, comme à coup de masse. Ce serait plutôt
une entreprise de fusion ou de dissolution des identités dans un grand
bouillon, un grand tout, parée des séductions d’un individualisme effréné. De quoi
faire, au choix, de bons petits sujets d’un Etat socialiste ou de bons petits
consommateurs.
[iv] L’ambition chez certains
républicains d’instaurer quelque religion
de substitution ne me semble pas devoir être démontrée. Disons que c’est un
constat (voir ici).
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