vendredi 20 mars 2015

Nom de nom ! (bis)

Il faut croire que les politiciens sont parfois gagnés par la boulimie, sous des formes pour le moins curieuses : rien n’échappe à leur appétit, pas même les noms, ceux des choses comme ceux des lieux ou des personnes.
Le progrès ne s’arrête pas en Finlande
La lecture de quelques récentes brèves dans la presse en ligne de langue suédoise m’a… disons amusé : en Finlande, le gouvernement prévoit d’instaurer la neutralité des prénoms, autrement dit d’autoriser de donner à un garçon un prénom féminin ou à une fille un prénom masculin (voir ici). Le seul critère, aux dires du ministre compétent, serait le bon goût.
Certes, ce dernier souci est à l’honneur de ce ministre… Mais faudra-t-il un décret spécifiant ce qu’est le bon goût en matière d’attribution de prénoms ?
Ajoutons à cette (demie) boutade le calvaire qu’aura à endurer la petite Carl-Gustaf (pour peu que ses parents soient des admirateurs de feu le maréchal Mannerheim) ou le petit Katarina pour goûter à l’absurdité d’une telle mesure[i] : que voulez-vous, le peuple est souvent d’un conformisme ; quand il n’est pas tout-à-fait malléable, il faut souvent du temps au gouvernement pour le mater.
Or un prénom a un sens : qu’il exalte une vertu ou un trait de caractère, qu’il ait été porté par un aïeul (ou une aïeule), un homme (ou une femme) exemplaire, voire un saint ou une sainte, il peut marquer celui qui le porte. Et cela d’une manière insoupçonnée par ses parents, lorsque ceux-ci le choisissent pour sa jolie sonorité ou par quelque effet de mode. On sait déjà comment certains prénoms farfelus marquent socialement ceux qui les portent. Le comble du farfelu ne serait-il pas, comme ça, parce que c’est amusant, de donner un prénom généralement attribué au sexe opposé à son enfant ?
Outre les souffrances que cela engendrerait, on peut s’interroger sur la rage qui semble pousser les politiciens modernes, en Europe, à démolir tout ce qui ressemble de près ou de loin à une tradition ou à un repère[ii].
Le maire, le premier ministre et le commandant
Séisme en France cette semaine : M. Robert Ménard, maire de Béziers, a changé le nom d’une rue de sa bonne ville : Hélie Denoix de Saint-Marc remplace désormais le 19 mars 1962. M. Valls, aussitôt, a été saisi de convulsions, qualifiant de « triste » et de « rance » ce genre d’acte.
Reconnaissons à M. Valls une sensibilité aiguë, digne des plus fins appareils de mesure. On le croirait muni d’antennes. Imaginons quelle serait sa réaction si, par exemple, la ville de Paris décidait de nommer « place du maréchal Juin » la place Pereire : les murs trembleraient. Signalons-lui cependant que la place Pereire se nomme bien désormais, depuis quelques lustres déjà, place du maréchal Juin, alors qu’Alphonse Juin, à l’époque où Hélie de Saint-Marc fut arrêté puis déporté à Buchenwald, était un général de l’armée d’armistice qui défendit vaillamment l’Algérie contre l’invasion… anglo-américaine. Il est vrai que le général Juin, par la suite, se rattrapa plus qu’honorablement.
Bien entendu, personne n’aura l’indécence de supposer que le geste de M. Ménard et la réaction de M. Valls et de quelques autres à ce geste ont quelque chose à voir avec des élections toutes proches. Ce serait douter du désintéressement de ces hommes de conviction, désintéressement qui force l’admiration.
Trêve d’ironie : ce qui est triste, c’est de voir le nom d’Hélie de Saint-Marc mêlé à ces minables querelles. Après tout, à l’âge qu’a un Manuel Valls ou à celui qu’a un Robert Ménard, Hélie de Saint-Marc avait déjà derrière lui un passé de résistant, de déporté et d’officier ayant combattu dans deux guerres coloniales ; notons aussi que s’il a pris part au putsch d’avril 1961, il s’est simplement constitué prisonnier à l’issue de celui-ci, ne sombrant pas dans une aigre carrière de desesperado au sein de l’OAS.
Souhaitons-lui de reposer en paix. Et à M. Valls de prendre connaissance d’un de ses propos : « Il ne faut pas s’installer dans sa vérité mais l’offrir en tremblant »[iii].
Mon village
Du reste, à quand l’habitude de donner aux rues des noms de héros ou d’événements remonte-t-elle ? Je l’ignore, mais je soupçonne un usage républicain qui serait comme la parodie de la dédicace d’une église[iv]. Du reste, cet usage dépend dans ses résultats de la sensibilité de celui qui attribue les noms. Qu’une ville change de maire, et voilà le passant perdu, dérouté par les plaques qui auront changé au coin des rues.
Il ne me déplaît pas, au contraire, d’habiter près de la rue de Vaugirard, de la rue de la Croix-Nivert, de la rue Saint-Lambert ou de la rue du Clos-Feuquières : des noms qui traînent depuis des siècles dans mon « village » parisien.
Au fond, je préfère que les rues m’apprennent la géographie (et parfois l’histoire) d’un lieu plutôt que les préférences (même sincères) ou les calculs politiques du maire du moment.


[i] Mes éventuels lecteurs plus instruits que moi de la culture finnoise sont priés de me pardonner mon ignorance. Sorti de Juha et Pekka (deux prénoms pour l’instant masculins), je connais fort peu les prénoms finnois. Je me suis donc rabattu sur des usages plus suédois (sans aucun chauvinisme pour autant).
[ii] Cette démolition, évidemment, ne se fait pas brutalement, comme à coup de masse. Ce serait plutôt une entreprise de fusion ou de dissolution des identités dans un grand bouillon, un grand tout, parée des séductions d’un individualisme effréné. De quoi faire, au choix, de bons petits sujets d’un Etat socialiste ou de bons petits consommateurs.
[iii] J’en avais déjà touché un mot ici. Ailleurs, on peut aussi lire ceci, d’Eric Guéguen.
[iv] L’ambition chez certains républicains d’instaurer quelque religion de substitution ne me semble pas devoir être démontrée. Disons que c’est un constat (voir ici).

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