mercredi 10 juillet 2013

Devoirs de vacances (2)

Dans mon billet précédent, j’étalais sans aucune pudeur le programme de mes lectures et relectures pour des vacances qui approchent encore – c’est là le meilleur moment des vacances : quand elles sont imminentes. Peut-être avez-vous déjà prévu ce que vous allez lire ? S’il reste un peu de place dans vos bagages, songez aux quelques petits trésors que voici.
Felicidad et Paris-Berry de Frédéric Berthet
Connaissez-vous Frédéric Berthet ? Encore moins que moi ? C’est un écrivain dont la vie fut trop courte (1954-2003) et dont « la petite vermillon » a récemment réédité deux ouvrages : Felicidad et Paris-Berry.
Le second consiste en un recueil d’impressions, de rêveries et de réflexions qui seraient celles d’un écrivain (Berthet lui-même ?) installé quelque temps dans la campagne berrichonne pour essayer, au calme, d’écrire un roman. Ces notations sont brèves et confinent souvent au loufoque, tout en touchant parfois à une certaine vérité. On n’est pas loin, par moment, des textes de L’autofictif, d’Eric Chevillard. Comment résister à : « C’est ici qu’un jour de juin Pouchkine et moi eûmes toutes les peines du monde à retenir Brasillach d’y aller acheter une bouteille de champagne. » ?
(Je sors volontairement cette citation de tout contexte, car le contexte possède lui-même sa dose de fantaisie, que je ne voudrais pas dévoiler.)
Felicidad est un recueil de nouvelles plus longues et charpentées (dont celle qui lui donne son titre), mais toujours aussi farfelues, quoiqu’un peu teintées de mélancolie, comme Un père ou, justement, Felicidad. Cette dernière nouvelle a le charme triste et ironique du meilleur Déon. La plus personnelle (ni du néo-Déon ni du paléo-Chevillard) serait peut-être Beaucoup d’autres endroits, qui a ma préférence. A vous de vous faire la vôtre.
L’esprit des lettres (II), de Jacques Laurent
Sabretache et hongroise ! Encore un hussard !? En voici donc un autre que Nimier, un vrai, estampillé d’origine. Bien que l’intéressé ait précisé dans son Histoire égoïste qu’il avait été fantassin.
Les éditions de Fallois nous avaient livré en 1999 un premier volume de cet Esprit des lettres, où l’on pouvait lire quelques textes de Jacques Laurent parus dans la Table ronde puis dans la Parisienne, avant 1954. Le célèbre Paul et Jean-Paul (parallèle amusant et argumenté entre Jean-Paul Sartre et… Paul Bourget) s’y trouve.
Cette fois, voici des articles parus dans Arts entre 1954 et 1958 – principalement des éditoriaux – ainsi qu’une lettre ouverte de 1965 (« Cher François Mauriac… ») au sujet de son récent pamphlet Mauriac sous de Gaulle. Ce dernier article résume assez bien les sentiments de Laurent pour Mauriac : admiration pour l’écrivain, détestation des prises de position politiques de l’éditorialiste, souvent incohérentes ou inconséquentes au fil du temps, à l’occasion desquelles il arrive même que Mauriac oublie, selon Laurent, tout le talent, voire le génie, que l’on peut apprécier dans ses romans.
Les éditoriaux sont ceux d’un directeur qui tente de faire comprendre à ses lecteurs qu’il veut faire d’Arts (chaque semaine !) un périodique sans « ligne », qu’elle soit politique ou esthétique, privilégiant la liberté et le talent. Sans avoir peur de publier des articles ou des critiques qui se contredisent les uns les autres. Maintenant encore, les lecteurs des journaux, mais aussi leurs directeurs ou leurs propriétaires, devraient en prendre de la graine : pas d’entre soi qui tienne, sinon celui du talent, de l’intelligence et de la liberté.
(A ce sujet, notons qu’Arts, sous la direction de Jacques Laurent, accueillit de nombreux articles du jeune François Truffaut, où celui-ci put jouir de la liberté d’assassiner – parfois injustement – la quasi-totalité des réalisateurs de cinéma de l’époque.)
Outre ces éditoriaux, on trouve des reportages bienveillants, admiratifs et amusés (comme Huit jours avec Dasté, paru en 1958, sur la Comédie de Saint-Etienne, troupe dirigée par Jean Dasté), ou plus souvent de brefs pamphlets au ton élégant et narquois, sur la littérature engagée (Sartre et Camus y prennent cher), la sociologie (Douloureuse conscience de la machine à laver, 6 mars 1957) ou divers vagissements de notre monde moderne et post-civilisé, alors en train de naître (mariages princiers à Monaco, bouillie journalistique, culte des stars…). Et aussi une intéressante justification du fait de tenir des propos sur les arts et les lettres alors que les troupes soviétiques perpètrent les massacres que l’on sait, à Budapest en 1956 : « N’ayons pas honte chaque semaine, même la semaine où Budapest, la ville sans peur et sans vitres, brûle, de continuer cette sensibilité, de l’illustrer, de la défendre ne fût-ce qu’en signalant un livre ou un tableau. Car c’est elle qui est l’espoir de ceux qui sont livrés à la Force. »
Voilà une littérature « engagée » qui me plaît.
A la légère, de Michel Déon
Ne descendons pas de nos chevaux (de hussards) et signalons le recueil de nouvelles joliment fait, paru ce printemps sous ce titre aux éditions Finitude. Quelques amuse-gueule sans conséquence, préparés dans les années 50 par le maître. On pourra leur reprocher de manquer de l’amertume habituelle de Déon, sauf peut-être Une nuit à Formentera, la dernière et meilleure nouvelle de ce recueil. Mais le charme et l’ironie y sont quand même.
Un joyeux post-scriptum
Un mot – pour changer de sujet – à propos de Nicolas Bernard-Busse, le jeune prisonnier politique (je maintiens l’appellation) que je ne manque pas d’évoquer dans chacun de mes billets depuis à peu près trois semaines : sa comparution en appel a eu lieu hier et le voici libre, avec une amende pour toute condamnation. Les magistrats auront ainsi dû se livrer à quelques contorsions pour ne pas trop faire apparaître l’évidence, à savoir que ce jeune homme n’avait à peu près rien à se reprocher.
Quoi qu’il en soit, il est permis de se réjouir (ou de rendre grâce) de sa libération. Et de lui souhaiter de passer un été serein, propice au pardon. Mais pas à l’oubli : on sait désormais, hélas, à quoi s’en tenir avec certaines autorités.

2 commentaires:

  1. Et pour compléter cette célébration du 14 juillet, je ne résiste pas au plaisir de citer ces quelques phrases connues, extraites des Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand (pas toujours un modèle de journaliste documentaire, c'est entendu) :
    "Le 14 juillet, prise de la Bastille. J'assistai, comme spectateur, à cet assaut contre quelques invalides et un timide gouverneur : si l'on eût tenu les portes fermées, jamais le peuple ne fût entré dans la forteresse. Je vis tirer deux ou trois coups de canon, non par les invalides, mais par des gardes-françaises, déjà montés sur les tours. De Launay, arraché de sa cachette, après avoir subi mille outrages, est assommé sur les marches de l'Hôtel de Ville ; le prévôt des marchands, Flesselles, a la tête cassée d'un coup de pistolet ; c'est ce spectacle que des béats sans coeur trouvaient si beau. Au milieu de ces meurtres, on se livrait à des orgies, comme dans les troubles de Rome, sous Othon et Vitellius. On promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et des sans-culottes commençaient à régner, et leur faisaient escorte. Les passants se découvraient avec le respect de la peur, devant ces héros, dont quelques-uns moururent de fatigue au milieu de leur triomphe. Les clefs de la Bastille se multiplièrent ; on en envoya à tous les niais d'importance dans les quatre parties du monde."
    Les clefs de la Bastille ou les pierres du mur de Berlin, c'est toujours le même petit trafic. Bref, cette belle description d'un noble moment de soulèvement populaire au nom d'un idéal de justice, comment dire ? relativise nos commémorations.

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    1. Peut-être ce commentaire porte-t-il plutôt sur mes "quelques réflexions à la volée", auquel cas il est plus que pertinent.
      Pour le compléter, comment ne pas citer encore les "Mémoires d'outre-tombe", cette fois sur la visite que fit Chateaubriand à George Washington en 1791 :
      "... Nous n'étions que cinq convives. La conversation roula sur la Révolution française. Le général nous montra une clef de la Bastille. Ces clefs, je l'ai déjà remarqué, étaient des jouets assez niais qu'on se distribuait alors. Les expéditionnaires en serrurerie auraient pu, trois ans plus tard, envoyer au président des Etats-Unis le verrou de la prison du monarque qui donna la liberté à la France et à l'Amérique..."
      Ce qui me rappelle une réplique dans "A bout de souffle" : "Les Américains, vous n'aimez que ce qu'il y a de plus con en France : La Fayette et Maurice Chevalier". Godard, Belmondo, Chateaubriand, même combat ?

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