Depuis deux mois et demi
qu’il nous est possible de mettre le nez dehors[i] sans
Ausweis, nous essayons tant bien que mal de reprendre le cours de nos vies. Peu
à peu, les petits tracas et les petites comédies du quotidien reviennent, celle
du travail par exemple. Nous éprouvons cependant quelques joies, y compris dans
ce dernier domaine : revoir les collègues, même les plus ennuyeux, fait
chaud au cœur. Quant aux amis et à la famille, cela va de soi. Nous avons même
pu retourner à la messe, ce qui n’est pas une mince joie. Et nous avons
retrouvé le plaisir d’entrer dans les librairies, pour y chercher quelques
nouveautés ou classiques désirés, ou pour y faire des trouvailles inattendues[ii].
De mon premier survol de
librairie, je retiendrai trois livres, qui ont tous quelque chose à voir avec
la liberté.
Presque saints ! (Jérôme Anciberro, Tallandier)
La présentation de l’auteur,
en quatrième de couverture, pourrait faire reculer les frileux : Jérôme
Anciberro a été rédacteur en chef de Témoignage chrétien. Mais faisons
fi des préjugés, ce que nous permet Touiteur, moyen d’expression souvent
utilisé par le susnommé, où il se montre souvent érudit, curieux, pertinent et
drôle. L’impression est confirmée à la lecture de ce Presque saints !
où, à travers quelques « canonisations ratées et autres causes délicates »,
Jérôme Anciberro nous expose ce qu’est un saint pour l’Église catholique ainsi
que le processus de canonisation. Nous sont aussi présentées les considérations
qui amènent l’Église à nous donner ou non tel ou tel comme exemple ou
intercesseur, ainsi que les évolutions d’icelles.
Si certains cas, comme
celui de sainte Philomène, relèvent de la curiosité historique, d’autres, plus
contemporains, sont exposés avec sérieux, rigueur et mesure. Pie XII en fournit
un excellent exemple. Au passage, le portrait que fait Jérôme Anciberro de ce
pape est fort nuancé, qualité qui manque le plus souvent à ses laudateurs ou à
ses détracteurs.
Voilà donc un livre
rigoureux, intelligent, écrit dans un souci de clarté, et souvent avec le
sourire, ce qui ne gâte rien, bien au contraire : la sainteté ne saurait
en rien être un sujet incitant à la tristesse.
De Gaulle et les grands (Éric Branca, Perrin)
Comme toutes les années
finissant par le chiffre 0, on célèbre la mémoire de Charles de Gaulle, né en
1890, refusant la défaite en 1940 et mort en 1970. L’auteur de L’Ami américain
(sur les rapports parfois troubles entre notre pays et les États-Unis, en
particulier du temps de de Gaulle), eût pu céder à la facilité de nous livrer
une série d’anecdotes, plus ou moins savoureuses, plus ou moins connues, plus
ou moins controuvées, relatives aux rencontres entre de Gaulle et quelques
autres figures historiques de son temps. Dieu merci, si De Gaulle et les
grands ne manque pas de telles anecdotes, il s’agirait plutôt d’une
évocation de de Gaulle, de sa pensée et de sa politique, au travers de ses
rapports avec ces figures. Ces rapports peuvent être d’amitié, d’estime, de
méfiance, voire de franche hostilité… C’est le plus souvent fort intéressant,
mais on déplorera la faiblesse du chapitre sur Mao, qui relève, plutôt que de l’histoire,
de l’élucubration néo-malrucienne. Et, que l’on trouve Malraux ridicule ou
génial, on est plus souvent avec lui dans la littérature que dans l’histoire.
Ce n’est pas un tort, mais il vaut mieux en être conscient.
Sans la liberté (François Sureau, tracts Gallimard)
Y aurait-il un « moment
Sureau » ? Il semble que ce ne soit qu’aujourd’hui que l’on découvre
cet écrivain pourtant déjà sexagénaire. Les auditeurs de France-Culture peuvent
l’écouter cet été, vers sept heures du matin, parler de la Seine, reprenant des
passages de L’Or du temps, son dernier opus, riche et intéressant
ensemble de digressions ayant pour prétexte une descente de la Seine depuis sa
source. Mais nous verrons cela une autre fois.
En septembre 2019, la
collection « tracts » de Gallimard a fait paraître Sans la liberté,
où Sureau, avec éloquence, nous met en garde contre une certaine dérive des
démocraties modernes. En gros, nos démocraties auraient tendance à n’avoir plus
pour objet que le maintien au pouvoir d’une classe politique par ailleurs
médiocre. Parfois par des moyens peu démocratiques. Force est de reconnaître
que François Sureau n’a pas tort. Il suffit de se rappeler avec quelle morgue,
quel cynisme et quelle brutalité divers mouvements ou manifestations (parfois
un peu désordonnées, il est vrai) d’opposition ont été traités ces dernières
années en France.
Et comment ne pas
apprécier cette allusion à l’œuvre d’Evelyn Waugh : « Ou s’il y a un
"monde nouveau", il faudrait s’inquiéter que ses habitants, en
politique du moins, ressemblent au Rex Mottram de Retour à Brideshead, "minuscule
fragment d’humain qui se faisait passer pour un homme complet" ». L’allusion
est pertinente, mais pour un peu je la trouverais presque indulgente. Certains des
philistins qui prétendent nous gouverner me font penser à un autre personnage
du même roman, un nommé Hooper, prototype du petit homme moderne, qui dit en
passant devant un asile de fous, vers 1942 : « Hitler les mettrait
dans une chambre à gaz. Je suppose que nous pouvons apprendre une chose ou deux
de lui. » Mais, à la décharge de François Sureau, on n’avait pas encore
entendu M. Olivier Véran trouver quelques mérites au gouvernement chinois en
matière de gestion des épidémies[iii].
[i] Un nez masqué, certes.
[ii] Tout cela, et ce qui
précède, en pratiquant les gestes-barrières,
bien entendu.
[iii] C’était le 18 février
2020, sur France Inter.
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