samedi 25 juillet 2020

Lectures en liberté


Depuis deux mois et demi qu’il nous est possible de mettre le nez dehors[i] sans Ausweis, nous essayons tant bien que mal de reprendre le cours de nos vies. Peu à peu, les petits tracas et les petites comédies du quotidien reviennent, celle du travail par exemple. Nous éprouvons cependant quelques joies, y compris dans ce dernier domaine : revoir les collègues, même les plus ennuyeux, fait chaud au cœur. Quant aux amis et à la famille, cela va de soi. Nous avons même pu retourner à la messe, ce qui n’est pas une mince joie. Et nous avons retrouvé le plaisir d’entrer dans les librairies, pour y chercher quelques nouveautés ou classiques désirés, ou pour y faire des trouvailles inattendues[ii].
De mon premier survol de librairie, je retiendrai trois livres, qui ont tous quelque chose à voir avec la liberté.
Presque saints ! (Jérôme Anciberro, Tallandier)
La présentation de l’auteur, en quatrième de couverture, pourrait faire reculer les frileux : Jérôme Anciberro a été rédacteur en chef de Témoignage chrétien. Mais faisons fi des préjugés, ce que nous permet Touiteur, moyen d’expression souvent utilisé par le susnommé, où il se montre souvent érudit, curieux, pertinent et drôle. L’impression est confirmée à la lecture de ce Presque saints ! où, à travers quelques « canonisations ratées et autres causes délicates », Jérôme Anciberro nous expose ce qu’est un saint pour l’Église catholique ainsi que le processus de canonisation. Nous sont aussi présentées les considérations qui amènent l’Église à nous donner ou non tel ou tel comme exemple ou intercesseur, ainsi que les évolutions d’icelles.
Si certains cas, comme celui de sainte Philomène, relèvent de la curiosité historique, d’autres, plus contemporains, sont exposés avec sérieux, rigueur et mesure. Pie XII en fournit un excellent exemple. Au passage, le portrait que fait Jérôme Anciberro de ce pape est fort nuancé, qualité qui manque le plus souvent à ses laudateurs ou à ses détracteurs.
Voilà donc un livre rigoureux, intelligent, écrit dans un souci de clarté, et souvent avec le sourire, ce qui ne gâte rien, bien au contraire : la sainteté ne saurait en rien être un sujet incitant à la tristesse.
De Gaulle et les grands (Éric Branca, Perrin)
Comme toutes les années finissant par le chiffre 0, on célèbre la mémoire de Charles de Gaulle, né en 1890, refusant la défaite en 1940 et mort en 1970. L’auteur de L’Ami américain (sur les rapports parfois troubles entre notre pays et les États-Unis, en particulier du temps de de Gaulle), eût pu céder à la facilité de nous livrer une série d’anecdotes, plus ou moins savoureuses, plus ou moins connues, plus ou moins controuvées, relatives aux rencontres entre de Gaulle et quelques autres figures historiques de son temps. Dieu merci, si De Gaulle et les grands ne manque pas de telles anecdotes, il s’agirait plutôt d’une évocation de de Gaulle, de sa pensée et de sa politique, au travers de ses rapports avec ces figures. Ces rapports peuvent être d’amitié, d’estime, de méfiance, voire de franche hostilité… C’est le plus souvent fort intéressant, mais on déplorera la faiblesse du chapitre sur Mao, qui relève, plutôt que de l’histoire, de l’élucubration néo-malrucienne. Et, que l’on trouve Malraux ridicule ou génial, on est plus souvent avec lui dans la littérature que dans l’histoire. Ce n’est pas un tort, mais il vaut mieux en être conscient.
Sans la liberté (François Sureau, tracts Gallimard)
Y aurait-il un « moment Sureau » ? Il semble que ce ne soit qu’aujourd’hui que l’on découvre cet écrivain pourtant déjà sexagénaire. Les auditeurs de France-Culture peuvent l’écouter cet été, vers sept heures du matin, parler de la Seine, reprenant des passages de L’Or du temps, son dernier opus, riche et intéressant ensemble de digressions ayant pour prétexte une descente de la Seine depuis sa source. Mais nous verrons cela une autre fois.
En septembre 2019, la collection « tracts » de Gallimard a fait paraître Sans la liberté, où Sureau, avec éloquence, nous met en garde contre une certaine dérive des démocraties modernes. En gros, nos démocraties auraient tendance à n’avoir plus pour objet que le maintien au pouvoir d’une classe politique par ailleurs médiocre. Parfois par des moyens peu démocratiques. Force est de reconnaître que François Sureau n’a pas tort. Il suffit de se rappeler avec quelle morgue, quel cynisme et quelle brutalité divers mouvements ou manifestations (parfois un peu désordonnées, il est vrai) d’opposition ont été traités ces dernières années en France.
Et comment ne pas apprécier cette allusion à l’œuvre d’Evelyn Waugh : « Ou s’il y a un "monde nouveau", il faudrait s’inquiéter que ses habitants, en politique du moins, ressemblent au Rex Mottram de Retour à Brideshead, "minuscule fragment d’humain qui se faisait passer pour un homme complet" ». L’allusion est pertinente, mais pour un peu je la trouverais presque indulgente. Certains des philistins qui prétendent nous gouverner me font penser à un autre personnage du même roman, un nommé Hooper, prototype du petit homme moderne, qui dit en passant devant un asile de fous, vers 1942 : « Hitler les mettrait dans une chambre à gaz. Je suppose que nous pouvons apprendre une chose ou deux de lui. » Mais, à la décharge de François Sureau, on n’avait pas encore entendu M. Olivier Véran trouver quelques mérites au gouvernement chinois en matière de gestion des épidémies[iii].




[i] Un nez masqué, certes.
[ii] Tout cela, et ce qui précède, en pratiquant les gestes-barrières, bien entendu.
[iii] C’était le 18 février 2020, sur France Inter.

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