mardi 12 mai 2015

De Christian Dior, de M. Homais et de quelques autres

La France, la chose est entendue de par le monde, est le pays de la frivolité et de la grande littérature. La position d’un ourlet peut déchirer le pays en d’incessantes querelles. Quant à la littérature, il suffit de voir à quel point quelques personnages bien français finissent par accéder à une certaine universalité.
Fashion Week à Charleville-Mézières
Ainsi donc, fin avril, notre pays bruissait d’une dispute au sujet de la longueur d’une jupe. Cette jupe, c’est celle portée par une collégienne de Charleville-Mézières, jugée provocante par le principal de l’établissement : trop longue ! Il s’agirait, la jeune fille concernée étant musulmane, d’un de ces signes religieux ostentatoires dont tout chef d’établissement de l’Education nationale doit impérativement proscrire le port à ses élèves.
Comme nous ne savons pas tout de cette affaire apparemment ridicule, gardons-nous d’en tirer des conclusions hâtives et même d’ironiser à l’excès. Nous nous contenterons donc d’hypothèses :
a)      Le principal du collège (ou faut-il écrire : la principale ? allez savoir, avec la féminisation des titres…) pourrait être une laïcarde enragée – intégriste, pourrait-on dire – qui s’est donné pour mission de traquer dans les moindres détails des attitudes et des vêtements de ses élèves des signes de prosélytisme. Les religions, comme disent de pareilles personnes, doivent être éradiquées, extirpées des jeunes esprits, à tout prix, y compris celui du ridicule.
b)      La jeune fille dont la jupe trop longue a été jugée provocante pourrait aussi bien ne pas être tout à fait innocente : peut-être a-t-elle tenu divers propos, ou eu quelques attitudes avant de tenter ce coup qui expliqueraient que cette jupe n’est pas qu’une jupe aux yeux de la principale. Mais nous n’en savons rien.
c)      En écartant les deux hypothèses précédentes, peut-être existe-t-il dans ce collège d’autres élèves au comportement « islamique » bien plus encombrant ? Nous l’ignorons, mais dans ce cas la principale de ce collège, excédée, aura fini par tout confondre…
Quoi qu’il en soit, c’est beaucoup de bruit pour un peu de tissu. Et de grain à moudre pour les islamistes, les indigènes de la République, les idiots utiles et toute la séquelle des professionnels de la victimisation : « regardez comme on persécute les pauvres musulmans en France », hurleront-ils en chœur.
En tout cas, nous sommes bien au pays de Christian Dior, lequel fut mêlé à une querelle de chiffons vers 1947, époque du new-look.
(Ajoutons, par souci de justice, que Charleville, outre être la ville natale d’Arthur Rimbaud, vaut un bref détour pour sa magnifique place ducale, où en revanche les troquets laissent un souvenir quelconque ; pour goûter à de bonnes bières ardennaises, il vaut mieux passer après Givet la frontière belge en longeant la Meuse, et poursuivre jusqu’à Dinant.)
Inquiétante universalité de M. Homais
Flaubert n’est pas le moindre de nos écrivains à jouir de la réputation de notre littérature. On rencontre parfois en des lieux inattendus des incarnations de types immortalisés par l’auteur de Madame Bovary. A Kalmar, dans l’aimable province suédoise de Småland, par exemple.
Qu’on en juge plutôt à la lecture de quelques brèves parues dans le quotidien régional Barometern[i] : on y apprend que le chef du service d’orthopédie de l’hôpital de Kalmar a vivement réagi à des propos tenus par Mme Ebba Busch-Toor, responsable nationale du parti chrétien-démocrate. Cette dernière avait défendu l’idée d’objection de conscience pour les personnels médicaux en matière d’avortement.
Quelle fut la réaction de ce chef de service ? Il entra dans une rage qu’il répandit bientôt sur les réseaux sociaux, comme on dit, proclamant qu’il ne devrait pas être permis à quiconque a des convictions religieuses de se mêler de politique, qu’il était prêt à s’opposer à toute objection de conscience y compris avec une batte de base-ball, et que désormais il refuserait de soigner des patients chrétiens, lesquels auraient selon lui « un démon intérieur qui [le] blesse et [l]’insulte ». Dieu merci, ce médecin a dû démissionner de son poste, tout en reconnaissant l’incongruité de ses propos.
Cela appelle quelques réflexions.
Premièrement, on l’aura compris, M. Homais n’est pas mort. Le bourgeois voltairien respire encore, magnifique de boursouflure imbécile.
Deuxièmement, cette rage devant l’idée d’objection de conscience, l’évocation de la « batte de base-ball » (qui n’est certes pas un pistolet) et la proclamation du refus de soigner certaines personnes du fait de leur religion, voilà qui rappelle de sinistres circonstances auxquelles, grâce à Dieu, la Suède put échapper[ii].
Troisièmement, un détail curieux : ce sémillant orthopédiste semble être sourcilleux quant aux spécialités ; si vous avez une religion, vous êtes prié de ne pas avoir d’opinions ou de positions politiques. Je veux bien, mais que vient faire alors un orthopédiste dans une discussion qui porte sur l’avortement ? (Et, du reste, l’athéisme peut être vu comme une opinion religieuse.)
Quatrièmement, ces hululements du Homais de Kalmar quant au « démon intérieur » des chrétiens évoquent la réaction d’un diable qui viendrait de recevoir une bonne giclée d’eau bénite. Et, comme chacun sait, on peut lire vers la fin de Madame Bovary que Homais « fait une clientèle d’enfer »[iii]. Eh…
On s’emmêle les fiches
A Béziers, les dernières rodomontades du matamore Ménard ont fait quelque bruit. L’élu biterrois s’est en effet vanté de pouvoir faire des statistiques sur la religion des enfants de sa ville à partir des prénoms des élèves des écoles publiques[iv].
La réaction des « partis de gouvernement » fur immédiate : c’est hideux, c’est affreux, Vichy est de retour, ce n’est pas républicain, etc. « Honte à Robert Ménard », a même touitté M. Valls, le jour même où il faisait voter une loi de surveillance d’internet… Quant au caractère non républicain du fait de relever la religion de personnes, je suggère aux vertueux indignés de remonter encore plus loin que 1940. A l’affaire des fiches, par exemple. Mais il est vrai que nous ne sommes plus en 1904…

[i] Soit : le Baromètre… Enfoncé, le Fanal de Rouen !
[ii] Pendant ce temps, on s’inquiète des succès des Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna), que certains vont jusqu’à comparer à des nazis, ce qui est toujours moins fatigant que de leur opposer des arguments. Nous connaissons bien ce phénomène en France, quand il est question du Front National (maison Le Pen, père et fille, encore que quelques conflits de générations agitent en ce moment cette boutique).
[iii] Précisons que ce rapprochement entre Homais et le diable n’est pas de moi. Il me semble bien l’avoir entendu il y a un an et demi environ, dans une émission de France-Culture, de la bouche de Raphaël Enthoven. On prend son miel où il coule.
[iv] Procédé hasardeux : s’il s’agit de prénoms arabes, il en existe qui sont portés aussi bien par des chrétiens (libanais, par exemple) que par des musulmans ; tous les enfants ne fréquentent pas les écoles publiques ; enfin, un prénom peut plutôt révéler – parfois – la religion des parents de celui qui le porte.

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