dimanche 22 septembre 2013

Fourrez-moi tout ça au Panthéon !

Force m’est d’avouer que j’entretiens un rapport étrange avec M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, depuis quelques mois. Un jour d’avril, en effet, alors que je déjeunais dans un café, le garçon se mit à me dévisager d’un air curieux. Il finit par me dire qu’il me trouvait une ressemblance avec un ministre, mais lequel ? Ah oui, Peillon ! Devant mon étonnement, il ajouta que cette ressemblance lui avait sans doute été suggérée par la monture de mes lunettes. Et, vu la tiédeur de ma réaction, précisa que cette ressemblance lui paraissait somme toute assez vague. Je lui confirmai, plus souriant, qu’elle devait être bien vague, en effet.
-          Ils n’ont pas la cote, en ce moment, conclut-il.
-          Non, acquiésçai-je.
D’autant que M. Peillon est l’auteur de propos assez ahurissants, comme :
« La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. C’est une nouvelle naissance, une transsubstantiation qu’opère dans l’école et par l’école cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. »
J’avoue ne pas avoir lu La révolution française n’est pas terminée, livre publié par M. Peillon en 2008 aux éditions du Seuil, mais une telle citation suffit à m’édifier. Venant de je ne sais quel zinzin utopiste de 1848, cela prêterait à rire et aurait sa place dans un tableau digne de L’éducation sentimentale, mais voilà, l’auteur de tels propos est aujourd’hui ministre. Je me demande si je ne vais pas devoir remplacer la monture de mes lunettes.
Cette allusion à 1848 n’est pas un hasard. La dimension religieuse du républicanisme le plus forcené et la rage à se substituer à l’Eglise ne sont pas des nouveautés.
 
Le sacré républicain
J’ai déjà évoqué cet été les haussements d’épaules que provoquent chez moi les festivités du 14 juillet. On croit souvent que ces festivités commémorent la prise de la Bastille en 1789 alors qu’officiellement elles commémorent la commémoration de cet événement que fut la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Ce jour-là, une messe fut célébrée sur le Champ-de Mars, présidée par Talleyrand, évêque dont on connaît l’élévation mystique.
Ce goût de la mascarade ou de la substitution aux signes du catholicisme se retrouverait, si l’on en croit Léon Bloy[i], dans les bustes de Marianne (qu’il qualifie de « salope de plâtre ») qui se multiplièrent dans les édifices publics dès la troisième république : on donna à la vénération des Français, au lieu d’une personne incarnée (la Sainte-Vierge) un personnage imaginaire, censé symboliser je ne sais quelle abstraite liberté, auquel on donne de temps à autre la tête d’une actrice célèbre du moment…
Tout cela (pétards et jolis minois) n’est bien entendu que de la petite bière à côté du temple des grands hommes de la nation, le Panthéon. Encore un bel exemple de substitution.
 
Encore un souvenir personnel
Je suis entré une fois dans cette intimidante commode. Ce devait être au printemps de 1978, ce qui me faisait un peu moins de six ans. Le souvenir de cette visite est donc un rien confus, quoique je me rappelle un lieu sombre et poussiéreux, suintant l’ennui. Des peintures froides (Puvis de Chavannes ?) qui l’ornent, je n’ai retenu que celles qui représentent le martyre de Saint-Denis et le miracle qui s’ensuivit : Saint-Denis marchant, sa tête fraîchement coupée sous le bras, pour aller trouver le repos éternel au lieu qui prendra pour nom Montmartre. Commençant à connaître quelques bribes d’histoire de France, je pensai qu’il était dommage que Louis XVI n’ait pas eu le droit d’user d’un tel procédé.
Comme on le voit, la République et moi, c’était mal parti.
L’ennui presque angoissant qui suintait d’un tel lieu est, je veux bien en convenir, un souvenir largement reconstitué. Mais je parierais que la différence d’avec une basilique ou une cathédrale devait déjà confusément m’apparaître. Dans une église d’une certaine taille (comparable à celle du Panthéon), on peut voir à toute heure des gens qui prient, des cierges ou des veilleuses qui brûlent, prolongeant des prières et une présence divine signifiée par la lampe qui brûle auprès du tabernacle. Peut-être toute cette vie est-elle rendue possible par le fait de savoir que l’on s’adresse à Quelqu’un (ou à l’intercession auprès de Quelqu’un) en priant. Au Panthéon, rien[ii].
Un peu d’histoire
Mais je vous entretenais de substitution. Le bâtiment qui abrite le Panthéon fut à l’origine une église, érigée à la suite d’un vœu de Louis XV. La croix qui surmonte encore aujourd’hui son dôme en témoigne. Ce n’est que pendant la révolution qu’elle connut sa transformation en caveau républicain. Avant de redevenir église, puis Panthéon, puis église, puis Panthéon…
Cette histoire est fort bien résumée dans le Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet[iii] et savoureusement évoquée dans un chapitre du XIXe siècle à travers les âges, de Philippe Muray.
Le souvenir sépulcral, quelque peu rebutant, de l’intérieur du Panthéon me revient toujours lorsque je passe sur la place du même nom : avez-vous remarqué, en effet, comme ses murs sont aveugles ? On dirait d’un tombeau géant, comme hypertrophié. Or il se trouve que l’église Sainte-Geneviève (tel était son nom, à l’origine) possédait de grands vitraux dont les ouvertures furent murées à la Révolution. Le Dictionnaire déjà cité plus haut présente sobrement cette transformation :
« L’église, achevée au début de la Révolution, était loin d’être le monument de nos jours. Elle avait alors 42 hautes baies (on reconnaît leur emplacement dans les mornes façades actuelles), deux clochers de section carrée, de près de 40 mètres de haut…[iv] »
En cherchant bien, on pourrait conclure de cet emmurement que là où le catholicisme appelle et utilise la lumière et les couleurs comme moyens missionnaires, le sépulcral culte républicain des morts se plaît à une obscurité qui aurait un caractère pourquoi pas ésotérique, voire occultiste. Je ne m’attarderai pas sur ces considérations, qui sont exposées et développées avec érudition et ironie par Muray dans le déjà évoqué XIXe siècle à travers les âges (à ceci près que ce livre traite plus précisément des rapports du socialisme avec l’occultisme).
Toujours pour comparer la religion catholique et la religion républicaine appelée par les vœux de M. Peillon, il me semble que la seconde, fabriquée de bric et de broc par la seule volonté de quelques-uns, est terriblement datée. Et que, comme tout ce qui est daté, elle se démode.
 
Panthéonisez-les tous !
Qui, du reste, s’intéresse au Panthéon, de nos jours ? Oh, quelques touristes venus de loin doivent bien s’y égarer. Je ne saurais dire combien de Parisiens s’y sont aventurés.
Nos politiciens, en revanche, et quelques intellectuels aussi (pour ne pas mentionner les journalistes), parviennent encore, en se battant les flancs, à s’échauffer momentanément sur ce lieu de leurs rituels fatigués[v]. Et, de temps en temps, un président caresse le projet d’ajouter un grand homme à la liste des pensionnaires.
En ce moment, par exemple, l’individu-dont-j’ai-oublié-le-nom (etc.) manifeste cette haute ambition. On parle d’y mettre le corps d’une femme célèbre, car la Panthéon manquerait de femmes. Des noms circulent (Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir…). Une consultation a même été lancée sur le site internet du Panthéon (attention, elle prend fin ce soir !). Personnellement, je n’ai pas profité de cette consultation, n’étant pas de la secte. J’aurais bien, sinon, proposé le nom de quelques femmes qui illustrèrent l’histoire de notre république : pourquoi pas Thérèse Humbert, Marthe Hanau ou, mieux encore, Marthe Richard (vous savez bien, la veuve qui clôt) ? Cette dernière me semble parfaite : vraie prostituée, fausse espionne (ses exploits de la Grande Guerre, intégralement inventés, lui valurent la légion d’honneur !), fausse résistante… Avec elle, on entre enfin dans le monde moderne : tout n’est que récit (pardon : story-telling), sauf le sordide.
Mais au fond, si ces gens aiment à prendre des vessies pour des lanternes, je leur suggère de transférer les cendres (comme ils disent) d’Emma Bovary, pionnière de l’esprit contemporain. Ce serait d'autant plus pratique qu’aucun de ses parents ne serait en mesure de s’y opposer.
En tout cas, de grâce, personne d’estimable ou de sérieux. Certains ont cité le nom d’Albert Camus. Pour ma part, je respecte trop cet esprit probe (avec lequel je me sens peu en commun, mais…) pour voir sa dépouille finir en un tel lieu. Qu’on laisse reposer son corps là où ceux qui l’aimaient – et ceux qui l’aiment – ont choisi de l’enterrer.
Proposition de renouvellement des pompes républicaines
Pourquoi, aussi, toujours se tourner vers les morts ? Et les vivants, alors ? Oui, créez donc un Panthéon vivant ; à peu près toute la classe politique y serait admise. Abrités de nos regards et de nos oreilles par les murs sourds et aveugles du grand édifice, les politiciens pourraient à loisir s’époumoner et s’empoigner sur leur interprétation du pacte républicain (tic de langage à la mode ; ne me demandez pas ce que cela signifie). Sans déranger personne, laissant chacun vaquer à ses occupations en paix. Chaque semaine, un détachement de la Garde Républicaine, musique en tête, viendrait ravitailler les grandes femmes et les grands hommes. Ce serait un spectacle édifiant pour les enfants et cela ferait prendre l’air aux magnifiques chevaux de notre gendarmerie.
Et lorsqu’il en mourrait un, de temps en temps, il pourra être enterré aussitôt, sur place. Dans un moment solennel, les politiciens rivaliseraient d’éloquence pour saluer sa mémoire. Et ils en seraient fort émus.

[i] Bloy évoque aussi un 14 juillet en ne cachant rien de ce que lui inspire la grossièreté de telles réjouissances, dans un beau passage de La femme pauvre.
[ii] Sinon quelques ossements et de vagues sentiments, comme l’annonce fièrement le dernier couplet de la Marseillaise, le plus allumé, le plus kitsch de tous ; je ne résiste pas à l’envie de vous le rappeler :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.
Sublimement amphigourique, non ?
[iii] Magnifique ouvrage en deux lourds volumes, paru aux éditions de Minuit pour la première fois en 1963, et dédié à tous les Parisiens et amis de Paris. Indispensable.
[iv] J’aime assez ce mornes façades. Quelques autres entrées de ce dictionnaire, lorsqu’elles retracent des épisodes de la Révolution – et en particulier de la Terreur – qui s’y produisirent, me font soupçonner que le colonel Coussillan (vrai nom d’Hillairet) ne devait pas être un républicain des plus ardents. Mais je peux me tromper.
[v] Comment ne pas rappeler cette descente de François Mitterrand dans ces ennuyeuses cryptes, en 1981 ? L’homme, au milieu des grands hommes, seul avec toute une équipe de télévision… Je me demande à quel point Mitterrand, grand cynique, ne se moquait pas de ses admirateurs éperdus…

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