samedi 19 octobre 2013

Vocabulaire errant : conjectures d’un amateur

Profitons de quelques actualités parfois futiles pour nous amuser du vocabulaire contemporain.
De l’humour
J’ignore si la nouvelle édition du Grand Robert a revu ses définitions des mots humour et humoriste. En tout cas, je lis ceci dans l’édition de 1968 du Petit Robert :
« HUMORISTE n. et adj. (1578 ; it. umorista, lat. sav. humorista, « partisan de l’humorisme »)
I N Vx Personne d’humeur maussade. V Mélancolique.
II Adj (1793, repris angl.). Qui a de l’humour, qui s’exprime avec humour. Ecrivain humoriste. Subst (1842). Un humoriste. Salon des humoristes. V Caricaturiste. »
« HUMOUR n.m. (1725, angl. humour, empr. fr. humeur). Forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites. »
Les définitions données par le Trésor de la langue française sont à peu près les mêmes, celle de l’humour précisant toutefois que l’humour se caractérise par le détachement avec lequel il est pratiqué.
De telles acceptions pourront nous faire penser, en matière d’humoristes, à des écrivains comme Alphonse Allais, des dessinateurs comme Forain, voire à des fantaisistes comme Pierre Dac ou, plus récemment, Pierre Desproges.
Faisons alors l’expérience d’ouvrir un journal ou d’allumer notre radio. Nous entendrons parfois parler d’humoristes. De qui sera-t-il question ? Uniquement de fantaisistes qui débitent des sketches plus ou moins rôdés, qu’ils n’auront pas toujours écrits eux-mêmes, devant un public qui se sentira obligé d’en rire parce qu’il a payé (parfois cher) pour cela.
Un bon exemple d’une telle carrière serait celui de Guy Bedos. Ce dernier peut même s’offrir le luxe d’insulter Mme Morano en expliquant ensuite : premièrement, que c’est de l’humour, puisqu’il est humoriste ; deuxièmement, que son statut d’humoriste lui assure une forme d’immunité (!) ; troisièmement, qu’il n’a pas l’intention de présenter quelques excuses que ce soit car il est, lui, un résistant (?!?!?!)[i].
Je suis peut-être mauvaise langue, au fond : faut-il vraiment prendre au pied de la lettre de telles explications ? Peut-être est-ce là de l’humour, une fine ironie ? Auquel cas il faudrait saluer le génie comique de Guy Bedos.
Quoi qu’il en soit, il vaut peut-être mieux être un professionnel pour insulter impunément qui on veut en se justifiant par l’humour. Ou alors être de gauche et invoquer les mânes des grands anciens, comme Hara-Kiri. C’est ce qu’a fait pour s’exonérer de tout reproche un assistant parlementaire socialiste après avoir voulu faire « du Bedos » aux dépens de Mlle Maréchal-Le Pen.
En revanche, si on ne répond à aucun de ces critères, pas de chance : nous serons tenus de nous indigner de blagues du même tonneau. Un député UMP qui caquète pendant l’intervention d’une de ses collègues écologistes ou une putative candidate du FN à je ne sais plus quelle élection qui verrait mieux Mme Taubira dans un arbre que dans un ministère[ii], c’est ignoble, voire inqualifiable, enfin, je ne sais pas, oh, ah !
Pour ma part, qu’elles viennent de gauche, de droite, d’amateurs ou de professionnels de la gaudriole, ces blagues me paraissent bien épaisses et parfaitement dépourvues de l’humour (en particulier du détachement qu’il implique selon certaines de ses définitions) que revendiquent leurs auteurs.
C’est que, voyez-vous, je me réserve pour le grand humour, pour le moment où il viendra enfin…
 
Des noms des peuples
Nous avons tous lu ou entendu en abondance, ces derniers temps, le mot rom. Je me garderai bien d’entrer dans les discussions actuelles autour de ces Roms, discussions qui me semblent assez caricaturales, entre ceux (à gauche de la gauche) qui les parent de toutes les vertus les plus sympas et ceux pour qui ils sont pourris de tous les vices. Non, c’est le mot rom qui m’intéresse. Avec d’autres, comme on le verra.
Au sujet de ce mot, je lisais récemment dans la presse suédoise[iii] un article faisant un simple constat : le mot rom n’apparaissait dans aucun dictionnaire suédois il y a quinze ou vingt ans, tandis qu’aujourd’hui on ne voit plus les Tsiganes être nommés autrement. Cette remarque vaut aussi bien en français : le Trésor de la langue française, par exemple, cite bien romani ou romanichel, mais pas rom. Des cas analogues sont cités dans le même article : ceux des Lapons, appelés désormais Sames, et des Esquimaux, qu’il convient de nommer Inuits.
A propos des Esquimaux, on peut lire parfois en français eskimo. Cette orthographe bizarre a sans doute un caractère à la fois plus exotique et plus pédant, mais s’expliquerait par l’adoption chez les ethnologues d’une transcription danoise (encore que la première attestation de ce nom remonte au XVIIe siècle et soit en français, sous la forme eskimau). Ce qui m’amène à un cas plus cocasse (ou devrais-je dire kokas’ ?), celui des Canaques. On les appelle toujours ainsi, mais il semble être devenu de rigueur, en français, d’écrire Kanak. Qui pourra me faire avaler que kanak serait une transcription plus juste que canaque ? Il est vrai que kanak, c’est plus amusant, ne serait-ce que parce que c’est un palindrome. Mais quid de ces deux k, bien peu français ? Serait-ce justement pour leur caractère peu français que des indépendantistes canaques (ou certains de leurs amis bien intentionnés) l’ont adopté ? L’exotisme aura très bien pu faire ensuite le reste : ah, le klakement du k, appel brut, érotike et tropikal, kri du bon sauvage[iv]
Il y a certainement aussi dans ces glissements une manifestation d’orgueil de la part de quelques ethnologues ou anthropologues, du genre : « avant, on disait tsigane ou romani ; mais moi j’ai découvert et établi qu’il faut dire rom, ce dont mes imbéciles de prédécesseurs étaient incapables. » Cette nouveauté sera tombée dans l’oreille ou sous l’œil d’un quelconque journaliste qui, contaminé par ce genre de snobisme[v], l’aura massivement utilisé, se conférant ainsi une aura de spécialiste. Pour ne pas être en reste, ses collègues l’auront imité et auront répandu partout cette évolution.
De tels changements, en soi, n’ont rien de particulièrement bon ou mauvais. Mais la vitesse à laquelle ils s’imposent peut nous donner une bonne mesure de la perméabilité de beaucoup d’esprits à n’importe quelle idée, fût-elle démente, d’ailleurs[vi].


[i] Autoproclamation proche de celle, par exemple, d’un Jean-Michel Ribes, qui résista à l’oppression sarkozyste en dirigeant un théâtre subventionné sous la terrible tyrannie de l’affreux Sarkozy. Aujourd’hui toujours directeur du même théâtre, lui échoit sans doute la lourde responsabilité de résister à l’opposition !
[ii] Reconnaissons aux dirigeants du FN le mérite d’avoir décidé de remplacer cette candidate. Cas à comparer avec celui de l’assistant parlementaire socialiste susmentionné.
[iii] Plus précisément dans Svenska Dagbladet.
[iv] Quelque chose que Marcel Aymé eût sans doute qualifié d’un primitivisme bouleversant (cf. Travelingue).
[v] Ajoutons à ce snobisme le plaisir douteux éprouvé à contester, voire à dénigrer tout usage précédemment établi, en se réclamant obligatoirement du point de vue de ces peuples, notre point de vue étant nécessairement mauvais.
[vi] L’imposition en quelques années de ce qui a pris en France la forme du pourtoussisme hollando-terranovesque sous l’influence de quelques groupuscules fumeux m’en semble un bon exemple.

2 commentaires:

  1. Précision utile sur le cas Bedos : il y a vingt ans au moins que ce n'est plus de l'humour, mais de la hargne. D'autres humoristes malheureux (de tête, je cite Florence Foresti, comme ça la laïco-sainte parité sera respectée) se rangent ainsi dans la catégorie déroutante des humoristes-qui-ne-font-pas-rire.

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    1. Exact, exact... Une véritable invasion ! J'en viendrais presque à me demander s'il n'existe pas une société secrète d'autopromotion des humoristes-qui-ne-font-pas-rire. Hypothèse un brin "complotiste", certes, mais qui expliquerait le "statut" dont se pare Bedos...

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