samedi 4 mai 2013

Numérologie

Ne craignez rien. Je ne me suis pas lancé dans ce pan de ce qu'il faut bien nommer la science des ânes. Mais la magie des chiffres a parfois des effets sur certains observateurs qui semblent y croire...

Comptez-vous !
Et puis zut. Non. Je ne compterai rien ni personne. Je commence à avoir soupé, avec toutes les manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois, des décomptes "selon les organisateurs" et "selon la police". Bien entendu, pour ce qui est de celles auxquelles j'ai participé, je penche plutôt du côté des organisateurs que de celui de la police. On n'est pas parfait. Et le gouvernement a tant tenu à marteler que nous n'étions qu'une poignée de mémères à colliers et de skinheads, tous nostalgiques, bien sûr, du maréchal Pétain...

2013 nous rappellera-t-il 2013 ?
Cette accusation loufoque de nostalgie et ces rapprochements hâtifs m'amusent assez, en fait. Ils sont dans l'air du temps. Il y a quelques semaines, on pouvait lire en couverture du Point : "Sommes-nous en 1789 ?", en surimpression devant un portrait de sa Normalité en Louis XVI (ce qui est un peu insultant pour ce dernier, si vous voulez mon avis). Plus récemment, le site internet du Figaro proposait un sondage : "mai 2013 sera-t-il un nouveau mai 68 ?". D'aucuns le prédisent déjà, mais tous ne s'accordent pas pour dire si ce mai 68 sera à l'endroit ou à l'envers. Et, à la radio, j'entends de loin en loin : "montée des populismes... extrême-droite décomplexée... crise économique... atmosphère qui rappelle les années 30...". Du reste, peut-être certains ont-ils été pris de fantasmes, le 24 mars 2013, en voyant débouler vers 18 heures sur les Champs-Elysées quelques milliers de manifestants jusque-là bloqués place de l'Etoile : ils auront rêvé  - ou cauchemardé - un nouveau 6 février 1934. Qu'on se rassure, il n'en fut rien. On reste globalement correct, un dimanche des Rameaux.

Magie des chiffres
Pour ma part, je me sens encore jeune, n'étant pas encore né en 1789, ni en 1934, ni même en 1968. Mais je me rappelle qu'en 1986, au temps de la "loi Devaquet", on nous avait déjà servi du 68. 86, 68, après y avoir regardé de près, les plus sagaces des observateurs étaient en mesure de nous l'apprendre, non sans gravité : cela s'écrit avec les mêmes chiffres.
Je ne devrais pas trop me moquer de nos amis les journalistes. Après tout, je les trouve plutôt consciencieux : il faut bien dire ou écrire quelque chose de ce qui se passe, quand on est payé pour le faire. Et puis chercher de tels rapprochements, non seulement ça occupe, mais voilà qui permet aussi de rappeler qu'on a appris l'histoire de France et qu'on en a médité les dures leçons. Bref, qu'on n'est pas un illettré prétentieux, contrairement à ce que certains populistes voudraient nous faire croire. Ce qui serait dangereux.

Propos de popote
Cet étalage de dates tend à me rappeler un livre d'une drôlerie exquise - comme à peu près tout ce que fait Sempé - paru en 1975 et dont l'histoire se déroule en 1972 (année où, enfin, je naquis) : L'ascension sociale de Monsieur Lambert. Au Picard, le bistrot où déjeunent les cadres subalternes de la S.A.M.E.M.U., les discussions politiques vont bon train ; au tout début, on lit :
- (...) 36, on s'en doutait dès 34 !...
- Même en 32 ! (...)
- De même qu'en 36, on voyait 39 gros comme une maison !...
- Et les résultats de 36, eh bien, on les a vus en 40 !...
- Qu'est-ce que vous nous racontez ! 40, c'est à cause de Munich, en 38 !
- De toute façon, 36, eh bien en 37 c'était terminé !...
- C'est bien pour ça qu'il y a eu 38 !
Cela, évidemment, c'est du tout venant, du bavardage pour le petit peuple. Indigne des journalistes sérieux et des élites qui les lisent attentivement. A la fin de l'histoire, M. Lambert, devenu cadre supérieur, fréquentera d'autres mangeoires, où causent des gens plus cultivés ; citons encore :
- (...) Vous ne pouvez pas comparer mai 68 à 36 ! Mai 68 c'était 71. 1871. Tandis que 36 c'était 1848 !
- Et 1792, c'est quoi pour vous ? C'est pas du mai 68 ?
- Oui, mais avec du 1789 que n'avait pas mai 68 !
- Il n'y avait pas de 89 en 68 ? 68 était bourré de 89. Bourré !
Vous avez suivi ? Virtuose, non ? De là à dire qu'il y a du 1972 raconté en 1975 chez les journalistes de 2013, je n'oserais...

Cependant...
Cette semaine, dans le Point, M. Philippe Tesson a glissé ceci dans un éditorial peu amène à l'égard de sa Normalité : "... il a beau gouverner à la manière des présidents du conseil de la IVème république...". M. Tesson a fait là une belle action : les références aux années 50 étaient un peu rares, à mon goût. Et je ne lui donnerai pas tort, d'ailleurs : sa Normalité me fait parfois penser au peronnage du président Melba, dans Perfide, du vénéré Nimier. Décidément...

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