Aïe ! Avec un tel titre, j’entends d’ici monter
lamentations et récriminations : notre Chatty
Corner jusqu’ici préféré tombe en ce moment dans la facilité, l’auteur qui
l’alimente en guillerettes chroniques se contente d’occuper la place… ou
bien : il s’est (re)mis à boire, le pauvre, il ne sait plus ce qu’il
écrit… à moins d’un choc frontal qui l’ait au moins momentanément privé de
certaines de ses facultés ?…
Il n’en est rien, Dieu merci, chers amis. Ce titre
sort tout droit d’une chronique livrée par Philippe Muray aux lecteurs de La Montagne le 16 décembre 2001 sous le
titre Parlons franc.
Muray m’intéresse
Voilà maintenant un jeu de mots facile, puisqu’il
m’a été inspiré par un petit livre salutaire que les éditions Descartes &
Cie ont récemment fait paraître dans la collection « Chroniques du XXIe
siècle » : Causes toujours.
Il s’agit de chroniques que Muray écrivit de 2000 à 2006 pour La Montagne. Bon nombre d’entre elles
(et même d’autres) avaient déjà été rééditées dans les deux derniers volumes de
ses Exorcismes spirituels, mais même
pour qui s’intéresse à Muray depuis longtemps, relire ces chroniques ne peut
que faire du bien. Et, pour les autres, l’occasion de découvrir Muray est à
saisir, par le biais de textes abordables, certes, mais surtout drôles (sinon
joyeux), riches et pertinents.
Quelques échantillons ?
J’évoquais plus haut Parlons franc : comment, par l’exemple du passage à l’euro,
nous mettre sous le nez le fait que notre civilisation se mue de plus en plus
souvent et dans à peu près dans tous les domaines en simulacre fatigué – et
fatigant – d’elle-même ? En affublant quelques-uns de ces simulacres de
noms loufoques, à la limite du prononçable, qui vont s’accumuler à un rythme de
plus en plus rapide en couvrant toutes sortes de notions. Ce qui produit un
effet poétique et comique qui n’est pas sans rappeler Dimanche à la campagne d’Henri Michaux[i],
avec en plus la terreur ou l’ennui (selon les goûts, les humeurs ou les
tempéraments) que pourra inspirer un remplacement aussi complet…
Je pourrais faire un commentaire de cet acabit pour
à peu près chacune de ces chroniques, l’affaire est tentante, comme l’envie de
rendre chaque réplique, chaque bon mot, chaque scène, situation ou description
d’un roman, d’une pièce de théâtre ou d’un film qui m’aura ému, inquiété,
transporté ou secoué de rire. Mais tant de paraphrase serait lassante, et
puisque je vous dis ou vous répète que je me sens un peu paresseux en ce
moment…
Un prophète du présent ?
Pour continuer ce petit éloge de Philippe Muray
(1945-2006), on pourrait se demander si un Barbey d’Aurevilly, dans l’hypothèse
où il vivrait aujourd’hui, n’aurait pas rangé l’intéressé parmi ses Prophètes du passé. Pourquoi pas, ne
nous refusons rien et voyons grand – même si Barbey, pour d’évidentes raisons
de santé, a été empêché de le faire.
Pourquoi cette envolée de ma part ? Simple
figure de rhétorique – un peu épaisse, j’en ai peur ? Eh bien, il me
semble que ce que Muray écrivit il y a dix, quinze ans – plus parfois – sur le
monde moderne est encore plus pertinent aujourd’hui qu’à l’époque où il donna
son point de vue sarcastique et pessimiste sur ce monde. Pas de quoi se
réjouir, mais au moins de quoi rire bien souvent.
Ce rire pourrait passer pour une simple manière de nous
défouler ou de nous consoler de l’état – que nous sommes quelques-uns à trouver
lamentable – de notre civilisation. Mais, à bien y réfléchir, ridiculiser notre
époque peut être un moyen de rester lucide, voire d’éveiller des
consciences : lisons, relisons, faisons lire Muray si nous espérons
pouvoir préserver, oh, quelques miettes, quelques précieux débris d’humanité.
Au fond, ces deux raisons sont peut-être celles
d’une certaine popularité dont jouit Muray ces temps-ci, notamment chez ceux
que les bénisseurs et adorateurs de la modernité nomment réacs[ii] :
« ah, ils nous fatiguent, avec leur Muray, ils n’ont plus que ce nom à la
bouche ! ». Bien qu’affligé à mes heures d’une forme fâcheuse quoique
légère de dandysme, je ne déplorerai pas cette popularité. Je ne hausserai pas
les épaules en disant : « Muray ? Mais voyons, mes petits amis,
je le lis depuis au moins quinze ans ! ». (Ce qui est vrai, mais vous
fera une belle jambe, n’est-ce pas ?)
Pour se faire une idée (et plus)
Comme je l’ai déjà dit plus haut, l’occasion fournie
par la parution de Causes toujours me
semble excellente pour qui voudrait découvrir Philippe Muray. Un peu de
curiosité, pour en voir plus, pourra vous amener aux Exorcismes spirituels, quatre solides volumes parus aux Belles
Lettres (il en existe des versions « portatives » ou
« abrégées », pour les paresseux ou les pressés). Vous y découvrirez,
outre le « pamphlétaire » auquel il est trop souvent réduit, un Muray
critique littéraire et artistique. Pour la pratique (Muray auteur de
« fiction »), je recommanderai plutôt Roues carrées que On ferme
(mais c’est un choix tout personnel, disons une affaire de goût).
Si, après ces lectures, vous êtes devenus des
mordus, des fanatiques, des inconditionnels ou des zélotes, c’est que vous êtes
mûrs pour vous jeter sans crainte dans Le
XIXe siècle à travers les âges, travail sérieux, érudit et
surprenant qui cous apprendra beaucoup sur le XXIe siècle,
quoiqu’écrit dans les années 80 du XXe. Sans oublier le reste…
Ou vous picorerez selon votre humeur ou votre bonne
fortune. Ramassez ce que vous trouverez chez votre libraire, harcelez-le,
torturez-le, faites-lui commander des lots entiers… Vous ne le regretterez pas.
[i] On
trouvera ce texte dans Lointain intérieur,
recueil publié dans le même volume que Plume.
[ii] Zut.
J’accepte cette appellation, je l’assume au point de la revendiquer. Comme
l’écrivit justement Barbey d’Aurevilly dans Les
prophètes du passé : « les plus beaux
noms portés parmi les hommes sont les noms donnés par les ennemis ! »
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