L’été slovène, de Clément Bénech
Voici donc, au retour de mes vacances, la première
de mes copies. Je vous parlerai peut-être une autre fois des merveilles
contemporaines du doux royaume de Suède, d'où je reviens…
Bref rappel de la critique
De mémoire, j’avais lu ou entendu au sujet de L’été slovène de Clément Bénech des
critiques que l’on pourrait résumer comme suit : c’est un peu creux, mais
c’est drôle et bien écrit. L’auteur n’a que vingt-et-un ans, attendons la
suite, ce pourrait être prometteur.
Passons sur l’âge de l’auteur, propice à une
certaine condescendance, qui me rappelle la légende d’un dessin de Chaval
représentant, entre deux immeubles classiques, une maison telle qu’en dessinent
les petits enfants : « Il faut tenir du compte du fait que l’architecte
n’a que quatre ans. »
Soyons un peu sévère, voulez-vous bien
L’intrigue de ce bref roman (120 pages environ)
tient en peu de mots : deux très jeunes amants partent en voyage en
Slovénie, où divers plaisirs et mésaventures les attendent, leur révélant que
leur séparation s’approche. Comment ne pas se joindre au chœur des critiques
pour trouver, en effet, qu’il n’y a rien de neuf a priori là-dedans ?
Sur le style, il y a aussi à redire. Un des grands
défauts réside dans l’emploi flou, indécis pourrait-on dire, du pronom on à la place de nous, parfois, sans que l’on puisse comprendre pourquoi. L’exemple
en est donné dans la phrase reproduite sur le bandeau avec lequel est vendu le
livre : « Nous n’avions plus qu’à conclure qu’on était à peu près
amoureux ». Ce on vient gâter
une phrase que « à peu près » placé avant « amoureux »,
outre le fait d’introduire une plaisante bizarrerie, pare de mille ambiguïtés
(et de menaces ?) – ce qui était plutôt une réussite, donc.
Quelques autres détails viennent aussi parfois se
nicher entre les dents, si j’ose dire : ceux qui portent sur la conduite
automobile, par exemple, usant de termes qui sentent un peu trop leur permis de
conduire fraîchement acquis, comme : « la voiture s’engagea sur la
voie de décélération… » ou « je me rangeai en épi… ». Fauchez
ces épis, jeune homme, ils vous encombrent !
Ajoutons à cela quelques relâchements dans l’écriture
qui sentent le traduidu (ceux qui
auront suivi mes conseils et lu L’esprit
des lettres, II de Jacques Laurent m’auront compris), comme un irritant « ça
faisait sens »…
L’intrigue et les détails
Nous avons vu ce que l’intrigue, en apparence,
pouvait avoir de pauvre, de banal. Toute la saveur vient donc de quelques
détails plus heureux que ceux cités plus haut (j’ai du mal, je l’avoue, quoique
j’y puisse prendre du plaisir, à lire un livre seulement parce qu’il est bien écrit).
Tout d’abord, nous partons sur une fausse piste :
la compagne du narrateur se nomme Eléna. A l’exotisme de ce prénom, nous nous
disons qu’elle est peut-être (un peu) slovène et qu’elle va tenter de faire
découvrir « son pays » à un jeune Français bien français, léger et
cynique. Mais tout ce qu’elle lui apprend sur la Slovénie, elle le lit à voix
haute dans un guide touristique.
Dans quel intérêt, du reste ? Ils découvriront
un pays à travers ses autoroutes, ses fast-foods,
ses galeries marchandes et ses parcs aquatiques (piscines disneylandisées).
Sans parler des cafés internet ou des bars où l’on rencontre des étudiants avec
lesquels on peut bavarder en globish.
Ces détails sont édifiants : ce voyage n’en est
pas un.
Un autre trait me frappe. Nos deux jeunes amoureux,
quand ils n’ont rien à faire, eh bien, ils
font l’amour. Cette remarque n’est pas d’un puritain, mais d’un
réactionnaire : au lieu d’avoir à faire la difficile conquête d’une jeune
fille, voilà notre narrateur et sa copine englués dans les habitudes où les ont
fait entrer la facilité et la permissivité des mœurs (mais oui !). De même
que le voyage n’en est plus un, l’amour n’est ici plus une quête, une
espérance, mais un ensemble d’habitudes, y compris horizontales, que l’on s’efforce
tant bien que mal de maintenir.
Pas étonnant que ce jeune couple se délite, qui en
est déjà à se contempler et à s’analyser, comme le regrette le narrateur :
« l’amour commence pour moi à décliner lorsqu’on est capable de dire
exactement ce qui nous plaît chez l’autre. Dès lors, l’autre est seulement une
liste avec des cases cochées ». Remarque qu’Eléna considère comme une
dérobade. Pas moi…
Voilà donc de jeunes héros de notre temps :
dans un monde aplani et uniforme où rien n’est impossible, l’ennui les
submerge. Ils ne vivent plus, mais commentent leur vie. A tel point que l’auteur,
qui n’est pas dupe, fait dire à son narrateur, qui ne l’est pas non plus, à un
détour du texte : « C’est vrai que je suis un assez bon exemple d’un
garçon tel que moi. »
Cette dernière phrase pour vous rassurer quant à ce
que ce roman a de bien écrit et de drôle : quelques pépites du même métal
brillent çà et là, éclairant ce voyage morne, mais instructif.
A lire, donc...
Comparaison avec une relecture
Afin de ne pas trop écraser ce jeune roman, ce n’est
qu’après l’avoir fini que j’ai relu L’Etrangère,
de Roger Nimier. Passons sur le fait que ce roman fut écrit par un jeune homme
de vingt-et-un ans – vingt, même, peut-être – et refusé alors par Gallimard.
L’époque offrait, il est vrai, plus de chances aux
situations romanesques : on est en 1945, au sortir de la guerre. Ce qui
permet d’amener à Paris une jeune Tchèque qui a épousé un officier américain,
au moins autant pour fuir un pays où la domination soviétique se fait de plus
en plus encombrante que par amour. L’officier louant une chambre chez les
Nimier, bons bourgeois dont les phynances
battent de l’aile, tout est en place pour un amour impossible entre Alina et le
jeune Roger. Impossible parce qu’elle est mariée comme on le sait, parce qu’ils
ne parlent pas la même langue, parce qu’elle partira bientôt aux Etats-Unis
avec son époux… Il n’en demeurera pas moins l’histoire d’une tentative de
séduction, de conquête, de la part d’un jeune homme.
Cela serait invraisemblable aujourd’hui : en
Europe, plus d’aspérités, plus d’histoire, plus de ces déséquilibres qui
permettent le mouvement dans un roman.
L’Etrangère, premier roman (refusé) de Roger Nimier est
superbe. L’été slovène, premier roman
(publié) de Clément Bénech, l’est moins. Mais reconnaissons à son auteur qu’il
a su faire quelque chose de pas si négligeable d’un monde sans histoire, sans
aspérité, sans barrière à franchir, d’un monde où la possibilité de mourir d’ennui
et de satiété nous guette à chaque instant. Ce qui n’est pas sans mérite, ni
sans talent.
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