Comment ? Apprendrait-on en lisant cet article
que roman sera récompensé cette année par le prix Goncourt ? Voyons, je ne
suis pas devin. Il est question ici d’un recueil de pastiches intitulé Le prochain Goncourt, signé par Etienne
Liebig et publié aux éditions Michalon.
Tout se veut pastiche dans ce livre, jusqu’à sa
couverture, évoquant – à l’exception des couleurs – celles de la collection
blanche de Gallimard. Jusqu’à un bof imitant le graphisme du nrf
qui orne les livres sortis de chez Gallimard.
Justement, bof…
Pastiches : aimez l’ange !
Aimez-vous les pastiches ? Pour ma part, je
professe un goût immodéré pour ce genre, lorsqu’il est réussi. Citons parmi les
monuments du pastiche les Pastiches et
mélanges, de Proust ou les Dix perles
de culture, de Jacques Laurent et Claude Martine, sans oublier les A la manière de… de Reboux et Muller.
Ni, de Philippe Jullian et Bernard Minoret, Les
Morot-Chandonneur, histoire d’une famille s’étendant du XVIIIe siècle aux
années 1950 sous la forme de pastiches d’écrivains contemporains de chaque
épisode. Plus récemment, on trouve les pastiches de Pascal Fioretto (Et si c’était niais ? ou L’élégance du maigrichon), ou encore le Jourde et Naulleau, qui prend des airs
de Lagarde et Michard du XXIe siècle.
Et j’allais oublier le Virginie Q qu’écrivit,
voici vingt-cinq ans environ, Patrick Rambaud, sous le pseudonyme de Marguerite
Duraille.
Qu’est-ce au juste qu’un pastiche ? Souvent,
pour paraphraser Jacques Laurent, c’est un exercice de critique littéraire
consistant à produire des échantillons factices concentrant, pour les faire
ressortir, les traits les plus frappants d’un écrivain : son style ou ce
qui en tient lieu, et les situations ou prétextes auxquels il l’applique.
Le pastiche peut ainsi être un éreintement ou un exercice
d’admiration, voire une critique assez équilibrée quant aux éloges et aux
réserves. D’ailleurs les pastiches « critiques » les plus réussis me
semblent ceux où le pasticheur fait sentir l’amour ou le goût qu’il a pour le
pastiché, en le nuançant par la mise en évidence de ses faiblesses, de ses tics
d’écriture… Ce ne sont pas toujours les plus drôles, mais souvent ils font
naître chez le lecteur un sourire de connivence (je pense notamment au pastiche
de Flaubert par Proust).
Le pastiche penche parfois vers la parodie : c’est
évidemment le cas lorsqu’il s’agit de massacrer – par le ridicule – l’écrivain
que l’on critique ainsi[i].
Ou quand le pasticheur cherche, tout simplement, à s’amuser et à amuser ses
lecteurs, même aux dépens d’un auteur qu’il ne déteste pas nécessairement (on
peut penser à certains des A la manière
de…). La difficulté, dans un tel cas, consiste à n’en point faire trop, à
ne pas tomber dans la pochade.
J’écarterai de mon propos le pastiche qui n’est pas
une critique littéraire, mais plutôt un clin d’œil occasionnel ou un hommage
plus ou moins moqueur (par exemple le Posteriores
Terrae d’Antoine Blondin, nouvelle
pastichant Mauriac, dans Quat’ saisons),
voire un acte d’allégeance au pastiché, quitte à ce que cela soit pour s’opposer
à un autre écrivain (allez voir, dans le recueil posthume Les écrivains sont-ils bêtes ?, de Nimier, Un déjeuner de Bernanos : imitant
le style de Bernanos, Nimier tourne en dérision le vieux romancier catholique « Francis
Cantal » et la petite cour de jeunes écrivains qui l’entoure, dont fait d’ailleurs
partie l’insupportable « Roger Lainier » ; Mauriac se le tint
pour dit, le prit mal et se brouilla avec Nimier). Les deux exemples que je
viens de citer sont excellents, je les aime beaucoup, mais ils ne me semblent
pas constituer des exercices de critique.
Quelle forme peut prendre un recueil de pastiches ?
La plus simple consiste à faire se succéder les morceaux, avec plus ou moins de
suite logique, comme on le ferait dans un recueil de critiques. C’est le cas
des A la manière de… et des Dix perles de culture.
Les Pastiches
et mélanges de Proust (pour leur partie « pastiches ») présentent
déjà un début de prétexte, qui leur donne une touche de raffinement : la
contrainte consistant à s’imposer un sujet unique (ce sera l’affaire Lemoine,
aujourd’hui oubliée : un escroc – Lemoine – avait prétendu être l’inventeur
d’un procédé de fabrication de diamants artificiels et avait piégé quelques
gogos avant la découverte de sa grossière supercherie).
Sinon plus raffiné, en tout cas astucieux,
acrobatique et fort drôle, le cas du Jourde
et Naulleau est intéressant : non seulement quelques écrivains sont
pastichés, mais les pastiches sont eux-mêmes présentés par des commentaires
imitant ceux des Lagarde et Michard,
questions, exercices et sujets de dissertations compris (après tout, Jourde
sait de quoi il retourne, enseignant lui-même la littérature dans une
université).
Vient enfin le recueil de pastiches qui est lui-même
un récit, où l’intrigue est le prétexte à enchaîner les imitations. Les recueils
de Fioretto que j’ai évoqués plus haut entrent dans cette catégorie. Tout l’art
– outre celui du pasticheur – consiste alors à amener de la manière la plus naturelle possible chaque auteur pastiché.
Fioretto y parvient plutôt bien (même si les intrigues sont minces) mais à mon
goût le sommet est atteint dans Les
Morot-Chandonneur, de Jullian et Minoret, sorte de fausse saga familiale
dont chaque chapitre serait un pastiche illustrant un membre de la famille
Morot-Chandonneur. Et ça marche !
Vous voudrez bien, je l’espère, me pardonner ce
préambule quelque peu pédant. Il était nécessaire, vu ce qui suit.
Et Le prochain Goncourt ?
Eh bien… résumons-nous : Le prochain Goncourt est candidat à l’admission dans la dernière
catégorie – la plus ambitieuse – de recueils de pastiches. Voyons pourquoi
cette candidature, à mon avis, ne peut être que rejetée.
Commençons par l’intrigue, ou le prétexte :
cette intrigue est insignifiante, lourde et invraisemblable. Ce qui pourrait
être pardonnable si sa loufoquerie ne tombait pas à plat : on suit l’enquête
d’un inspecteur de police sur l’assassinat de Jean-Pierre Coffe, dont le
cadavre a été trouvé cuit dans une tarte à la citrouille géante ; cette
enquête nous ramènera notamment à l’époque de l’Occupation, où nous
rencontrerons des SS chargés de mener à bien la solution farinale, laquelle consiste à vider la France de toute sa
farine blanche, tandis que les résistants du réseau Farine, qui côtoient un certain jean Moulin (ho, ho !)
tâcheront de s’y opposer… Je suppose que les Monty Python eussent pu penser à
un tel scénario pour un sketch de dix minutes, avant d’y renoncer : trop
grumeleux, trop farineux, tout ça ; pas si drôle, en somme[ii]…
Cette intrigue, de plus, est menée poussivement ; les chapitres sont
placés au chausse-pied, s’enchaînant si mal qu’il faut à chaque fois un lourd
paragraphe de transition bavard et dénué d’intérêt.
Passons aux titres des chapitres et aux noms des
auteurs pastichés. Dans ces domaines, Le
prochain Goncourt, qui me semble loucher du côté de chez Fioretto, reprend des
procédés de ce dernier : le titre de chaque chapitre est un jeu de mots
sur le titre du roman pastiché et quelques homophonies nous rappellent les noms
des auteurs. Chez Fioretto, ce dernier procédé est systématique et assez bien
utilisé ; qu’on en juge : cela peut donner Christine Anxiot, Patrick
Modiamo, Jean d’Ormissemon, Anna Galvauda ou encore Guillaume Muzo. Chez
Liebig, on trouvera François Weyergland ou Marie Ndxwsiaye[iii].
Venons-en, quand même, à l’art du pastiche. Je ne m’y
attarderai en fait pas trop et ne prendrai qu’un exemple : Les malvoyantes, censé pasticher Les bienveillantes, de Jonathan Littell :
en gros, un officier SS (mais qui de temps en temps appartient à la Wehrmacht) raconte d’un ton nonchalant,
amusé et nostalgique ses turpitudes variées sur fond de solution farinale. Les noms des Allemands sont à peu près tous des
caricatures (le Hoptegénéral « Hansi
von Von Vonlépetitemarionet », ou encore Schtrrrenckkle) et tous ont des grades de la plus haute fantaisie :
outre le déjà nommé Hoptgénéral, on
rencontre un Grossecommandantuppersuperführer,
un Öglenfurgegengeneral, un Furstenbergcamemberführer, un Gestaldtefreudconneriführer, etc. Et, te demps en demps, les tialoques zont égrits
afec un kros agzent allemand.
Je n’ai pas lu Les
bienveillantes, mais j’ose supposer que Jonathan Littell, s’il a écrit un
roman qui fit quelque peu scandale, ne s’est pas exposé inutilement en
commettant par exemple d’aussi krozes
infraissemplanzes que confondre Wehrmacht
et SS ou inventer des grades SS admissibles au mieux dans La 7ème compagnie[iv].
Les noms des vrais grades SS étaient déjà d’un grotesque achevé, bons exemples
du massacre de l’allemand nommé lingua tertii imperii par Victor Klemperer[v].
De telles potacheries me font sentir que je n’apprends rien des bienveillantes en lisant ce chapitre. Le
pastiche a donc manqué son but et se limite à une épaisse parodie, qui arrache
parfois – oh, laborieusement – un pâle sourire. Il se trouve que je n’ai lu
aucun des autres auteurs « pastichés » ici, sauf (un peu) Houellebecq :
la perte totale de confiance provoquée par Les
malvoyantes fait tomber à plat l’ensemble.
Une dernière remarque : les onze chapitres
constituant Le prochain Goncourt sont
des « pastiches » des onze derniers lauréats du prix Goncourt. Vu la
manière dont Etienne Liebig les traite, il est visible qu’à son avis les œuvres
récompensées sont surfaites et ne méritaient pas ce prix. Il est permis (et
peut-être même juste) d’être de cet avis, mais pourquoi alors ne pas simplement
l’écrire de manière explicite dans un essai ou un pamphlet, au lieu de se
livrer à de lourdes parodies ? Vers 1950, c’est ce que fit Julien Gracq
dans La littérature à l’estomac ;
et ce que fit aussi Pierre Jourde (cité plus haut parmi mes pasticheurs
préférés) en 2002 dans La littérature sans
estomac.
Je compterai donc pour rien ces « pastiches »
et en resterai à ma liste. J’en suis le premier navré.
[i] Virginie Q en est un exemple assez
réussi. Mais Marguerite Duras ne produisait-elle pas déjà (malgré elle ?)
des parodies de Marguerite Duras ?
[ii] Quoiqu’il
existe un sketch des Monty Python qui ne m’ait jamais fait beaucoup rire :
Mr Hilter. Ce n’est pas à cause du
sujet, mais parce que ce sketch est raté.
[iii] En
gros : chez Fioretto, l’homophonie peut révéler quelque chose de ce qu’il
pense de l’auteur (une anxieuse anxiogène, un écrivain pas inintéressant mais
dont les romans se ressemblent presque mot-à-mot,
un vieillard sympathique mais un peu lassant, une romancière surfaite… Chez
Liebig, un g---d et une femme au nom étranger et donc ridiculement
imprononçable : quelle classe !
[iv] Et
puis non, quand même ; les scénaristes auraient sans doute trouvé ces
blagues un peu trop pachydermiques.
[v] Pour la
petite histoire, le cousin d’Otto Klemperer.
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