Pour commencer, un aveu : je laisse là l’absurdométrie.
Impossible, en effet, de disposer d’appareils fiables ; ils s’emballent
tous avant de se mettre à fumer. Contentons-nous donc de poursuivre nos
observations absurdographiques. Et tâchons de procéder avec ordre et méthode.
A travers le monde
Je ne ferai pas de longs commentaires sur les
massacres commis ces derniers jours au Kenya et au Pakistan. Il me semble que
le ton badin que j’aime à employer ici serait inconvenant. Je me bornerai donc
à relever que l’assassinat de soixante-dix chrétiens pakistanais à la sortie de l'église, ce dimanche, aura fait moins de bruit sur ma radio d’état
préférée que l’interdiction faite à la succursale d’un gros marchand de parfum
sise sur les Champs-Elysées d’ouvrir après 21 heures[i].
Sur cette dernière question, essentielle, n’est-ce
pas, une seule remarque : en bon Parisien, je ne fréquente guère les
Champs-Elysées (pensez-donc : je ne suis pas allé m’y promener depuis le
24 mars) ; cet endroit est donc réservé aux touristes, qui ont tout loisir
de s’acheter du parfum pendant la journée.
Post-modernités
Dans quelques grandes villes françaises, des arrêtés
municipaux autorisent désormais les cyclistes à « griller » certains
feux rouges. Saluons cette reconnaissance du trait gaulois bien connu : oui, je sais, je ne respecte pas les règles,
mais parfois si, et moi c’est différent, parce que.
Allons, assez d’ironie sur notre beau pays. De magnifiques
exemples du grand principe post-moderne qui consiste à faire bouger les lignes (en français : n’importe quoi vaut
tout) nous viennent aussi de l’étranger. Des Etats-Unis, par exemple. Voyons plutôt.
En lisant FromagePlus (merci, monsieur Plus !), j’apprends que deux messieurs yankis,
vivant en concubinage depuis plus de quarante ans, ont trouvé une belle astuce
pour éviter de payer trop de droits de succession en cas de décès de l’un d’entre
eux : l’un a adopté l’autre. Et c’est le plus jeune (65 ans) qui a adopté
le plus âgé (73 ans). Ce qui s’explique par le fait que le plus jeune a encore
son père et ne saurait donc en avoir deux.
Avouons qu’avoir un fils adoptif plus âgé que soi, c’est
plutôt cool, non ? Mais je
trouve que deux pères, cela vous eût posé un homme. Ces messieurs, s’ils ont l’esprit
contemporain, ont dû hésiter longtemps.
Amusé par cette anecdote, je me suis permis de
laisser un commentaire chez Fromage Plus :
désormais, j’envisage de me marier seul et, par piété et amour filiaux, d’adopter
mes parents. J’étais encore tout fier de ma bonne blague quand je lus la
réponse d’un autre lecteur : les mariages à une personne existent déjà ;
et de m’en fournir la preuve, à moins que ce ne soit un canular. Mais, aujourd’hui,
plus cela ressemble à un canular, plus il y a de chances que cela soit vrai.
Esprit de parti (1)
En Suède, Mme Elisabeth Svantesson, ministre du
travail, fait l’objet de sévères critiques. Vous me direz : « Et
alors ? C’est le jeu politique ! » Ce serait le cas si ces
critiques venaient de l’opposition. Or elles émanent de son propre parti, ou
plus précisément d’une faction de ce parti, les Modérés pour l’ouverture[ii].
Que lui reprochent donc des gens si ouverts ? De s’être acoquinée avec
des néo-nazis ? Dieu merci, non. D’être corrompue ? Pas plus. De participer
à des orgies ? Vous n’y êtes toujours pas.
Non, simplement, cette dame a été membre d’organisations
chrétiennes (oh !) et a refusé au nom de ses convictions personnelles de
voter pour l’extension du mariage aux couples homosexuels il y a quelques
années, alors qu’elle était députée (horreur !). Ce qui, d’après les Modérés pour l’ouverture, n’est pas dans la ligne du parti.
Voilà que les bourgeois se mettent à parler comme
des communistes, désormais. Un député n’a pas le droit d’avoir des convictions
personnelles. Raison de plus pour mépriser tous
les partis politiques[iii].
Esprit de parti (2)
Chez nous, M. François H., à qui une rumeur
persistante prête de hautes fonctions, bénéficierait encore, selon un récent
sondage, de la confiance de 23% des Français. Une personne de ma famille m’a
dit à ce sujet : « ce doit être une erreur ; ils ont écrit 23 pour cent en voulant dire 23 personnes. » Je citai le lendemain
ce propos savoureux à un collègue, qui enfonça le clou : « Vingt-trois
personnes ? Selon les organisateurs ou selon la police ? »
La France est fébrile : elle cherche ces
vingt-trois personnes.
En attendant de toutes les retrouver, M. François H. (dont je préfère préserver l’anonymat, pour lui éviter des ennuis)
ne chôme pas : à l’occasion d’un renouvellement partiel des effectifs du Comité
Consultatif National d’Ethique (CCNE) il y a fait entrer quelques-unes des
vingt-trois personnes susmentionnées. Sachant que ce monsieur attend un avis du
CCNE pour se prononcer quant à l’autorisation de la procréation médicalement
assistée aux couples lesbiens, il aura à présent les coudées franches dans ce
domaine.
La démocratie n’est-elle pas une belle chose, quand
même ?
Le vrai François
Mais ne faisons pas de ce problème une idée fixe. Le
Pape l’a d’ailleurs dit dans un entretien récemment accordé à une revue
jésuite. Et il a raison : être chrétien, ce n’est pas être membre d’un
parti et passer tout son temps à s’exprimer sur tel ou tel sujet (ce qui n’implique
pas qu’il faille se taire, mais ce n’est pas tout !). Je n’ai pas eu le
temps de lire en détail cet entretien, mais ce que je sais est que bien des
journalistes y sont allés de leurs commentaires, en disant comme d’habitude n’importe
quoi, désireux qu’ils sont de voir l’Eglise se plier à toutes les manies du
moment, c’est-à-dire se renier. Le peu que j’ai lu de cet entretien me semble
très juste, ce qui a peu d’importance, car qui suis-je pour commenter les
propos du Pape ?
J’en tirerai une conclusion (provisoire ?) sous
la forme d’un proverbe : quand le Pape parle, les journalistes jacassent[iv].
Mais ne soyons pas trop dur : Dieu aime aussi
les journalistes[v].
Puisqu’Il est infiniment bon et infiniment aimable, comme nous le disons
dans l’acte de contrition (car nous sommes pécheurs).
[i]
Certainement un effet de ce que Jean Dutourd nommait, dans ça bouge dans le prêt-à-porter,
le kilomètre sentimental…
[ii]
Traduction libre de Öppna Moderaterna.
En gros, le parti modéré est un parti de centre-droit, plus bourgeois que
conservateur. Un peu comme l’UMP chez nous ?
[iii] Et
comme l’avait noté Barbey d’Aurevilly dans Omnia :
« Un chef de parti n'est jamais après tout qu'un bon caporal. »
[iv] J’ai
cependant lu dans le quotidien suédois Svenska
Dagbladet le roboratif avis d’un jésuite suédois (mais oui, il y en a !).
Navré, pas de lien, c’est dans l’édition « abonnés » et c’est en
suédois (mais rien ne vous interdit d’apprendre cette langue, la plus douce et
la plus facile qui soit, avec le français – un point de vue objectif).
[v] Ce qui
me rappelle un passage dans Léon Morin,
prêtre, de Béatrix Beck : « Pourquoi est-ce que le bon Dieu ne
ferait pas de miracles pour les hérétiques ? Vous croyez qu'il les aime moins
que les autres ? »
Me voici dans l'obligation d'ajouter une précision à cet article : j'ai été sévère avec ma radio d'état préférée au sujet de l'assassinat de chrétiens pakistanais. Toute une émission, ce matin, à 7h30, avec pour invité Mgr Gollnisch (et des extraits d'un entretien avec Mgr Casmoussa, archevêque de Mossoul), sur la situation des chrétiens en Orient. J'en rends grâce et bats ma coulpe...
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