mercredi 25 septembre 2013

Absurdographie (2)

Pour commencer, un aveu : je laisse là l’absurdométrie. Impossible, en effet, de disposer d’appareils fiables ; ils s’emballent tous avant de se mettre à fumer. Contentons-nous donc de poursuivre nos observations absurdographiques. Et tâchons de procéder avec ordre et méthode.
A travers le monde
Je ne ferai pas de longs commentaires sur les massacres commis ces derniers jours au Kenya et au Pakistan. Il me semble que le ton badin que j’aime à employer ici serait inconvenant. Je me bornerai donc à relever que l’assassinat de soixante-dix chrétiens pakistanais à la sortie de l'église, ce dimanche, aura fait moins de bruit sur ma radio d’état préférée que l’interdiction faite à la succursale d’un gros marchand de parfum sise sur les Champs-Elysées d’ouvrir après 21 heures[i].
Sur cette dernière question, essentielle, n’est-ce pas, une seule remarque : en bon Parisien, je ne fréquente guère les Champs-Elysées (pensez-donc : je ne suis pas allé m’y promener depuis le 24 mars) ; cet endroit est donc réservé aux touristes, qui ont tout loisir de s’acheter du parfum pendant la journée. 
Post-modernités
Dans quelques grandes villes françaises, des arrêtés municipaux autorisent désormais les cyclistes à « griller » certains feux rouges. Saluons cette reconnaissance du trait gaulois bien connu : oui, je sais, je ne respecte pas les règles, mais parfois si, et moi c’est différent, parce que.
Allons, assez d’ironie sur notre beau pays. De magnifiques exemples du grand principe post-moderne qui consiste à faire bouger les lignes (en français : n’importe quoi vaut tout) nous viennent aussi de l’étranger. Des Etats-Unis, par exemple. Voyons plutôt.
En lisant FromagePlus (merci, monsieur Plus !), j’apprends que deux messieurs yankis, vivant en concubinage depuis plus de quarante ans, ont trouvé une belle astuce pour éviter de payer trop de droits de succession en cas de décès de l’un d’entre eux : l’un a adopté l’autre. Et c’est le plus jeune (65 ans) qui a adopté le plus âgé (73 ans). Ce qui s’explique par le fait que le plus jeune a encore son père et ne saurait donc en avoir deux.
Avouons qu’avoir un fils adoptif plus âgé que soi, c’est plutôt cool, non ? Mais je trouve que deux pères, cela vous eût posé un homme. Ces messieurs, s’ils ont l’esprit contemporain, ont dû hésiter longtemps.
Amusé par cette anecdote, je me suis permis de laisser un commentaire chez Fromage Plus : désormais, j’envisage de me marier seul et, par piété et amour filiaux, d’adopter mes parents. J’étais encore tout fier de ma bonne blague quand je lus la réponse d’un autre lecteur : les mariages à une personne existent déjà ; et de m’en fournir la preuve, à moins que ce ne soit un canular. Mais, aujourd’hui, plus cela ressemble à un canular, plus il y a de chances que cela soit vrai.
 
Esprit de parti (1)
En Suède, Mme Elisabeth Svantesson, ministre du travail, fait l’objet de sévères critiques. Vous me direz : « Et alors ? C’est le jeu politique ! » Ce serait le cas si ces critiques venaient de l’opposition. Or elles émanent de son propre parti, ou plus précisément d’une faction de ce parti, les Modérés pour l’ouverture[ii].
Que lui reprochent donc des gens si ouverts ? De s’être acoquinée avec des néo-nazis ? Dieu merci, non. D’être corrompue ? Pas plus. De participer à des orgies ? Vous n’y êtes toujours pas.
Non, simplement, cette dame a été membre d’organisations chrétiennes (oh !) et a refusé au nom de ses convictions personnelles de voter pour l’extension du mariage aux couples homosexuels il y a quelques années, alors qu’elle était députée (horreur !). Ce qui, d’après les Modérés pour l’ouverture, n’est pas dans la ligne du parti.
Voilà que les bourgeois se mettent à parler comme des communistes, désormais. Un député n’a pas le droit d’avoir des convictions personnelles. Raison de plus pour mépriser tous les partis politiques[iii].
Esprit de parti (2)
Chez nous, M. François H., à qui une rumeur persistante prête de hautes fonctions, bénéficierait encore, selon un récent sondage, de la confiance de 23% des Français. Une personne de ma famille m’a dit à ce sujet : « ce doit être une erreur ; ils ont écrit 23 pour cent en voulant dire 23 personnes. » Je citai le lendemain ce propos savoureux à un collègue, qui enfonça le clou : « Vingt-trois personnes ? Selon les organisateurs ou selon la police ? »
La France est fébrile : elle cherche ces vingt-trois personnes.
En attendant de toutes les retrouver, M. François H. (dont je préfère préserver l’anonymat, pour lui éviter des ennuis) ne chôme pas : à l’occasion d’un renouvellement partiel des effectifs du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) il y a fait entrer quelques-unes des vingt-trois personnes susmentionnées. Sachant que ce monsieur attend un avis du CCNE pour se prononcer quant à l’autorisation de la procréation médicalement assistée aux couples lesbiens, il aura à présent les coudées franches dans ce domaine.
La démocratie n’est-elle pas une belle chose, quand même ?
 
Le vrai François
Mais ne faisons pas de ce problème une idée fixe. Le Pape l’a d’ailleurs dit dans un entretien récemment accordé à une revue jésuite. Et il a raison : être chrétien, ce n’est pas être membre d’un parti et passer tout son temps à s’exprimer sur tel ou tel sujet (ce qui n’implique pas qu’il faille se taire, mais ce n’est pas tout !). Je n’ai pas eu le temps de lire en détail cet entretien, mais ce que je sais est que bien des journalistes y sont allés de leurs commentaires, en disant comme d’habitude n’importe quoi, désireux qu’ils sont de voir l’Eglise se plier à toutes les manies du moment, c’est-à-dire se renier. Le peu que j’ai lu de cet entretien me semble très juste, ce qui a peu d’importance, car qui suis-je pour commenter les propos du Pape ?
J’en tirerai une conclusion (provisoire ?) sous la forme d’un proverbe : quand le Pape parle, les journalistes jacassent[iv].
Mais ne soyons pas trop dur : Dieu aime aussi les journalistes[v]. Puisqu’Il est infiniment bon et infiniment aimable, comme nous le disons dans l’acte de contrition (car nous sommes pécheurs).




[i] Certainement un effet de ce que Jean Dutourd nommait, dans ça bouge dans le prêt-à-porter, le kilomètre sentimental
[ii] Traduction libre de Öppna Moderaterna. En gros, le parti modéré est un parti de centre-droit, plus bourgeois que conservateur. Un peu comme l’UMP chez nous ?
[iii] Et comme l’avait noté Barbey d’Aurevilly dans Omnia : « Un chef de parti n'est jamais après tout qu'un bon caporal. »
[iv] J’ai cependant lu dans le quotidien suédois Svenska Dagbladet le roboratif avis d’un jésuite suédois (mais oui, il y en a !). Navré, pas de lien, c’est dans l’édition « abonnés » et c’est en suédois (mais rien ne vous interdit d’apprendre cette langue, la plus douce et la plus facile qui soit, avec le français – un point de vue objectif).
[v] Ce qui me rappelle un passage dans Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck : « Pourquoi est-ce que le bon Dieu ne ferait pas de miracles pour les hérétiques ? Vous croyez qu'il les aime moins que les autres ? »

1 commentaire:

  1. Me voici dans l'obligation d'ajouter une précision à cet article : j'ai été sévère avec ma radio d'état préférée au sujet de l'assassinat de chrétiens pakistanais. Toute une émission, ce matin, à 7h30, avec pour invité Mgr Gollnisch (et des extraits d'un entretien avec Mgr Casmoussa, archevêque de Mossoul), sur la situation des chrétiens en Orient. J'en rends grâce et bats ma coulpe...

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