dimanche 30 juin 2019

Les (més)aventures de Mme Thill

Qu’il soit permis de se demander si certains n’ont pas quelquefois la monnaie de leur pièce. Par exemple au sujet de Mme Agnès Thill, députée de l’Oise, exclue le 27 juin du groupe LREM à l’Assemblée nationale ainsi que du parti du même nom. Que reprochent donc à Mme Thill ses petits camarades ? Ses délires homophobes, aux dires de quelques-uns d’entre eux. Précisons que lesdits « délires » consistent en quelques messages émis et répandus par l’intéressée sur les réseaux dits sociaux, messages ouvertement hostiles à un projet de loi que le gouvernement et les fidèles députés qui le soutiennent entendent faire voter d’ici l’automne. Et que ledit projet de loi porte sur l’autorisation pour des femmes seules ou des couples de femmes de se faire inséminer artificiellement en vue de mettre au monde des enfants.
Nous savons donc désormais qu’il est considéré comme délirant par les affidés de M. Macron de ne pas être d’accord avec leurs projets. Il est donc normal d’éprouver de la sympathie pour Mme Thill, tout en considérant que son exclusion d’un parti d’automates est en somme un gage de liberté pour elle. Cependant elle n’est pas exempte de reproches.
S’il est objectivement  possible de reprocher à Mme Thill de s’être répandue en ce qui ressemble à des formules à l’emporte-pièce, cela n’est pas le principal reproche que l’on puisse lui faire. Après tout, Mme Thill, en utilisant des moyens tels que Touiteur, s’est condamnée à un laconisme qui oblige parfois à de périlleux raccourcis. Il naît de la lecture de certains de ses touites la curieuse sensation que l’on éprouverait en lisant un écrit philosophique ou mathématique où figureraient des hypothèses et des conclusions plutôt justes sans que la démonstration permettant de cheminer des unes aux autres ait été exposée. Ce qui est plutôt frustrant, reconnaissons-le, mais ne mérite en rien les propos insultants don Mme Thill a fait l’objet de la part de ses petits camarades.
En revanche, on peut reprocher à Mme Thill de s’être fait des illusions quant au parti qu’elle avait rejoint. Que pouvait-elle en espérer ? La question est pertinente quand on sait que Mme Thill a longtemps adhéré au parti socialiste et est issue, dit-on, d’un milieu plutôt populaire et « catho de gauche ». A bien y réfléchir, on se demande ce qu’elle était allée faire dans cette galère : il y a comme une incohérence entre ses engagements passés et cet engagement-là.
Ce genre d’incohérence pourrait donner à penser à de nombreux électeurs, disons « bourgeois », qui ont massivement voté pour LREM à de récentes élections. Forte de ce soutien (sui n’a, certes, aucune influence sur la composition de notre parlement), la majorité ne peut que se sentir pousser des ailes. Elle n’a plus d’obstacle en vue, en quelque sorte. Cela grâce à la trouille provoquée par le grand méchant RN ou par l’invasion de Paris, tous les samedis, par les hordes-de-barbares-au-gilet-jaune-entre-les-dents. Or parmi les électeurs il se trouve probablement un certain nombre de personnes qui n’approuvent pas la « PMA pour toutes » et même quelques-unes qui seront allées manifester contre le « mariage pour tous » vers 2013. Ces personnes ont donc plébiscité une majorité qui entend mettre en œuvre sans traîner ce contre quoi elles ont manifesté à plusieurs reprises. Pensent-elles pouvoir infléchir à ce sujet le gouvernement ? Avec quels moyens ? En allant une fois de plus manifester, au risque de se plaindre de brutalités policières auxquelles elles auront applaudi lorsqu’il s’est agi d’autres manifestants ? Je veux bien me joindre à leurs cortèges, mais je ne me sentirai en rien dispensé de leur adresser les quelques reproches que je viens d’énoncer.
Du reste, je ne vois pas trop comment infléchir ce gouvernement et la majorité qui le soutient. Certes, M. Philippe a promis ou dit espérer au sujet des lois « bioéthiques » un débat apaisé. Sauf que le cas de Mme Thill permet de mieux comprendre ce qu’il entend par là : « sortez donc fumer une cigarette ou admirer le paysage pendant que les gens sérieux discutent ».

samedi 1 juin 2019

Pauvre Bellamy !

Il y a quelques jours encore, on pouvait entendre sur France-Culture l’annonce d’un programme où il serait question de politique et de roman. Cette annonce contenait une question : Emmanuel Macron est-il un Rastignac ou un Bel-ami ? J’ignore si, au cours dudit programme, une réponse fut apportée à cette importante question. Je dirais plutôt un Bel-ami, pour ma part, ou alors le héros de quelque suite libre des Rougon-Macquart dans leur versant doré ? Qu’importe.
Pour ce qui est des allusions à Balzac, on serait tenté de songer depuis les élections au parlement européen aux Illusions perdues, du moins en ce qui concerne M. Bellamy. Il n’est pas interdit non plus de songer au Père Goriot, M. Bellamy étant allé se loger pour son malheur à la pension Wauquiez, à l’enseigne quelque peu délabrée des Républicains.
On sait depuis ce 26 mai quel humiliant échec a dû subir cette maison. Et l’on se prend à avoir des regrets, ou presque. M. Bellamy est après tout un homme jeune, intelligent, courtois, un de ceux qui ont apporté un peu de dignité dans une campagne électorale aussi sale et bête que d’habitude. Les idées, les convictions qu’il a pu professer méritent l’intérêt, du moins une partie d’entre elles. C’est cette partie qui rendait sa candidature intéressante, tout en étant ce pourquoi même il a été conspué ici et là, pas seulement à gauche.
Il y avait cependant un problème : si M. Bellamy pouvait être une « tête de liste » séduisante, le moins que l’on puisse dire de ses colistiers est qu’ils étaient pour partie choisis parmi les vieux employés fidèles de la boutique fantôme qui se nomme Les Républicains.
Qu’est-ce que Les Républicains ? Les restes de la fusion de circonstance, en 2002, de deux partis politiques qui avaient peu en commun sinon de n’être ni de gauche ni d’extrême-droite : le RPR, fantôme du gaullisme, et l’UDF, fantôme du giscardisme. Depuis, ces gens savent de moins en moins où ils habitent et même qui ils sont. Ils se contentent d’essayer diverses recettes de marketing politique. De sorte que ce qu’il restait d’électeurs « gaullistes » – ou disons patriotes – sont partis ailleurs – au Rassemblement dit national s’ils ont cédé à la tentation nationaliste – ou nulle part – s’ils n’ont pas cédé à cette tentation. Quant aux « giscardiens » – ou centristes –, un sens bourgeois de leurs intérêts pour les plus riches d’entre eux ou de ce qu’ils croient être leurs intérêts pour les moins riches, les a jetés vers La République en marche. Ils ont donc voté ce 26 mai pour la liste menée dit-on par Mme Loiseau, dont la nullité ne les a pas repoussés.
En attendant, voilà M. Bellamy député européen, en compagnie des quelques rescapés du parti qu’il a accepté de représenter. Nous verrons bien s’il sera à la hauteur de l’impression favorable que sa personne a faite pendant la campagne électorale. Souhaitons-lui de ne pas oublier d’être intelligent, de gagner en cohérence dans ses convictions et de ne pas devenir la caution morale et intellectuelle de ce qu’un politicard dont il vaut mieux oublier le nom désigna fièrement naguère comme « le parti des OGM et du gaz de schiste ».