Les nécrologies parues dans la presse au sujet de Jean-Jacques Sempé, récemment disparu, n’ont-elles pas déjà tout dit ? Je n’y ajouterai donc pas grand ’chose : commenter à l’excès l’œuvre d’un dessinateur humoristique risque d’éventer tout ce qui nous fait rire ou sourire dans ses dessins ; et le snobisme que je pourrais manifester ferait de moi un personnage de Sempé. Faut-il chercher la saveur de certains de ses dessins – les plus littéraires ou les plus bavards, selon les points de vue – dans l’étonnement d’un autodidacte devant le verbiage des intellectuels et des snobs au milieu desquels il aurait été jeté ? Je me garderai de répondre à une telle question, sans compter que Sempé sut aussi faire des dessins se suffisant à eux-mêmes, sans légende, comme on l’imprimait autrefois dans les journaux.
Je me rappelle avoir cité
il y a quelques années un long passage de L’Ascension sociale de M. Lambert,
à propos de « numérologie » : quel plaisir dans l’énumération un
peu désordonnée des millésimes, qu’il s’agisse de football, de politique ou de
jazz, les références variant selon que les propos de table sont tenus chez
Picard ou à la Bistrothèque ! Savourons donc ce :
« 56, c’était la
grande époque de Duke Ellington. Parfaitement ! Quand vous aviez au centre
Johnny Hodges, à droite Paul Gonzalves et à gauche Harry Carney, on…
-
Mais non !
Vous ne pouvez pas comparer le Duke de 42 avec le Duke de 56 !...
-
Avec à l’arrière
Cootie Williams et Cat Anderson ? Ça ne chauffait pas ?...
-
Si, mais pas
comme en 42 !
-
Ou 36. »
Observons qu’on revient
toujours à 36 dans L’Ascension sociale de M. Lambert, qu’il s’agisse de
football, de politique ou de jazz. En précisant qui est à droite, à gauche, à l’arrière…
(D’ailleurs, soit dit en
passant, pour ce qui est de Duke Ellington, il faut revenir à 36, quand vous
aviez, outre Johnny Hodges et Harry Carney, Barney Bigard et Rex Stewart… Mais
je m’égare.)
Pour finir ce bancal
hommage à Sempé, une anecdote : à une terrasse parisienne, il y a douze ou
quinze ans, je déjeunai à une table voisine de la sienne. Alors qu’il s’était
éclipsé à l’intérieur, son chien ne trouva rien de mieux à faire que d’entreprendre
l’ascension de mes genoux. Pas de frayeur de ma part (ce qui est rare avec les
chiens ; mais un Jack Russell aura toujours quelque chose d’attachant), et
sa femme me présenta des excuses que j’acceptai bien volontiers…
Je me demande si cette
anecdote et ma digression – vite interrompue pour vous ménager – sur Duke
Ellington, signes de ma pédanterie et de mon snobisme, ne constituent pas des
preuves, à défaut d’une démonstration, de ce que je risque fort d’être un
personnage de Sempé. Et vous, lequel êtes-vous ?
Dernière minute : on
annonce le décès de la reine d’Angleterre. Décidément, rien n’est éternel en ce
bas monde.