mardi 31 décembre 2019

Petites causes, grands effets (et l’inverse)

« Il y a beaucoup de voitures sur la voie de bus, ce soir, vous ne trouvez pas ? »
La jeune dame qui m’avait ainsi adressé la parole venait de s’arrêter à côté de moi au feu rouge, au bout du pont du Garigliano, sur lequel je me rappelais l’avoir dépassée. Nous échangeâmes quelques considérations sur nos trajets respectifs (elle venait du pont de Neuilly, moi de Gennevilliers), avant de nous souhaiter une bonne soirée et bon courage pour la suite du chemin : c’est que nous étions à vélo, ce soir de décembre… Naturellement, il y a quelque chose de beau dans cette éphémère camaraderie. Mais ces moments m’ont paru rares à Paris en ces jours de grève des transports.
Il semble que bon nombre de gens aient profité de ces circonstances – de manière plus ou moins consciente – pour se débonder et laisser libre cours à des instincts anarchiques, voire brutaux. On a pu voir des piétons invectiver des cyclistes, des cyclistes faire des doigts d’honneur à des automobilistes eux-mêmes peu amènes, s’entassant sans interstices sur la chaussée, occupant parfois les voies cyclables. Le tout se faisant souvent au mépris du code de la route, à commencer par les feux de circulation. Ajoutons à cela les trottinettes et autres engins bizarres, et le tableau serait complet si je pouvais décrire de première main la mêlée dans les (rares) transports en commun, à laquelle j’ai pu échapper.
Quant à identifier les axes, les pivots, les forces qui meuvent et articulent ce flux anarchique et fou, c’est au-dessus de mes forces. Il nous faudrait le lourd génie d’un Balzac pour les détecter et les animer afin d’en faire les agents d’une intrigue apparemment noyée dans l’anecdote ou le tableau[i]. Roger Nimier écrivit bien en 1960 un « Comment circuler en Balzacie »[ii], mais c’est plutôt « Comment balzaciser dans la circulation » qu’il faudrait écrire en ce moment.
L’intrigue, ce pourrait être la vaine et puérile rivalité (que les gens sérieux nommeront rapport de force et les journalistes bras de fer) entre la CGT et le gouvernement à propos des régimes de retraites, qui ont peut-être besoin d’être réformés (quoi qu’en dise la CGT) mais peut-être pas de la manière voulue par le gouvernement (quoi qu’en disent celui-ci et ses amis). Nous verrons bien comment cela évoluera en janvier. Mais avec les grèves dans les raffineries de pétrole, qui sait si les proclamations jusqu’ici farfelues[iii] de Mme Hidalgo sur Paris, capitale européenne du vélo en 2020 ne vont pas s’avérer sérieuses ?
En attendant de nous en rendre compte, joyeux Noël et bonne année !


[i] Voir ici, à ce propos, ce que l’on peut penser de l’habillage de l’intrigue par les apparences du naturalisme, à travers l’exemple – fort pertinent – du Senhor Oliveira da Figueira, utilisé par Kristoffer Leandoer.
[ii] Réédité dans Les Écrivains sont-ils bêtes ? il y a déjà quelques lustres.
[iii] Malgré des efforts parfois louables, souvent erratiques et partant plus qu’imparfaits.

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