« Il y a beaucoup de voitures sur la voie
de bus, ce soir, vous ne trouvez pas ? »
La jeune dame qui m’avait
ainsi adressé la parole venait de s’arrêter à côté de moi au feu rouge, au bout
du pont du Garigliano, sur lequel je me rappelais l’avoir dépassée. Nous échangeâmes
quelques considérations sur nos trajets respectifs (elle venait du pont de
Neuilly, moi de Gennevilliers), avant de nous souhaiter une bonne soirée et bon
courage pour la suite du chemin : c’est que nous étions à vélo, ce soir de
décembre… Naturellement, il y a quelque chose de beau dans cette éphémère
camaraderie. Mais ces moments m’ont paru rares à Paris en ces jours de grève
des transports.
Il semble que bon nombre
de gens aient profité de ces circonstances – de manière plus ou moins
consciente – pour se débonder et laisser libre cours à des instincts
anarchiques, voire brutaux. On a pu voir des piétons invectiver des cyclistes,
des cyclistes faire des doigts d’honneur à des automobilistes eux-mêmes peu
amènes, s’entassant sans interstices sur la chaussée, occupant parfois les
voies cyclables. Le tout se faisant souvent au mépris du code de la route, à commencer
par les feux de circulation. Ajoutons à cela les trottinettes et autres engins
bizarres, et le tableau serait complet si je pouvais décrire de première main
la mêlée dans les (rares) transports en commun, à laquelle j’ai pu échapper.
Quant à identifier les
axes, les pivots, les forces qui meuvent et articulent ce flux anarchique et
fou, c’est au-dessus de mes forces. Il nous faudrait le lourd génie d’un Balzac
pour les détecter et les animer afin d’en faire les agents d’une intrigue
apparemment noyée dans l’anecdote ou le tableau[i]. Roger Nimier écrivit bien en 1960 un « Comment circuler en Balzacie »[ii],
mais c’est plutôt « Comment balzaciser dans la circulation » qu’il
faudrait écrire en ce moment.
L’intrigue, ce pourrait
être la vaine et puérile rivalité (que les gens sérieux nommeront rapport de
force et les journalistes bras de fer) entre la CGT et le
gouvernement à propos des régimes de retraites, qui ont peut-être besoin d’être
réformés (quoi qu’en dise la CGT) mais peut-être pas de la manière voulue par
le gouvernement (quoi qu’en disent celui-ci et ses amis). Nous verrons bien
comment cela évoluera en janvier. Mais avec les grèves dans les raffineries de pétrole,
qui sait si les proclamations jusqu’ici farfelues[iii] de
Mme Hidalgo sur Paris, capitale européenne du vélo en 2020 ne vont pas s’avérer
sérieuses ?
En attendant de nous en
rendre compte, joyeux Noël et bonne année !
[i] Voir ici, à ce propos, ce
que l’on peut penser de l’habillage de l’intrigue par les apparences du
naturalisme, à travers l’exemple – fort pertinent – du Senhor Oliveira da
Figueira, utilisé par Kristoffer Leandoer.
[ii] Réédité dans Les Écrivains sont-ils bêtes ? il y
a déjà quelques lustres.
[iii] Malgré des efforts
parfois louables, souvent erratiques et partant plus qu’imparfaits.
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