À l’occasion du premier
anniversaire de l’incendie de Notre-Dame de Paris, La Croix a eu la
bonne idée de demander à quelques personnalités de contribuer par un court
texte à cette triste commémoration. La contribution, parmi d’autres de M.
Michel Pastoureau, éminent historien, a fait quelque bruit dans le monde
catholique français, assez représenté par les lecteurs du quotidien susnommé. La
raison de l’indignation qui s’est manifestée est simple : dans ce texte,
M. Pastoureau proposait de « déconsacrer » Notre-Dame de Paris pour
en faire un musée, étant donné que sa fréquentation assidue par des touristes
armés de perches à selfies avait rendu impossible toute vie de prière à
l’intérieur de la cathédrale, du moins avant l’incendie[i].
Il est facile d’objecter
à M. Pastoureau qu’une fois « déconsacrée », notre cathédrale ne
serait plus qu’une coquille vide, magnifique, certes, malgré les terribles
dégâts de l’an dernier, mais une coquille vide quand même. Et que, même pour
des esthètes épris de cohérence (sinon embrasés de ferveur religieuse), la
question de l’usage d’une église est réglée depuis belle lurette : une
église est une église. C’est un propos que Marcel Proust (peu suspect de
fanatisme) développa il y a plus de cent ans avec plus de talent que je n’en
aurai jamais[ii].
Du reste, où faudrait-il alors installer la cathédrale de Paris ?
Et, quitte à parler de
musée, on pourrait ironiser en disant que dans un tel musée il faudrait exposer
M. Pastoureau dans quelque vitrine, le choix du procédé de conservation de l’intéressé
étant laissé aux responsables de ce musée.
À propos d’ironie, une
fois connues les réactions indignées à ses propos, M. Pastoureau a cru bon de faire
remarquer que ceux-ci étaient en fait ironiques. Et d’affirmer regretter que
personne n’ait été capable de le comprendre. M. Pastoureau, à l’en croire, s’est
donné de la peine pour rien, les lecteurs de son texte n’étant pas armés
intellectuellement pour en saisir les finesses, les bijoux d’ironie patiemment
ciselés. On croirait voir là la réaction de quelque baronnet de la macronie s’inquiétant
de l’incompréhension du bon peuple français devant quelque projet de loi
absurde ou injuste. Pour un peu, ce genre de personnage vous dirait que ses occupations
consistent trop souvent à jeter des perles aux pourceaux. Ainsi donc, nos
élites, politiques ou universitaires, seraient peuplées de génies incompris.
Il serait agréable de
laisser à M. Pastoureau le bénéfice du doute. Après tout, peut-être a-t-il
vraiment voulu ironiser ? Dans ce cas, c’est raté : des esprits fins,
possédant à n’en point douter un certain sens de l’ironie, n’y ont apparemment
rien vu de tel[iii].
Il devait y manquer le petit signe, le petit clin d’œil (pas trop appuyé quand
même) qui signale que le propos n’est pas sérieux. Ou alors M. Pastoureau,
regrettant le scandale provoqué par ses propos, aura jugé élégant de s’en tirer
en faisant passer ceux-ci pour une plaisanterie. Si c’est le cas, plaignons M.
Pastoureau pour l’idée qu’il se fait de l’élégance.
En somme, cette pirouette
n’honore guère M. Pastoureau. Après tout, un certain M. Trump, qui occupe
dit-on de hautes fonctions aux États-Unis d’Amérique, a cru s’en tirer d’une
manière analogue après avoir suggéré à des médecins d’injecter du désinfectant
aux malades atteints du virus qui empoisonne la vie du monde entier depuis
quelques semaines.
Tout cela serait fort
drôle si, dans un cas, il ne s’agissait pas d’une église chère à nos cœurs attristés
depuis un an et, dans l’autre, d’une épidémie qui, derrière les statistiques
effrayantes ou encourageantes selon les jours, raccourcit des vies et laisse
des familles endeuillées.
Cela dit, un moment de
consternation n’interdit pas l’espérance.
[i] Cela est bien résumé ici,
chez Patrice de Plunkett.
[ii] Dans un texte intitulé « La
mort des cathédrales ».
[iii] Comme ici Jean Duchesne
dans Aleteia.