Nous sommes tant inondés
d’informations indifféremment déversées que nous avons rarement le temps de
faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire. Et, une nouvelle chassant
l’autre, l’oubli nous guette.
Futile
imposture ?
Qui se souvient, par
exemple, de l’histoire de cette militante américaine des droits civiques qui
s’était fait passer pour une noire ? Confondue, la dame a dû démissionner
de ses fonctions de la filiale de l’Etat de Washington de la NAACP[i] :
il est vrai que la diffusion de son portrait au naturel (teint rose et cheveux
blonds) ne permettait plus le doute[ii].
Bien entendu, comme cette
personne a cru bon d’expliquer qu’elle se sentait noire, la conclusion
ne s’est pas fait attendre : ou c’est une menteuse ou elle est un peu
dérangée. La seconde hypothèse est possible, et même fort probable. Cependant,
eût-il été possible de tirer la même conclusion si cette dame se fût fait
passer pour un homme ? Interrogation purement rhétorique : c’eût été
de la transphobie, voyons.
Il est en tout cas triste
d’observer qu’aux Etats-Unis une personne se sente obligée de passer pour ce
qu’elle n’est pas afin de défendre les droits d’autres personnes qu’elle.
Charleston,
South Carolina
Que nous ayons tous
oublié cette affaire, reconnaissons-le, est compréhensible : elle n’a fait
l’objet chez nous que de quelques pittoresques entrefilets et des choses bien
plus graves se produisent chaque jour de par le monde. Comme, toujours aux
Etats-Unis, le massacre perpétré à Charleston, en Caroline du Sud[iii],
par un jeune blanc raciste dans une église fréquentée par des noirs. Outre
l’horreur, cet événement peut susciter, chez nous autres Européens, une
certaine perplexité quant à ses développements.
Premièrement, constatons
qu’aux Etats-Unis il paraît normal d’avoir des églises (et même des
Eglises ?) protestantes pour les blancs d’une part et pour les noirs de
l’autre. On ne saurait trop conseiller à ces étranges chrétiens de relire saint
Paul.
Deuxièmement, les beaux
esprits ont immédiatement trouvé quelle mesure prendre : bannir l’usage du
drapeau dit confédéré, sachant que l’assassin s’était fait photographier avec
ce dangereux instrument à la main. A croire que les braves gens qu’il a
trucidés sont morts étouffés dans les plis dudit drapeau. On n’en doute
point : cela sauvera sans doute bon nombre de vies, de même que le
bannissement de l’emploi du mot nigger[iv].
Quant à réglementer (pour
ne pas dire : restreindre) le port d’armes à feu, cela semble moins
évident pour pas mal de nos amis amerlocains, puisqu’on apprend qu’un membre de
la NRA[v] a
déclaré que les victimes seraient encore en vie si elles avaient été armées.
Une telle confusion dans
les esprits permettrait-elle d’entrevoir une explication au chaos que sème
parfois dans le monde, sans nécessairement penser à mal, une puissance qui a la
prétention d’en être le gendarme ?[vi]
[i] National Association
for the Advancement of Colored People, soit Association Nationale
pour la Promotion des Personnes de Couleur.
[ii] Voir ici, par exemple,
dans Libération (bon, il y a mieux
comme source, mais…).
[iii] Sale effet pour les
amateurs de vieilles scies : Charleston,
South Carolina, cela fait penser à la chanson qui donna son nom à une danse
des années 1920 et au Charleston beat…
Les amateurs plus pointus de vieux jazz préfèreront peut-être un morceau
composé pour profiter du succès du précédent : The Baltimore. Décidément, l’actualité américaine donne à ces noms
des résonnances plus sinistres.
[iv] Soit : nègre. Je signale aux censeurs de tout
pelage que bien des écrivains américains peu suspects de racisme l’ont assez
largement employé, mais il est vrai qu’ils étaient souvent originaires du Sud
(je pense par exemple à l’excellente Flannery O’Connor, décidément) et que c’était
le plus souvent dans des dialogues. De même, le drapeau dit confédéré, vu
d’ici, a plus l’air d’un élément de folklore avec sa dose de commerce. Ce
folklore sudiste, au caractère souvent frelaté, Flannery O’Connor, toujours
elle, l’a évoqué dans une nouvelle intitulée A Late Encounter with the Enemy.
[v] La puissante National Rifle Association, comme disent nos amis les
journalistes.
[vi] Ces quelques réflexions
seront avantageusement complétées par celles de Pierre Jova, ici.
L'hypothèse finale est séduisante... Quant à l'interdiction du mot "nigger", elle a atteint un point absurde : aux Etats-Unis, un homme politique qui voudrait condamner le racisme, en prenant le "N word" pour exemple de comportement raciste, ne le pourrait même plus aujourd'hui (voir la polémique récente suite à un discours de Barack Obama). Je me demande comment feraient les historiens pour parler de l'histoire du vingtième siècle sans employer le mot "nazi".
RépondreSupprimerOui, je pensais aussi, naturellement, à ce discours d'Obama. Mais, pour ce qui est de l'exemple que tu prends, le mot "nazi" peut toujours passer : il suffit de préciser que c'est mal (idée assez partagée, enfin, j'espère) ; "espace vital" (ou pis : "Lebensraum") aurait sans doute plus de mal à passer ; mais nous sommes bien d'accord : il deviendra impossible en effet pour un historien de rendre compte sereinement de ses études...
SupprimerS.L.