Serons-nous nombreux cet
automne à nous rappeler le centenaire de la mort de Léon Bloy ? Peut-être
pas moins, après tout, que ceux qui se croiront révolutionnaires en célébrant
les cent ans d’un certain coup d’Etat pétersbourgeois aux conséquences
globalement désastreuses. A tout prendre, mieux vaut se pencher plutôt sur
l’œuvre toujours neuve d’un vieil imprécateur qui se disait lui-même « invendable »
et « solitaire ».
En attendant la parution
– annoncée pour le 14 septembre[i] – dans
la collection « Bouquins » d’un recueil d’essais et pamphlets de
Bloy, il est toujours possible, depuis juin, de lire Léon Bloy, la
littérature et la Bible, ouvrage de Pierre Glaudes paru aux Belles Lettres.
Sans m’aventurer à faire la critique de ce nourrissant essai, je me contenterai
de livrer ici quelques pauvres réflexions, ou plutôt impressions, nées de la
lecture d’icelui ou confirmée par elle. Elles tourneront autour de la notion de
simultanéité.
Commençons par vendre la
mèche à qui, sans avoir consulté les « sources » indiquées à la fin
du volume, se jetterait dans la lecture de Léon Bloy, la littérature et la
Bible, qu’il s’agit d’un recueil d’études publiées par M. Glaudes entre
1990 et 2015 : voilà qui rassurera les lecteurs que d’éventuelles redites
pourraient risquer d’agacer. N’accusons pas le temps, mais considérons que ces
études proviennent de contextes variés.
Le temps ? Dès la
page 48 de Léon Bloy, la littérature et la Bible (« Le Moyen
Âge », chapitre II de la première partie intitulée « Bloy, la Bible
et l’Histoire »), la couleur est annoncée : pour Bloy, « le temps
n’existe pas »[ii] et
que les événements « ne sont pas successifs mais contemporains
d’une manière absolue »[iii], se
déroulant « sous nos yeux, comme une toile immense ». Le temps, donc,
n’est pour Bloy que l’illusion qui résulte nécessairement des limites de notre
vision, qu’il qualifie de « successive »[iv].
Dès lors, il est possible
de ne plus s’étonner de certains traits de l’œuvre de Bloy qui, juxtaposés,
pourraient donner à celle-ci un caractère en apparence paradoxal. En voici une
énumération qui ne prétend en rien à l’exhaustivité : humoristique,
mystique, satirique, hérétique, orthodoxe, tendre, violente, grossière,
eschatologique, raffinée voire maniérée, martelée, hurlée, subtile, érudite,
ordurière voire scatologique[v],
moderne, baroque, archaïque[vi],
ironique, naïve, perspicace, absurde…
Nous savons donc, munis
de cet avertissement, que l’énumération de ces qualificatifs ne saurait être
précédée d’un tour à tour qui ne serait que pure rhétorique. C’est bien en
même temps qu’il faut dire. Nous ne devons plus donc nous étonner, mais
peut-être même plutôt nous réjouir, de la surprise qui nous saisit à la lecture
ou à la relecture d’un livre de Léon Bloy. Nous en prendrons toujours plein
les moustaches[vii]
et, par notre pauvre vision, nous n’aurons peut-être jamais fini d’en disséquer
– vainement ? – tel ou tel aspect.
Dans ses derniers jours,
Léon Bloy affirmait attendre « les Cosaques et le Saint-Esprit ».
Pour ce qui est des Cosaques, l’époque s’y prêtait bien. Mais le
Saint-Esprit ? Il serait tentant d’accuser Bloy de faire peu de cas de la
Pentecôte. Ce serait oublier cette sacrée simultanéité : peut-être
sommes-nous encore trop souvent dans l’état où étaient les Apôtres avant ce
jour-là.
Dans ces conditions, si
en un siècle l’œuvre de Bloy ne nous a pas quittés, nous pourrons bien attendre
deux petites semaines avant d’aller taquiner le libraire[viii].
(Soit dit en passant, cet
en même temps est d’une autre trempe que celui de notre président de la
république et la pensée de Bloy me paraît autrement complexe que celle dont se
targue ce jeune chef d’Etat. J’avais méchamment évoqué – ici – l’ombre de
Huysmans à son propos, et pas dans ce qu’elle a de plus admirable. Mais trêve
de piques de circonstance.)
[i] Voir ici.
[ii] Entrée du 29 juin 1903
dans Quatre ans de captivité à
Cochons-sur-Marne.
[iii] Cette citation, ainsi
que les deux suivantes, est à trouver à l’entrée du 8 août 1894 dans Le Mendiant ingrat.
[iv] Propos digne de ceux de
certains physiciens depuis cent ans environ, qui pourraient nous paraître
abscons, mais…
[v] Eschatologique,
scatologique : inquiétante homophonie.
[vi] Sur ces trois derniers
traits, il est logique qu’il soit question de Bloy dans Les antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes, essai
d’Antoine Compagnon paru en 2005 chez Gallimard.
[vii] Fournies et bloyennes
(infiniment plus que nietzschéennes), naturellement.
[viii] Pour ceux qui ne
possèdent pas ces textes, déjà réédités au Mercure de France entre 1964 et
1975. On en trouve aussi aux éditions la Part commune. D’autres initiatives
existent, ici par exemple.
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