jeudi 31 août 2017

Et en même temps, Léon Bloy

Serons-nous nombreux cet automne à nous rappeler le centenaire de la mort de Léon Bloy ? Peut-être pas moins, après tout, que ceux qui se croiront révolutionnaires en célébrant les cent ans d’un certain coup d’Etat pétersbourgeois aux conséquences globalement désastreuses. A tout prendre, mieux vaut se pencher plutôt sur l’œuvre toujours neuve d’un vieil imprécateur qui se disait lui-même « invendable » et « solitaire ».
En attendant la parution – annoncée pour le 14 septembre[i] – dans la collection « Bouquins » d’un recueil d’essais et pamphlets de Bloy, il est toujours possible, depuis juin, de lire Léon Bloy, la littérature et la Bible, ouvrage de Pierre Glaudes paru aux Belles Lettres. Sans m’aventurer à faire la critique de ce nourrissant essai, je me contenterai de livrer ici quelques pauvres réflexions, ou plutôt impressions, nées de la lecture d’icelui ou confirmée par elle. Elles tourneront autour de la notion de simultanéité.
Commençons par vendre la mèche à qui, sans avoir consulté les « sources » indiquées à la fin du volume, se jetterait dans la lecture de Léon Bloy, la littérature et la Bible, qu’il s’agit d’un recueil d’études publiées par M. Glaudes entre 1990 et 2015 : voilà qui rassurera les lecteurs que d’éventuelles redites pourraient risquer d’agacer. N’accusons pas le temps, mais considérons que ces études proviennent de contextes variés.
Le temps ? Dès la page 48 de Léon Bloy, la littérature et la Bible (« Le Moyen Âge », chapitre II de la première partie intitulée « Bloy, la Bible et l’Histoire »), la couleur est annoncée : pour Bloy, « le temps n’existe pas »[ii] et que les événements « ne sont pas successifs mais contemporains d’une manière absolue »[iii], se déroulant « sous nos yeux, comme une toile immense ». Le temps, donc, n’est pour Bloy que l’illusion qui résulte nécessairement des limites de notre vision, qu’il qualifie de « successive »[iv].
Dès lors, il est possible de ne plus s’étonner de certains traits de l’œuvre de Bloy qui, juxtaposés, pourraient donner à celle-ci un caractère en apparence paradoxal. En voici une énumération qui ne prétend en rien à l’exhaustivité : humoristique, mystique, satirique, hérétique, orthodoxe, tendre, violente, grossière, eschatologique, raffinée voire maniérée, martelée, hurlée, subtile, érudite, ordurière voire scatologique[v], moderne, baroque, archaïque[vi], ironique, naïve, perspicace, absurde…
Nous savons donc, munis de cet avertissement, que l’énumération de ces qualificatifs ne saurait être précédée d’un tour à tour qui ne serait que pure rhétorique. C’est bien en même temps qu’il faut dire. Nous ne devons plus donc nous étonner, mais peut-être même plutôt nous réjouir, de la surprise qui nous saisit à la lecture ou à la relecture d’un livre de Léon Bloy. Nous en prendrons toujours plein les moustaches[vii] et, par notre pauvre vision, nous n’aurons peut-être jamais fini d’en disséquer – vainement ? – tel ou tel aspect.
Dans ses derniers jours, Léon Bloy affirmait attendre « les Cosaques et le Saint-Esprit ». Pour ce qui est des Cosaques, l’époque s’y prêtait bien. Mais le Saint-Esprit ? Il serait tentant d’accuser Bloy de faire peu de cas de la Pentecôte. Ce serait oublier cette sacrée simultanéité : peut-être sommes-nous encore trop souvent dans l’état où étaient les Apôtres avant ce jour-là.
Dans ces conditions, si en un siècle l’œuvre de Bloy ne nous a pas quittés, nous pourrons bien attendre deux petites semaines avant d’aller taquiner le libraire[viii].
(Soit dit en passant, cet en même temps est d’une autre trempe que celui de notre président de la république et la pensée de Bloy me paraît autrement complexe que celle dont se targue ce jeune chef d’Etat. J’avais méchamment évoqué – ici – l’ombre de Huysmans à son propos, et pas dans ce qu’elle a de plus admirable. Mais trêve de piques de circonstance.)


[i] Voir ici.
[ii] Entrée du 29 juin 1903 dans Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne.
[iii] Cette citation, ainsi que les deux suivantes, est à trouver à l’entrée du 8 août 1894 dans Le Mendiant ingrat.
[iv] Propos digne de ceux de certains physiciens depuis cent ans environ, qui pourraient nous paraître abscons, mais…
[v] Eschatologique, scatologique : inquiétante homophonie.
[vi] Sur ces trois derniers traits, il est logique qu’il soit question de Bloy dans Les antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes, essai d’Antoine Compagnon paru en 2005 chez Gallimard.
[vii] Fournies et bloyennes (infiniment plus que nietzschéennes), naturellement.
[viii] Pour ceux qui ne possèdent pas ces textes, déjà réédités au Mercure de France entre 1964 et 1975. On en trouve aussi aux éditions la Part commune. D’autres initiatives existent, ici par exemple.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).