Début août, de retour de
vacances, j’ai pu entendre, en allumant la radio, une annonce de la reprise au
cinéma de Ginger et Fred, de Federico Fellini. J’entendis cette annonce
plusieurs jours de suite sur France-Culture, accompagnée d’un thème, The
Continental (tiré d’une comédie musicale d’avant-guerre avec Fred Astaire),
joué par un saxophone solitaire et pépère.
Naturellement, on
pourrait ne voir dans ce film que ce qui en était dit dans cette annonce :
une dénonciation de la vulgarité télévisée, en particulier de celle qui émanait
de quelques chaînes privées italiennes à l’époque de Ginger et Fred,
soit vers 1985. Ce serait un peu limité ; on peut encore y voir une
réflexion sur le sort fait à deux vieux artistes fatigués, exhibés comme des
phénomènes de foire, mais aussi sur un monde spectaculaire où tout est
fabriqué : la télévision, l’art de « Ginger » et de
« Fred », autrefois imitateurs sympathiques des numéros virtuoses exécutés
par Ginger Rogers et Fred Astaire pour l’industrie cinématographique
américaine…
A sa première sortie en
France, ce film tombait bien : c’était l’époque où, avec l’aide du
gouvernement – alors socialiste – Silvio Berlusconi allait nous faire découvrir
le genre de télévision qu’il avait déjà imposé en Italie. D’emblée, en matière
de vulgarité, la « Cinq » pulvérisa des limites déjà bien lointaines.
Ginger et Fred fut donc une aubaine pour l’opposition :
le gouvernement socialiste, qui se voulait l’ami de la culture, s’était fait
l’importateur des fonds de poubelle de la télévision italienne et le complice
de combines hautement berlusconiques. Ce n’était qu’un coup de plus porté à une
majorité de toute façon vouée à une
déroute inévitable, à mesure qu’approchaient les élections législatives du 16
mars 1986. Elle en était elle-même convaincue, multipliant les affiches où l’on
pouvait lire : « Au secours, la droite revient ! »
Parmi les tracts et
fascicules électoraux qui encombrèrent les boîtes à lettres des Français à
cette époque, je ne me souviens que d’une publication émanant du Parti
socialiste : 16 mars magazine. Rien de bien remarquable
là-dedans : les supposées réussites des gouvernements qui s’étaient
succédé depuis mai 1981 y étaient vantées, dans tous les domaines, y compris
celui de la culture, dont le nom de Jack Lang était presque devenu le synonyme.
La « musique de jeunes » n’était pas oubliée : le rock avait
enfin ses lettres de noblesse en France. Par exemple, on pouvait voir une photo
où quelques jeunes gens à l’allure vaguement metal, hilares, étaient
vautrés dans les fauteuils de quelque salle de concert ; sur la légende,
on pouvait lire : « au "Gibus", un public qui n’a rien de
Ginger ni de Fred ». Au musée, Fellini ! Place aux jeunes !
Les élections du 16 mars
1986 eurent le résultat que l’on sait. Les torchons de circonstance comme 16
mars magazine n’éveillent depuis longtemps plus aucun souvenir chez
personne, à part quelques hypermnésiques dans mon genre. J’ignore si le
« Gibus » existe encore, et peu me chaut. En revanche, les films de Fellini
demeurent (ils ressortent même en salle), ainsi que les noms de leurs acteurs,
Giulietta Massina et Marcello Mastroianni, par exemple. Reconnaissons qu’ils ne
risquaient guère d’être atteints par les mufleries d’un plumitif anonyme loué
par le Parti socialiste.
Ne nous y trompons
pas : aux mufleries de la gauche, aux combines socialo-berlusconiennes
allaient bientôt succéder les hautes vertus de la France éternelle,
naturellement incarnées par la droite. Bientôt, Silvio Berlusconi, pour
renouveler la concession de la « Cinq », allait fort bien s’entendre
avec Robert Hersant, alors propriétaire du Figaro…
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