Commençons par un
souvenir d’enfance : l’appellation chapeau chinois donnée à l’accent
circonflexe par l’institutrice. Ce devait être en onzième (ou au cours
préparatoire, si vous préférez), donc pour moi fin 1978 ou début 1979. Je me
rappelle avoir trouvé ridicule cette expression : pourquoi, d’une part, ne
pas laisser tranquilles les Chinois et, d’autre part, ne pas appeler les choses
par leur nom ? Ce que je me rappelle aussi, c’est un avertissement de l’institutrice :
attention, il y a un i après le premier o dans oignon.
Or voici qu’à propos
notamment d’oignons et d’accents circonflexes on s’énerve sur une réforme
datant de 1990, censée simplifier l’orthographe française. (Un autre souvenir :
en 1990, je passais mon bac et une jolie condisciple me dit que, grâce à cette
réforme, on pourrait désormais paraître culturé à peu de frais.) Nul ne
sait trop si finalement cette réforme a été appliquée. Peut-être, à lire çà et
là un disgracieux évènement. En revanche, je n’ai jamais vu paraître le
mot ognon. Et je m’en réjouis.
Les plus inquiets
redoutent une disparition de l’accent circonflexe. Il n’en est rien,
semble-t-il. Il disparaîtrait seulement des u et des i lorsqu’il
n’est pas appelé à y trôner pour des raisons de conjugaison : en résumé,
selon cette géniale réforme, on écrirait paraitre à l’infinitif et qu’il
parût à l’imparfait du subjonctif. Si cela est bien le cas, est-il permis
de demander où se trouve la simplification ?
Du reste, je trouve
quelque peu incongru que des autorités entendent réformer l’orthographe d’une
langue. L’usage le fait fort bien, et il suffira à quelque autorité, l’Académie
française, par exemple, d’en valider ou non l’évolution. Ajoutons que toute
langue a ses bizarreries, qui font souvent une partie de son charme. Le français
n’en a pas le monopole. Pensons au S-Zett allemand, remplacé par deux s
au gré d’une réforme récente. Celle-ci, comme d’autres plus anciennes (consistant
par exemple à passer du c au z pour le son ts devant un i
ou un e ou à supprimer quelques h après des t) n’a point
fait trop de dégâts : l’allemand conserve toujours son allure hérissée ou
envoûtante, selon les préjugés des uns ou des autres. Il en va autrement de l’orthographe
suédoise qui, il y a un siècle environ, a subi un rabotage assez brutal :
adieu aux hv, remplacés par des v au début des mots
interrogatifs, ou encore à quelques fv, comme dans hufvud (tête).
De baroque, le suédois est devenu lisse et fonctionnel, caractère qui s’est
aggravé en officialisant une radicale simplification des conjugaisons. C’est
fort pratique, mais assez ennuyeux. Cela fait penser à ces plaques de couleur
grise dont certains Suédois revêtirent dans les années 1950 leurs jolies
maisons de bois rouge : pratiques, isolantes, mais mornes (sans compter l’éventuelle
présence d’amiante…).
Mais revenons à nos
petits chapeaux. Il peut être de bon ton d’en porter, surtout s’ils sont
ridicules, au moment du carnaval. Le carnaval est une assez belle tradition,
quand il ne devient pas une simple attraction touristique et quand il n’a pas
trop perdu de son sens – un peu d’amusement avant de se mettre en route vers
Pâques[i]. Tournons
donc le dos à Venise, à Rio de Janeiro ou à la Nouvelle-Orléans, avec tout le
respect dû à ces villes. Pensons plutôt au carnaval de quelque petite ville du
Nord de la France, d’une fantaisie plus spontanée. Ce n’est pas toujours fin,
mais la finesse n’est pas ce que l’on attend d’un carnaval.
A Calais, samedi 6
février, un rassemblement pour le moins groupusculaire semble avoir remplacé
toute idée de carnaval. La police arrêta même un général de corps d’armée à la
retraite. Dieu merci, ledit général n’avait pas eu la mauvaise idée d’arborer à
cette occasion un autre petit chapeau, fort sérieux celui-là, son képi[ii]. Personnellement,
je n’aime pas que l’on porte un uniforme hors de propos, que cela soit une
posture fana-mili ou une pose antimilitariste. Il semble que le général
Piquemal partage cette délicatesse, et je l’en félicite respectueusement. Quoi qu’il
en soit, il a affirmé depuis avoir regretté de s’être mêlé à une manifestation
d’inspiration pégidesque, ce dont je le félicite tout aussi respectueusement. Il
aurait dû toutefois y réfléchir avant, histoire de ne pas nourrir trop de
fantasmes chez les bourgeois de gauche (de Calais ou d’ailleurs) ou les énervés
de droite, un 6 février, qui plus est[iii]. Aurait-il
eu un instant la tête un peu trop près du bonnet ?
[i] Soit dit en passant, la
route est ouverte depuis mercredi !
[ii] Le Petit Robert donne comme étymologie pour képi : de l’allemand Käppi,
signifiant petit chapeau ou petite casquette.
[iii] Une excellente synthèse
a été donnée de tout cela par Patrice de Plunkett, ici…
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