Au détour d’un entretien
(diffusé sur France-Culture samedi 30 janvier) où il évoquait son expérience de
reporter de guerre, Jean-Claude Guillebaud s’est fendu de deux remarques fort
intéressantes touchant aux malheurs du monde contemporain.
La première de ces
remarques était la protestation d’un chrétien contre une idée exprimée çà et là
selon laquelle les religions, et en particulier les religions monothéistes,
seraient des facteurs de guerres et de massacres. Pour ce qui est des
religions, Jean-Claude Guillebaud fit observer que ce genre de considération
suffirait pour dérider un auditoire russe : c’est que l’athéisme
soviétique a laissé un lourd bilan. En ce qui concerne le monothéisme,
certains, comme Michel Onfray (selon Guillebaud) lui opposeraient la douceur
des civilisations polythéistes : Guillebaud les a poliment renvoyés à
l’histoire de la Grèce antique, les invitant à lire ou relire Thucydide.
La seconde portait sur
son étonnement de voir à quel point nos gouvernants semblent désemparés devant
la violence des temps. Détresse qui paraît, par contagion, se répandre à la
population. A quoi Guillebaud a opposé la fermeté des Londoniens sous le blitz,
moment où leur ville fut dévastée et où périrent bien plus de victimes que lors
des affreux massacres de novembre.
La première remarque se
suffit à elle-même tant elle est claire et juste. La seconde est plus
discutable[i], mais
tout n’y est pas faux : nos autorités semblent bien peu à la hauteur des
événements, essayant des trucs en panique.
Par exemple, notre
gouvernement, suivi et encouragé en cela par l’opposition, veut déchoir de la
nationalité française des « bi-nationaux » reconnus coupables ou
complices d’actes ou de projets terroristes. Vu les terroristes auxquels nous
avons affaire, il y a fort à parier qu’une telle punition les laisse tièdes.
Et, si j’en crois les observations de personnes plus versées que moi en droit,
ce genre de disposition existe en fait déjà[ii].
Supposons donc qu’il y a peut-être mieux à faire pour combattre nos ennemis.
Et, dans un pays où l’on aime répéter que nul n’est censé ignorer la loi,
qu’en est-il du gouvernement et des législateurs ?
Cette affaire de
déchéance fait du bruit depuis pas mal de semaines, et c’est elle qui aurait
poussé Mme Taubira à la démission. Ayant personnellement assez manifesté contre
une loi portant son nom[iii], je
devrais peut-être me réjouir. Bon, je ne vais pas pleurer, mais je n’éprouve
aucune envie de l’accabler : Mme Christiane Taubira n’est pas la
loi Taubira ; les insultes, les bananes, très peu pour moi. Saluons en
elle, au contraire, une personne qui a su donner à la langue de bois un ton
nouveau, plus tropical, plus poétique. Il est des personnes férues de bandes
dessinées (plus précisément des aventures de Spirou et Fantasio) pour comparer
cette éloquence à celle du maire de Champignac[iv].
Certes, certes… mais alors un maire de Champignac qui aurait lu René Char et,
bien entendu, Aimé Césaire. Pour résumer ses discours, on pourrait
écrire : « Triomphe de l’orteil, nocturne dans sa jubilation
éternelle »… Mais cessons de nous lamenter, Mme Taubira ayant laissé pour
célébrer dignement sa démission, un livre écrit, paraît-il, pendant les trois
semaines précédant celle-ci. Quelle puissance de travail ! Le titre ?
Murmures à la jeunesse[v].
(Cette évocation de Mme
Taubira et de la loi qui porte son nom est une bonne occasion de saluer les
manifestants qui furent, paraît-il, deux millions à Rome samedi 30. Et, tant
que j’y suis, de récentes « brèves » de Basile de Koch qui tombent
fort à propos au sujet de M. Sarkozy et de « Sens commun ».)
Quand même, alors que les
temps sont graves au point que le gouvernement le reconnaisse de temps à autre,
nos politiciens se montrent toujours aussi dérisoires. Pour revenir à
l’entretien accordé par Jean-Claude Guillebaud à France-Culture, entre deux
sottises (sur la Bible, notamment), la journaliste de service a émis une
hypothèse pertinente : la panique qui frappe la France et l’Europe en ce
moment n’a-t-elle pas pour origine l’absence de théâtre des opérations bien
circonscrit dans la guerre qui nous est faite ? Ce n’est pas impossible.
En revanche, ce qui ne manque pas, ce sont les opérations de théâtre. C’est
souvent drôle, mais pas toujours rassurant.
[i] Pour reprendre des termes
chers à Bernanos, ce dont on peut discuter, c’est si ce sont les tripes ou les
cœurs qui s’endurcissent dans de telles circonstances. Aucune objection en ce
qui concerne les tripes, mais quant aux cœurs… disons pour ces derniers qu’il
vaut mieux préférer la fermeté à la dureté.
[ii] Voir ici chez
Koztoujours, par exemple.
[iii] Sans me vanter ni encore
moins poser à l’ancien combattant : un petit rappel ici…
[iv] Comparaison chère – pas
seulement en ce qui concerne Mme Taubira – à Patice de Plunkett. On lira ici avec
profit son avis sur la démission de Mme Taubira.
[v] Ce qui prouve qu’il n’y a
pas que la droite à se sentir prise de démangeaisons littéraires. De ce dernier
côté, il ne reste plus qu’à attendre La
Pension Wauquiez…
Ce qui semble certain, c'est que le temps et l'énergie législatifs en France, quel que soit le parti au pouvoir, sont de plus en plus mal employés depuis une dizaine d'années, sous l'effet d'un opportunisme politique frotté au concept de "permanent campaign" théorisé aux Etats Unis par des conseillers du Président Carter, si j'ai bonne mémoire. La place prise par une inutile réformette constitutionnelle n'est que le dernier exemple en date de cet emploi désastreux.
RépondreSupprimerEt l'actualité va tellement vite que nous apprenons, nouvelle futilité, la nomination aujourd'hui même d'un ministre de l'égalité réelle. J'en suis sans voix...
SupprimerS.L.