vendredi 5 février 2016

Le théâtre des opérations

Au détour d’un entretien (diffusé sur France-Culture samedi 30 janvier) où il évoquait son expérience de reporter de guerre, Jean-Claude Guillebaud s’est fendu de deux remarques fort intéressantes touchant aux malheurs du monde contemporain.
La première de ces remarques était la protestation d’un chrétien contre une idée exprimée çà et là selon laquelle les religions, et en particulier les religions monothéistes, seraient des facteurs de guerres et de massacres. Pour ce qui est des religions, Jean-Claude Guillebaud fit observer que ce genre de considération suffirait pour dérider un auditoire russe : c’est que l’athéisme soviétique a laissé un lourd bilan. En ce qui concerne le monothéisme, certains, comme Michel Onfray (selon Guillebaud) lui opposeraient la douceur des civilisations polythéistes : Guillebaud les a poliment renvoyés à l’histoire de la Grèce antique, les invitant à lire ou relire Thucydide.
La seconde portait sur son étonnement de voir à quel point nos gouvernants semblent désemparés devant la violence des temps. Détresse qui paraît, par contagion, se répandre à la population. A quoi Guillebaud a opposé la fermeté des Londoniens sous le blitz, moment où leur ville fut dévastée et où périrent bien plus de victimes que lors des affreux massacres de novembre.
La première remarque se suffit à elle-même tant elle est claire et juste. La seconde est plus discutable[i], mais tout n’y est pas faux : nos autorités semblent bien peu à la hauteur des événements, essayant des trucs en panique.
Par exemple, notre gouvernement, suivi et encouragé en cela par l’opposition, veut déchoir de la nationalité française des « bi-nationaux » reconnus coupables ou complices d’actes ou de projets terroristes. Vu les terroristes auxquels nous avons affaire, il y a fort à parier qu’une telle punition les laisse tièdes. Et, si j’en crois les observations de personnes plus versées que moi en droit, ce genre de disposition existe en fait déjà[ii]. Supposons donc qu’il y a peut-être mieux à faire pour combattre nos ennemis. Et, dans un pays où l’on aime répéter que nul n’est censé ignorer la loi, qu’en est-il du gouvernement et des législateurs ?
Cette affaire de déchéance fait du bruit depuis pas mal de semaines, et c’est elle qui aurait poussé Mme Taubira à la démission. Ayant personnellement assez manifesté contre une loi portant son nom[iii], je devrais peut-être me réjouir. Bon, je ne vais pas pleurer, mais je n’éprouve aucune envie de l’accabler : Mme Christiane Taubira n’est pas la loi Taubira ; les insultes, les bananes, très peu pour moi. Saluons en elle, au contraire, une personne qui a su donner à la langue de bois un ton nouveau, plus tropical, plus poétique. Il est des personnes férues de bandes dessinées (plus précisément des aventures de Spirou et Fantasio) pour comparer cette éloquence à celle du maire de Champignac[iv]. Certes, certes… mais alors un maire de Champignac qui aurait lu René Char et, bien entendu, Aimé Césaire. Pour résumer ses discours, on pourrait écrire : « Triomphe de l’orteil, nocturne dans sa jubilation éternelle »… Mais cessons de nous lamenter, Mme Taubira ayant laissé pour célébrer dignement sa démission, un livre écrit, paraît-il, pendant les trois semaines précédant celle-ci. Quelle puissance de travail ! Le titre ? Murmures à la jeunesse[v].
(Cette évocation de Mme Taubira et de la loi qui porte son nom est une bonne occasion de saluer les manifestants qui furent, paraît-il, deux millions à Rome samedi 30. Et, tant que j’y suis, de récentes « brèves » de Basile de Koch qui tombent fort à propos au sujet de M. Sarkozy et de « Sens commun ».)
Quand même, alors que les temps sont graves au point que le gouvernement le reconnaisse de temps à autre, nos politiciens se montrent toujours aussi dérisoires. Pour revenir à l’entretien accordé par Jean-Claude Guillebaud à France-Culture, entre deux sottises (sur la Bible, notamment), la journaliste de service a émis une hypothèse pertinente : la panique qui frappe la France et l’Europe en ce moment n’a-t-elle pas pour origine l’absence de théâtre des opérations bien circonscrit dans la guerre qui nous est faite ? Ce n’est pas impossible. En revanche, ce qui ne manque pas, ce sont les opérations de théâtre. C’est souvent drôle, mais pas toujours rassurant.




[i] Pour reprendre des termes chers à Bernanos, ce dont on peut discuter, c’est si ce sont les tripes ou les cœurs qui s’endurcissent dans de telles circonstances. Aucune objection en ce qui concerne les tripes, mais quant aux cœurs… disons pour ces derniers qu’il vaut mieux préférer la fermeté à la dureté.
[ii] Voir ici chez Koztoujours, par exemple.
[iii] Sans me vanter ni encore moins poser à l’ancien combattant : un petit rappel ici
[iv] Comparaison chère – pas seulement en ce qui concerne Mme Taubira – à Patice de Plunkett. On lira ici avec profit son avis sur la démission de Mme Taubira.
[v] Ce qui prouve qu’il n’y a pas que la droite à se sentir prise de démangeaisons littéraires. De ce dernier côté, il ne reste plus qu’à attendre La Pension Wauquiez

2 commentaires:

  1. Ce qui semble certain, c'est que le temps et l'énergie législatifs en France, quel que soit le parti au pouvoir, sont de plus en plus mal employés depuis une dizaine d'années, sous l'effet d'un opportunisme politique frotté au concept de "permanent campaign" théorisé aux Etats Unis par des conseillers du Président Carter, si j'ai bonne mémoire. La place prise par une inutile réformette constitutionnelle n'est que le dernier exemple en date de cet emploi désastreux.

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    1. Et l'actualité va tellement vite que nous apprenons, nouvelle futilité, la nomination aujourd'hui même d'un ministre de l'égalité réelle. J'en suis sans voix...
      S.L.

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