Les habitués de ces
humbles notes savent quelle est l’admiration de leur auteur pour l’œuvre
d’Evelyn Waugh, en particulier pour ses romans. Or Waugh fut aussi, à ses
heures, biographe : de Dante Gabriele Rossetti[i],
d’Edmund Campion[ii]
et de Mgr Ronald Arbuthnott Knox[iii].
Les deux dernières de ces
biographies sont évidemment l’œuvre d’un catholique. Catholique, Waugh le fut
certainement de manière imparfaite[iv]
(mais pas plus imparfaite que vous ou moi, peut-être), voire maladroite sur le
tard. Magnifique aussi de temps à autre au détour de certains de ses romans,
nouvelles ou articles. Dans le récit qu’il donna en 1959 de la vie de Mgr Knox,
le grand écrivain s’efface derrière le biographe scrupuleux[v],
délicat et amical.
Nous connaissons peu,
nous autres Français, la figure de Ronald Knox (1888-1957). Fils d’un évêque
anglican et petit-fils de deux prêtres de la même confession, il fut lui-même
ordonné après ses études à Eton puis à Oxford. Brillant prédicateur, critique
littéraire précoce, grand érudit, cultivant avec quelques amis une certaine
exigence spirituelle et liturgique non dénuée de sens de l’humour et de la
satire, il avait une belle carrière devant lui dans l’Eglise anglicane. Or, en
1917, il se convertit au catholicisme – au grand regret de son père – avant
d’être ordonné prêtre – catholique donc, cette fois – en 1918. Il enseigna
ensuite quelques années dans un collège catholique avant d’être l’aumônier des
étudiants catholiques d’Oxford jusqu’en 1939, et de contribuer à une nouvelle traduction
anglaise de la Bible. Dans des domaines plus profanes, il fut aussi l’auteur de
quelques nouvelles et romans policiers ainsi que d’un canular radiophonique qui
n’est pas sans évoquer, avec des conséquences moins dramatiques, ce que fit
Orson Welles douze ans plus tard de La Guerre des mondes. Et, s’il avait
cessé de briller parmi de jeunes intellectuels anglicans, il gagna bientôt
l’amitié d’écrivains comme Hilaire Belloc, G.K. Chesterton, puis Evelyn Waugh.
Ces glorieuses apparences
ne sauraient cacher un homme maladif (dyspeptique, pour être précis) et
mélancolique, puisant ses forces dans sa confiance en Dieu. C’est du reste pour
cette raison que l’on peut parler à son sujet de conversion, si l’on en croit
Waugh, là où l’on eût pu, par amitié pour nos frères anglicans, évoquer sa
réception dans l’Eglise catholique. Les pages où Waugh fait le récit de cette
conversion indiquent une crainte chez Ronald Knox, celle de perdre sa foi s’il
n’ose franchir le pas : peur de sombrer dans une routine et une facilité
desséchantes ?
La crainte de cette
sécheresse n’est pas son seul lot : on la retrouve dans la citation que
fait Waugh d’une lettre de Mgr Knox à une dame qui la lui avait exprimée :
« Etre sec
pendant le carême quand notre Seigneur jeûna, se sentir irréligieux le vendredi
Saint, quand notre Seigneur endura la déréliction – tout cela est tout à fait
correct et conforme à la liturgie… Lorsque "vos prières sont exaucées de
quelque manière", dites : "je suis une créature si faible que
Dieu doit me donner des sucreries." »[vi]
En somme, ne pas
désespérer de nos prières, qu’elles soient apparemment exaucées ou non, ni nous
sentir découragés si nous nous sentons encore loin de la sainteté. A propos de
sainteté et de distance, Waugh note du reste (à propos de Mgr Knox) :
« Il avait tant
avancé en sagesse et en sainteté qu’il se détourna de honte devant le portrait
exact de ce qu’il avait été. »[vii]
Cette honte éprouvée par
Mgr Knox a en fait pour objet la réédition, trente ans après sa première
publication en 1917, d’un de ses livres. Au pire, on pourrait croire à une
modestie quelque peu affectée. Ou, mieux, à une forme d’humilité. Sans pouvoir
rien affirmer sur l’éventuelle sainteté de Mgr Knox (nous n’en savons rien, et
il ne nous appartient pas d’en juger), observons comme Waugh en parle :
« il avait tant avancé… » ; un homme toujours en chemin.
Une sorte de conversion perpétuelle, ce dont nous avons besoin, en somme.
Cette biographie pourrait
constituer une bonne lecture pour le carême...
[i] Rossetti: His
Life and Works (1927)
[ii] Edmund Campion,
Jesuit and Martyr (1935)
[iii] The Life of
Right Reverend Ronald Knox (1959)
[iv] A une amie qui lui
demandait un jour comment il pouvait se dire chrétien et être aussi méchant, il
répondit que ce serait deux fois pire s’il n’était pas chrétien. Bon mot à
part, cela semble aussi lucide qu’humble.
[v] Il était l’exécuteur
littéraire de Mgr Knox.
[vi] Pauvre traduction par mes soins de : ‘To be dry in Lent when our Lord fasted, to be feeling irreligious on
Good Friday, when our Lord suffered dereliction – all that is quite correct and
liturgical… When you do “get any kind of satisfaction out of one’s prayer” say:
“I’m such a feeble creature God has to give me sweetmeats”’.
[vii] Pauvre traduction par mes soins de : “He had travelled so far in wisdom and holiness that he shrank
shamefully from the exact portrait of his former self.”
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