Un vent d’indignation –
ou de fou rire – aurait récemment parcouru certains milieux chrétiens, qu’ils
soient catholiques ou protestants, aux Etats-Unis : M. Trump, après les
critiques qu’il a essuyées de la part du pape, a déclaré que personne ne lit
plus la Bible que lui, ce qui serait un signe de sa profonde foi chrétienne. La
chose a été résumée ici par Patrice de Plunkett. On admirera au passage la
photo accompagnant l’article de ce dernier, laquelle tend à prouver qu’en tout cas
M. Trump a ouvert la Bible au moins une fois dans sa vie (bon, vu le côté qui
apparaît sur l’image, nous pouvons supposer qu’il en aura au moins lu la
couverture). Le même article évoque aussi un discours de M. Trump où celui-ci
aurait, en citant la deuxième lettre de saint Paul aux Corinthiens, dit
« deux Corinthiens ».
Cela peut nourrir de
nombreuses plaisanteries[i] et
n’est pas sans rappeler une anecdote que l’on me conta voici quelques années
sur la défunte Elena Ceausescu, et que voici :
Bien entendu, le défunt
Nicolae Ceausescu, génie des Carpates et Danube de la pensée, n’eût pu avoir
pour épouse la dernière des sottes. Et si, en Amérique, on se pique de
connaître par cœur des passages entiers de la Bible, c’est la science que l’on
se devait de vénérer dans les démocraties populaires. Ainsi fut-il décidé que
Mme Ceausescu était une grande chimiste. Participant un jour à un congrès de
chimistes roumains, on raconte qu’elle lut à haute voix une communication où il
était question du dioxyde de carbone. Pour faire court, il avait été écrit sur
le papier CO2, ce que la brillante scientifique prononça codoi,
soit en français « codeux ».
Le cas d’Elena Ceausescu
est assez clair, si l’anecdote est vraie : une ignare qui voulait se faire
passer pour une savante en vertu de sa position.
En ce qui concerne M.
Trump, les choses semblent moins simples. Comment ne pas l’imaginer entouré
d’une équipe de « plumes » et de spin-doctors le préparant
assez pour éviter ce genre de bourde ? Il en a bien les moyens, ce dont il
ne cesse d’ailleurs de se vanter. C’est à se demander si M. Trump ne fait pas
exprès, s’il ne joue pas, par démagogie, au mufle, à l’abruti, au philistin jusqu’à
la caricature (mais avec un constant naturel), ce qu’il semble être le premier
à savourer.
Nos journalistes
comparent parfois M. Trump à M. Jean-Marie Le Pen. Certes, pour l’histrionisme,
ce dernier n’a rien à lui envier. Mais observons que M. Le Pen travaille dans
un autre style, faisant volontiers étalage d’une vaste culture et d’une langue précieuse,
mêlant d’une manière que l’on pourrait plutôt qualifier de rabelaisienne ou
shakespearienne que célinienne le raffinement et la grossièreté. Et qu’il y a
fort à parier que M. Le Pen a tout au long de sa carrière cherché plus à
s’amuser qu’à conquérir le pouvoir.
Au fond, les équivalents
français de la démagogie philistine de M. Trump sont à chercher ailleurs.
Pourquoi pas dans une droite plus « fréquentable » ? Chez M.
Sarkozy, par exemple, qui a tenu jadis à faire part à tous de son peu d’intérêt
pour La Princesse de Clèves[ii]. Ou,
dans le domaine de la caricature, chez M. Chatel, chantre du gaz de schiste et
des OGM…
Nous rions aussi
beaucoup, nous autres Européens, du genre d’orgueil hyperbolique que semble
manifester M. Trump dans ses discours. A l’entendre, on finirait par se
demander si ce n’est pas lui qui a inventé la roue. De nos jours (et depuis le
décès subit, il y a un bon quart de siècle, des susnommés époux Ceausescu), il
n’y a guère que Kim Jong Un pour être presque aussi génial.
Pour revenir à son
philistinisme au moins apparent, il serait assez facile d’y voir un trait que
l’on pourrait qualifier – pour faire vite – d’américain : le mépris pour
les bonnes manières, pour la culture, pour tout ce qui pourrait évoquer le
Vieux Monde, considéré comme pourrissant. Rappelons-nous la condescendance avec
laquelle, en 2003, M. Rumsfeld[iii]
évoquait la vieille Europe. Ou la réponse que firent à Ernst von Salomon
des soldats américains qui le passèrent à tabac en 1945, et à qui il reprocha
de ne pas être des gentlemen : « No, no, we’re Mississipi
boys ! »[iv]
Mais n’accablons pas les
Américains. Il en est, comme partout, de fort civilisés, et ils n’ont pas le
monopole de la grossièreté, ni même de la revendication de celle-ci. Ce rejet
de toute culture, de toute politesse, de toute tradition, on le trouve aussi
bien pendant la Révolution française[v] que
dans pas mal de régimes totalitaires du XXe siècle. Et aussi dans l’univers
technophile et industriel (qu’il soit libéral ou étatiste, socialiste ou capitaliste)
qui est le nôtre depuis un ou deux siècles. En somme, c’est un trait du monde
moderne, fait de bruit, de slogans, de vitesse, du culte d’une efficacité plus rêvée
que réelle[vi]. Où,
déjà, Bernanos écrivit-il que ce monde moderne n’est qu’une conspiration contre
toute forme de vie intérieure ?
[i] A commencer par celle-ci,
à laquelle je ne résiste pas : cet homme ne manque pas de toupet.
[ii] La gauche n’est pas en
reste. Nous le savons depuis le passage de Mme Pellerin au ministère de la
culture, à l’époque où elle n’avait pas le temps de lire.
[iii] Lui aussi prénommé
Donald. A l’époque, un ami me confia : « je préférais Donald quand il
travaillait chez Disney. »
[iv] Si l’on en croit le récit
que Salomon fit dans Le Questionnaire
de son arrestation en 1945, pris pour un big
nazi, il fut emprisonné quelques mois puis libéré après qu’il eut été
établi qu’aucun chef d’accusation ne pouvait être retenu contre lui.
[v] Cf. Histoire de la politesse, de 1789 à nos jours, de F. Rouvillois.
[vi] Adieu beauté, conversation,
patience, réflexion, recueillement, contemplation, méditation… Sur le culte
moderne de l’efficacité, comment ne pas songer au jeune imbécile nommé Hooper,
dans Retour à Brideshead, d’Evelyn Waugh ?
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