vendredi 29 janvier 2016

Une droite littéraire ? (suite)

Ayant évoqué dans mon billet précédent certaines préférences en matière de littérature et de « droite », comment ne pas tenir parole et ne pas vous en toucher encore quelques mots ? Je ne suis pas, après tout, un politicien[i].
Je me suis donc replongé dans un de ces recueils posthumes de Roger Nimier qui fleurirent dans les années 1990, fruits d’un travail d’édition mené par Marc Dambre. En l’occurrence, Variétés, paru chez Arléa en 1999 avec pour sous-titre : « L’air du temps, 1945-1962 ».
Dans ce recueil – comme dans les autres – la politique à proprement parler est peu représentée à part quelques articles de jeunesse qui annoncent, en moins abouti, l’ironie rageuse du Grand d’Espagne. Observons qu’il y est parfois question de « socialisme monarchique », manière pour le moins baroque – mais point antipathique – d’être « de droite ».
Retenons plutôt quelques traits qui peuvent nous faire aimer un Nimier délivré des postures politiques.
Par exemple, mieux qu’un souci dandy de déplaire, l’indifférence au scandale, avec un titre bien connu : « Surprise à Marigny : Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d’habitude ». Le titre de cette critique dramatique – une de celles qui firent désirer (puis obtenir) à certains la peau du magazine Opéra – pourrait faire penser à une provocation. Or le texte donne des arguments, des explications… en trouvant même des excuses et des qualités à Barrault.
En matière de critique, on trouve dans ce recueil quelques articles sur le cinéma. « Festival de quartier », sur le festival de Venise de 1959, respire une fantaisie bonhomme et amusée qui sait se faire féroce à l’occasion, assassinant au passage, en quelques coups secs, Anatomie d’un meurtre, d’Otto Preminger (tout en ayant la charité de ne point assassiner Preminger lui-même). « De quoi souffre le cinéma ? De bêtise », antérieur de quelques années, est d’une sévérité qui n’est pas sans évoquer quelques jeunes « flingueurs » de l’époque, Rohmer ou Truffaut, par exemple. Avec moins de gratuité dans ses violences, et plus de fantaisie, peut-être.
Tant pis. J’abuserai encore de ce mot : fantaisie. Celle-ci paraît dans des domaines où l’on n’attend pas nécessairement un écrivain sérieux, un homme qui devrait s’interroger chaque matin sur le pouvoir de ses minces copies : la cuisine et le rugby. Comme ces deux activités exigent autant de rigueur que de folie, Nimier en rend compte en faisant preuve des deux : un match de rugby peut être narré avec précision aussi bien que finir en pastiche débridé (et inintelligible) de James Joyce ; quant à la cuisine, une recette détaillée (aussi redoutablement lourde que la plume est agile) nous est donnée dans une « chronique gastronomique » parue en son temps dans une livraison de la NRF, et celle de l’ours à la savoyarde (dans « Les Alpes à la carte ») est un trésor de démesure.
La relecture de ce recueil révèle donc que ces plaisirs ne s’émoussent pas. et offre même quelques surprises à qui ne chercherait chez Nimier que de quoi nourrir ses préjugés sur un méchant écrivain « droitard », que ce soit pour l’encenser ou pour le vomir. Ne résistons pas à deux longues citations pour illustrer notre propos :
« A Landsdowne Road le rugby est un combat de chevalerie ; à Murrayfield c’est une tradition ; à Twickenham une revue militaire ; à l’Arm’s Park de Cardiff, un psaume. A Colombes ce n’est qu’un dimanche où un public de hasard, groupé sur un stade misérable, vient se livrer à son sport favori, le chauvinisme. Le chauvinisme se joue à trente mille contre un, l’arbitre. »
Et
« On nous donnera peut-être des voitures, pour nous pousser (bientôt !) à boire de l’essence. Il faudra même songer à nous offrir des routes. »
Sur ce dernier point, il serait absurde d’enrôler sous une bannière écologiste et décroissante un homme qui aima – pour son malheur – les voitures rapides. Mais reconnaissons que c’est une observation plutôt juste, qui n’a guère vieilli.
Ecrire ce que l’on croit vrai après avoir considéré les choses, et l’écrire d’une belle manière, voilà qui importait sans doute plus à ce véritable écrivain que de prouver – ou de se prouver – qu’il était d’un « camp » politique donné. Du reste, il fit un sort aux effets désastreux de l’engagement partisan sur la littérature dans « Le problème politique des gilets à fleurs ». Une manière d’écrire qui se nourrit de l’équilibre, ou plutôt de la tension permanente, entre la passion et le détachement. La recette du style et de la liberté, peut-être ?

[i] Certains spécimens de cette variété d’humains me rappellent, allez savoir pourquoi, quelque vieux dessin de Forain où un boursicoteur en rassure un autre : « Je vois que vous vous êtes trop engagé avec Chose. – Rassurez-vous, il n’a que ma parole. »

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