Jalons
Pour qui a été jeune dans
les années 1990 (ou, pour être dans le ton, faut-il dire les boring nineties ?),
le nom du « groupe d’intervention culturelle Jalons » n’est peut-être
pas inconnu. Il rappellera à certains Jalons, « le magazine du vrai
et du beau », qui avait été quelques années auparavant sous-titré
« mensuel sensuel ». A chaque numéro, dont la parution tout sauf
périodique forçait les amateurs à scruter attentivement les étalages des
kiosques à journaux, c’était un feu d’artifices : le monde, ou plutôt ce
que prétendaient en faire les puissants, leurs ennemis et les célébrités,
devenait une vaste farce, devant laquelle il convenait de se tordre de rire, à
condition de mettre en veilleuse un instant son bon goût. Ce jeu de massacre
ridiculisait l’époque avec une efficacité que l’on pourrait qualifier de
miraculeuse, car dépourvue d’aigreur.
Pour un public plus
large, le susnommé groupe d’intervention s’était fait connaître dès 1985 par
une manifestation contre le froid au métro Glacière, et bientôt par quelques
pastiches de journaux célèbres. Ce sont ces pastiches qui nous sont aujourd’hui
présentés par Basile de Koch, président à vie du susnommé groupe d’intervention
culturelle, dans Les pastiches de Jalons, 1985-2015, recueil paru cet
automne aux éditions du Cerf.
Dès la manifestation du
métro Glacière, « les Jalons » furent soupçonnés d’être de
droite : n’avaient-ils pas scandé « Verglas assassin, Mitterrand
complice » ? On en frissonne[i]…
D’ailleurs, les premières cibles de leurs pastiches, comme pour confirmer ce
soupçon infâmant aux yeux de certains, furent Le Monde (Le Monstre)
et Libération (Laberration) en 1985. Mais la gauche put se
rassurer au printemps 1988, lorsque parut Le Lougarou Magazine, pastiche
réalisé il est vrai avec la complicité de SOS Racisme, organisation contactée
par Karl Zéro, frère du président : le résultat fut inégal, et n’ont été
retenues dans le recueil que les pages rédigées par Jalons[ii].
Cette expérience étant
peu concluante, « les Jalons » œuvreront désormais seuls :
viendront encore, pour ce qui touche à la politique, Le Figagaro en 1993
et Le Cafard acharné en 1994 : du beau travail[iii].
La politique étant
devenue, dès cette époque, un simple élément du spectacle permanent, voire de
la chronique people[iv],
pourquoi ne pas s’intéresser à la presse qui se nourrit de la vie des
célébrités, voire à la presse à scandales ou à sensations ? Paraîtront
donc Voiri en 1995, Pourri Moche en 1999 et Fientrevue en
2003. Ces pastiches avaient été précédés en 1986 par Franche Démence.
Dans un registre un peu plus guindé, on regrettera l’absence de Coins de rue
– images immondes.
Autant le dire, ces
pastiches sont les moins convaincants, surtout en ce qui concerne Fientrevue.
Une personne qui a lu une fois Entrevue (et qui souhaite par conséquent
garder l’anonymat) m’en a donné la raison : l’original était déjà un
torchon illisible… Peut-être est-ce le vide abyssal de ces magazines qui en
rend les pastiches plus poussifs. Ou alors la lassitude des pasticheurs devant
un monde qui ressemble de plus en plus à leurs plaisanteries ?
D’autres avant eux
avaient réalisé des pastiches de journaux : le titre Franche Démence
fut utilisé par Boris Vian dès les années 1950. Et après eux ? On trouve
en ligne Le Gorafi, qui est drôle et bien fait, mais présente deux
inconvénients : l’actualité, d’une part, lorsqu’elle n’est pas atroce,
ressemble trop à ce que l’on peut lire dans Le Gorafi, tant elle est
bête ; et Le Gorafi paraît en continu : on ne saurait voir le
monde comme un canular en continu !
Il n’en demeure pas moins
que l’on parcourt avec plaisir ce recueil, y picorant ici et là de quoi être
secoué d’un rire énorme : beaucoup de ces pastiches ont bien vieilli et,
comme dit plus haut, ils possèdent les qualités de Jalons : liberté
de ton, satire efficace et sans aigreur… Tout le contraire du ricanement
calibré pour petits bourgeois libéraux de gauche (mais pas trop) des rebelles
subventionnés (par de grands groupes financiers) de Canal plus. J’ignore si
Karl Zéro partage cet avis…
Quoi qu’il en soit, merci
et longue vie au président de Koch !
A la une
Puisqu’il est question de
rire, il paraît qu’il faut avoir un avis sur la « une » du dernier
numéro de Charlie-Hebdo. Soyons honnête, quitte à être brutal :
sans l’assassinat d’une partie de la rédaction de ce périodique par deux
imbéciles criminels, en parlerait-on ? Au fond, ces assassins déments lui
accordaient beaucoup trop d’importance, de même que ceux qui en font maintenant
un symbole mondial de la liberté d’expression. Je ne pense donc rien de Charlie-Hebdo.
Personne n’est obligé d’en penser quoi que ce soit. Le livre sacré du charlisme
ne me regarde pas.
Je me contenterai donc de
vous renvoyer à un bref article de René Poujol dans Causeur[v] ou
à un commentaire lapidaire de Patrice de Plunkett[vi].
Voire, pour faire encore plus bref, à ce qu’en a dit le cardinal Vingt-Trois :
« Je ne vois pas pourquoi je réagirais à quelque chose qui est fait
pour provoquer » : simple et de bon goût, non ?
[i] Il me semble avoir entendu
utiliser cet argument avec le plus grand sérieux par Caroline Fourest sur
France-Culture au temps des Manifs pour Tous, où l’on retrouvait Frigide
Barjot, épouse de Basile de Koch… Voir ici.
[ii] Ayant lu ce pastiche à
l’époque en compagnie d’un camarade de classe – j’étais alors en seconde – qui
avait pour père un photographe travaillant pour… Le Figaro Magazine, je me rappelle qu’il y avait un éditorial de
« Louis Poubels » qui n’est pas reproduit dans le recueil.
[iii] Jusque dans les
détails : si vous avez la bonheur de posséder un original du Figagaro, vous observerez avec quelle
facilité, une fois plié (entre les deux « ga »), on peut le confondre
avec Le Figaro.
[iv] Et aussi un objet de
consommation : ce sera l’objet d’un numéro de Qui choisir ? en 2002 ; la tentative de sortir un autre Qui choisir ? en 2012 avorta, pour
des raisons évoquées par Basile de Koch dans la présentation qu’il en fait.
[vi] Référence moins
surprenante dans ce blogue ; et c’est ici.
Cher Sven, la seconde partie de cet article (post ? comment traduire exactement?) est plus courte mais aussi juste que la première. En effet, Charlie hebdo a pris involontairement une place nouvelle dans le paysage éditorial français, un peu comme un passager brusquement surclassé. Pour donner dans le cynisme, que j'adore, je dirais que le destin de Charlie hebdo me fait penser à cet employé d'une major américaine du disque, qui commenta ainsi l'annonce de la mort d'Elvis Presley : "Good career move."
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas cette anecdote sur Elvis Presley, mais elle a sa petite saveur amère. Pour ce qui est du cynisme, on peut "donner dedans" sans être cynique soi même : simple question de lucidité.
SupprimerDans ce registre, après tout, le culte charlique n'est sans doute pas, en effet, le fait de Charlie-hebdo. On doit y trouver des motivations politiciennes, voire "spirituelles" : comment meubler (ou exploiter) le vide des esprits modernes devant ces tribulations ?
SL