La fréquentation de quelques-uns de mes sites
préférés[i]
et la situation un rien confuse de notre pays en ce moment m’amènent à me poser
quelques questions : qui est de droite ou de gauche aujourd’hui, à quoi
cela rime-t-il, quel rapport cela a-t-il avec de plus hautes aspirations, et
comment ne pas sombrer dans le grand n’importe quoi ?
Rien que ça ! Si vous voulez bien me suivre,
voici quelques hypothèses, dont on voudra bien pardonner la légèreté à
l’amateur que je suis.
A gauche, gauche !
Comme une troupe parfaitement drillée, les gens de gauche, à l’ordre préparatoire, lèveront
toujours le talon droit et la pointe du pied gauche, avant, lorsque claquera
l’ordre exécutoire, de pivoter sur le talon et la pointe restés au sol, à
gauche, bien entendu. Et ce quelle qu’ait été la zizanie qui semblait régner
encore un instant auparavant. Une telle discipline en impose.
Ce qui en impose aussi, c’est l’assurance, la
hauteur, la morgue presque, avec lesquelles ces vieux soldats traitent les
pékins comme moi, par exemple : à les entendre, nous sommes au mieux
stupides ou retardataires. On observe par exemple en ce moment une
recrudescence de l’emploi de quolibets tels que racistes, fascistes ou (...)phobes (complétez le pointillé).
On pourrait se contenter de reprocher à ces gens
leur arrogance, proche parfois de l’hystérie. Mais il ne faut pas leur en
vouloir ; il faut même tâcher de les comprendre, je crois.
C’est que l’homme – ou la femme – de gauche est
investi d’une mission. Apparu dans le sillage des Lumières, il est là pour perfectionner l’Homme. C’est plus un
sacerdoce et une profession de foi qu’une opinion ou une position.
Cette religiosité diffuse, avec ou sans « être Suprême » ou « Grand
Architecte » à son sommet, est encore plus affirmée lorsque l’homme de
gauche est un socialiste : il s’agit alors pour lui d’instaurer le paradis
sur terre. De vaincre définitivement, d’abolir tout mal, avec les seules forces
des hommes, de leur volonté commune et de leurs petits poings[ii].
L’hostilité de la gauche (socialiste ou non) et le
mépris qu’elle affiche en tout bonne conscience pour quiconque n’en fait pas
partie, cela posé, se comprennent plus aisément. Et qui n’est pas avec la
gauche, c’est vaste : toute personne manifestant une opinion politique
différente, mais aussi une inspiration religieuse (au sens fort du mot inspiration) autre que la foi en un
paradis terrestre pour bientôt ne peut être qu’un obstacle sur la route de
l’abolition du mal.
Lorsque le socialiste n’est pas démocrate, on sait
quels dégâts cela peut faire – qu’il se dise national ou international.
Mais nous avons déjà connu, en France, avant le socialisme, « pas de liberté pour les ennemis de la
liberté », propos assorti notamment d’une tentative d’abolition des
Vendéens…
Au fond, l’homme de gauche a le cœur tendre :
il ne comprend pas que d’autres ne partagent pas ses vues, voire ne les aime
pas. Cela le blesse.
A droite, droite !
A l’ordre préparatoire, chacun regardera les autres
et, à l’ordre exécutoire, le mouvement prévu – inversez pointes, talon et sens
de rotation par rapport à à gauche,
gauche – sera exécuté de bien des manières différentes, voire comme si
c’était un demi-tour, droite ou un à gauche, gauche ; sans compter
ceux qui n’auront pas bougé d’un pouce, ne reconnaissant pas l’autorité du chef
de section (trop mou, trop dur, pas moi, voire un agent de l’ennemi). Nous
aurons tous reconnu « la droite » en France.
Ces gens ont, eux aussi, des excuses : c’est
que la droite n’existe
vraisemblablement pas.
Qui peut-on, au juste, dire de droite ?
Commençons par ceux qui, à l’inverse de la gauche
cherchant à instaurer le paradis ici et maintenant, souhaitent éviter que le
monde, à commencer par leur pays, devienne un enfer. Nommons-les commodément conservateurs, voire réactionnaires pour certains (votre
serviteur avoue se reconnaître assez dans cette définition). Reste à s’entendre
sur ce qu’il faut conserver, voire restaurer, sur ce que serait l’enfer et sur
les moyens de l’éviter ! Tâche trop vaste et ardue pour être accomplie ici[iii].
Les conservateurs et réactionnaires sont donc déjà de toutes sortes…
Etendons un peu nos regards et nous trouverons la
masse informe de la droite bourgeoise :
en gros, elle est contre tout ce qui est de gauche dès lors que cela menace son
confort, ses habitudes et ses intérêts. Pour le reste, qu’on se débrouille. De
manière générale, la droite bourgeoise
pense ce qu’elle a lu la veille dans le
Figaro[iv]
et trouve que M. Sarkozy, ça, c’était un homme, avec de la poigne, qui a su mener
la France[v].
Parfois, ce qu’elle aura lu coïncidera avec des pensées réactionnaires ou
conservatrices.
Reste la droite
par défaut : des courants de pensée peu à peu chassés de la gauche.
Nous pouvons au moins citer les libéraux ou les bonapartistes. Il est leur est
resté comme un atavisme de gauche : le désir de voir advenir le paradis
sur terre (sous la forme d’un grand marché providentiellement autorégulé ou
d’un empire tiré au cordeau, régi par un miraculeux code civil). Du reste, les
paradis de la droite par défaut ne
sont souvent pas dénués d’attrait pour la droite
bourgeoise.
A part quelques esprits bourgeois qui picorent çà et
là selon leurs intérêts et leur fantaisie, comment parler sérieusement de
« la droite » ? Cela peut se résumer par un seul point
commun : ce qui ne se reconnaît pas à gauche et s’y oppose. M. Mélenchon
ou M. Krivine vous le diraient joliment dans leur doux langage qui fleure bon
le musée : « les forces
fascistes, patronales et cléricales ».
Connaissez-vous des centristes ?
Ce paragraphe apparaît par seul souci d’équité,
après avoir longuement évoqué la gauche et la droite. En cherchant bien, il
doit se trouver quelques chrétiens-démocrates
effrayés par la gauche, quelques libéraux
effrayés par la droite, quelques radicaux
se voulant réalistes et quelques opportunistes. J’en oublie peut-être. Allez
savoir…
Le marketing et le mercato
Ces deux mots, pas les plus beaux que nous ayons
pris à l’anglais et à l’italien, nous seront utiles pour nous intéresser aux
partis politiques. Que reflètent ces derniers des opinions, des tendances ou
simplement des sensibilités ? A bien y regarder, pas grand-chose.
Peut-être quelques mouvements plus ou moins marginaux, groupusculaires et
bruyants, si tant est que de tels mouvements ne relèvent pas souvent de la
posture. Contentons-nous des gros partis.
Que sont ces partis ? A ce qu’il semble, de
grosses entreprises visant à conquérir le pouvoir et à y demeurer un temps,
celui de constater qu’ils ont bien du mal à l’exercer, ce pouvoir, du moins de manière
à assurer la prospérité et l’ordre dans le pays (certains de leurs membres, et
même des plus hauts, doivent être de temps à autre effleurés par ce souci).
L’important sera donc de plaire au plus grand nombre – il faut bien trouver des
électeurs – et à quelques personnes ou organisations riches et influentes – il
faut bien de l’argent pour mener campagne.
Ces propos sont assez répandus, ils sont même
banals, je le sais. Et à quoi bon disserter sur la droite et la gauche pour
prétendre ensuite qu’il n’en demeure rien… Attention, j’ai écrit pas grand-chose et non rien.
Pour plaire au plus grand nombre et à quelques
prescripteurs, quoi de mieux qu’une bonne étude de marché aboutissant à un
superbe marketing-mix ?
Naturellement, chaque maison, pardon, chaque parti, a ses spécialités et
surtout son public : au PS, les professeurs, les fonctionnaires et la
bourgeoisie avancée, plus quelques clientèles marginales, réputées désormais
plus riches en débouchés que les ouvriers ou les chômeurs, qui n’auront qu’à voter
communiste ou FN (mais là, c’est mal ; ils doivent voter communiste au
premier tour, puis reporter leurs voix sur le PS ; sinon, c’est
déloyal) : immigré-e-s, homosexuel-le-s, etc. ; à l’UMP, les
bourgeois comme il faut et les gros patrons – ces derniers étant peu nombreux
mais argentés. Ajoutons à ces cœurs de cibles la clientèle incertaine qui
risquerait d’être momentanément captée par la concurrence, et voilà le marché.
Pour l’offre, il importe de ne pas être ringardisé : d’où, en économie,
les inclinaisons désormais libérales du PS (sans renoncer à alimenter une
fonction publique abondante) et, sur le plan sociétal, le souci à l’UMP de paraître moderne et de ne pas refuser
je ne sais quelles avancées (sans
trop choquer le bourgeois, quand même !).
Pour ce qui reste des convictions, nous venons de
voir quelles acrobaties impose le marché pour séduire la marge de l’autre bord
et rassurer l’électorat jugé captif. Il reste en fait surtout des
postures : pour le PS, celle de l’incarnation exclusive du bien, qui offre
toujours la liberté de pratiquer la reductionem
ad Hitlerum à tout propos ; pour l’UMP, celle du camp de la réalité,
qui permettra de ridiculiser en permanence ce qui vient de gauche en matière
économique (et qui est à peu près la même politique que celle de l’UMP).
De temps en temps, il est nécessaire de mouiller sa
chemise et de descendre dans la rue pour rassurer l’électorat supposé captif.
On a vu cette semaine les manifestations antiracistes à gauche, tandis que, la
saison dernière, M. Copé a bruyamment pris en marche le train de l’opposition
au simulacre de mariage dit pour tous[vi].
Quitte, une fois que la loi contestée par lui avec véhémence a été votée, à
dire qu’il y a en fait toujours été favorable : c’est qu’il faut quand
même s’adapter à la tendance et ne pas s’accrocher à une mauvaise affaire.
Enfin, le PS – pardon, le gouvernement – a tenté un
joli coup il y a quelques mois, synthèse entre la posture (magie du socialisme)
et le marketing : la France en 2025 ! Admirable idée,
qui rappelle un peu ce que les constructeurs automobiles nomment un concept-car : cela ne sert à rien,
occupe du monde, fait rêver cinq minutes le public et tombe vite dans
l’oubli ; un boulon ou un élément de carrosserie, ici ou là, pourra être
repris sur les modèles de série.
Evidemment, tout cela n’est plus qu’un moyen de
satisfaire quelques ambitions et vanités personnelles. Certains tombent
d’ailleurs franchement le masque, comme ces derniers jours Mme Versini,
ancienne ministre de M. Chirac et désormais candidate à Paris sur la liste de
Mme Hidalgo ou, en 2007, M. Besson, qui passa de l’équipe de campagne de Mme
Royal à celle de M. Sarkozy : un coup comme ce dernier, on n’en rêverait
même pas au plus noir du mercato
footballistique !
Après tout, ces gens gèrent leurs carrières comme
ils peuvent. D’aucuns, et il ne faut pas non plus s’en moquer excessivement,
finissent par trouver leur voie, comme Mme Bachelot qui, paraît-il, vient de
tourner un numéro comique pour une série télévisée.
Et Dieu, dans tout ça ?
Je ne parlerai que de ce que je crois connaître un
peu : l’Eglise catholique et, en particulier ses interventions ponctuelles
dans des débats qui touchent à la politique. Ces interventions donnent souvent
lieu à des querelles et à des malentendus qui sont en gros toujours les mêmes.
Lorsque l’Eglise – que ce soit le clergé ou des
laïcs en leur propre nom, plus prudemment – intervient, c’est le plus souvent
pour des raisons morales, raisons qui ont leur fondement dans un ordre plus
élevé, hors des querelles ou des obédiences politiques ou même simplement
morales. En général, les malentendus que cela occasionne sont toujours les
mêmes : à gauche, on veut bien que l’Eglise soit généreuse envers les
pauvres et les immigrés, mais pas qu’elle s’oppose aux avancées diverses ; à droite, c’est souvent l’inverse. En
gros, chaque camp veut bien qu’elle soit une espèce de caution, de bénédiction,
voire simplement d’ornement de ses divagations, parce que momentanément les
propos entre un de ces camps et l’Eglise coïncident. Et rien que cela.
Quelqu’un pourrait-il sortir à ces gens leur nez de leurs affaires
terrestres ? Mais j’ai déjà parlé il y a quelques mois (ici) de
l’irritation que l’Eglise provoque à gauche comme à droite de temps à autre, ce
que je crois décidément être un signe de vie[vii].
Certaines de ces irritations ou confusions sont
faciles à comprendre. Quant à l’irritation, la religiosité terrestre de la
gauche et le goût bourgeois du confort l’expliquent. Quant à la confusion, qui
a grandi dans les dernières années de la guerre froide se rappellera
l’influence qu’a eue le bienheureux Jean-Paul II sur certains opposants au
communisme en Europe. Concomitamment et pour des raisons différentes, d’autres
forces – souvent identifiées à « la droite » – se sont elles aussi
opposées au communisme. A croire que tous les ennemis d’un même adversaire sont
nécessairement apparentés, on finit par trouver des gens qui se disent
chrétiens, libéraux et conservateurs à la fois, faisant dans leur discours des
contorsions parfois assez cocasses[viii].
Une autre confusion me semble apparaître en ce moment :
j’ai lu ici et là des choses sur une supposée convergence des luttes contre le gouvernement (entre des antimariagepourtous, des bonnets rouges et je ne sais qui
encore). Le fait de s’opposer à telle ou telle mesure grotesque, dangereuse ou
menaçant je ne sais quels intérêts n’en fait pas une seule et même lutte. Il faudrait
plutôt parler d’une confusion des
controverses, entretenue par le gouvernement (criant que la Rrrrrépublique
est menacée par des pétainistes, enfin vous connaissez la chanson) ou par
quelques calculateurs de l’opposition (garantissant qu’avec eux c’était mieux
et qu’avec eux à nouveau ce sera bientôt mieux), et accueillie comme du pain
bénit par quelques têtes chaudes en tous genres (extrémistes ou jeunes gens
corrects qui rêvent d’un petit moment épique).
Post-scriptum (toujours le même)
Naturellement, il nous est permis d’avoir toujours
la même pensée ou de faire les mêmes prières que la semaine dernière, pour le
père Georges Vandenbeusch… Vous pouvez aussi lire ceci chez Patrice de Plunkett.
[i] Par exemple une récente entrée chez Fromage Plus…
[ii] Philippe Muray, toujours
lui, a magistralement traité le sujet dans Le
XIXe siècle à travers les âges. Qu’on se reporte aussi à certains propos de
M. Peillon pour ce qui est de la religion socialiste ou républicaine.
[iii] Donnons simplement
quelques exemples dans ce fouillis : on trouvera aussi bien des identitaires pour qui l’enfer c’est le
reste du monde que des farfelus dans mon genre pour qui l’enfer conjugue
notamment le matérialisme, le relativisme, le refus de tout ordre et de toute
tradition… Et vous (si vous l’êtes), quel conservateur ou réactionnaire
êtes-vous ?
[iv] De même qu’il existe une gauche bourgeoise qui pense ce qu’elle
aura lu dans le Monde…
[v] Où donc ? Si j’étais
méchant, je dirais : dans les bras de M. Hollande…
[vi] Le 17 novembre 2012, M.
Copé se trouvait bien à Paris, mais pas pour piétiner entre la place
Denfert-Rochereau et les Invalides, trop occupé qu’il était d’empêcher M.
Fillon de prendre le poste qu’il convoitait.
[vii] On pourra aussi lire
ceci avec profit sur le site Le Rouge et
le Noir (tout n’est pas toujours à mon goût sur ce site, mais là,
j’applaudis).
[viii] Voir ici un propos
assez croquignolet et la réfutation qu’en fait Patrice de Plunkett.
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