Il y a bien six mois que je n’ai pas mis les pieds
dans un cinéma, et encore était-ce pour voir un vieux film. Pour l’anecdote, il
s’agissait de Mort d’un cycliste,
film espagnol de 1955 où Lucia Bosè (d’une beauté qui se passe de commentaires)
tient le rôle d’une femme trompant un mari aussi riche que ridicule avec un
professeur de mathématiques qui a toujours l’air de s’être assis dans une
flaque d’eau froide et ressemble à un Jean-Luc Mélenchon moustachu ; le
dénouement de cette triste histoire sera aussi tragique que cynique.
Pourquoi donc ne pas traîner un peu plus au
cinéma ? Je crois que nous avons déjà pas mal de ce genre de spectacle en
consultant la presse.
Un film historique (1)
Par exemple, cette semaine, un article de Christophe
Ono-dit-Biot sur le site du Point a
attiré mon attention, et mérite le détour. L’auteur y rend compte d’un
entretien télévisé qu’il a eu avec Mme Vallaud-Belkacem, ministre des droits de
la femme et porte-parole du gouvernement. L’article comporte un lien menant à
une vidéo que je vous conseille d’aller voir. Les deux susnommés y discutent
notamment du désormais fameux projet de loi sur la prostitution (sur lequel je
ne reviendrai pas) et du souhait manifesté par Mme Vallaud-Belkacem de voir
apparaître dans les manuels d’histoire et de littérature des lycées la mention
de l’orientation sexuelle des
personnages historiques et des écrivains. Chose qui jusqu’à présent relevait de
ce qu’on appelle avec une condescendance la plupart du temps justifiée de la petite histoire.
Avouons qu’il faut du talent pour débiter de telles
énormités sans éclater de rire tous les trois mots, ce à quoi parvient presque
parfaitement Mme Vallaud-Belkacem, habillant l’hilarité qui la menace à tout
instant d’un avenant sourire et de riantes œillades. Il en émane le même charme
agaçant que d’une prestation, disons, de Virginie Ledoyen : la même
fraîcheur juvénile, le même entrain, le même côté de gauche… Et cette maîtrise dans la manière d’asséner, au sujet de
la sexualité des personnages historiques, qu’« en passer l’existence sous
silence est une façon de la stigmatiser ». Notons à ce propos que la
mentionner pourrait fort bien, du même point de vue, être une façon de la
stigmatiser, en rappelant, par exemple, sur le national-socialisme, qu’Ernst
Röhm était homosexuel : on s’y perd, non ? Mais passons, cela n’est
pas le sujet.
Pour revenir à ce joli numéro, je me demande combien
de prises il a fallu avant qu’il ne soit dans
la boîte, sans fous rires. De manière plus générale, je crois que le poste
de porte-parole du gouvernement nécessite un art consommé, du charme et du
métier. Surtout avec le gouvernement que nous avons en ce moment. Si jamais
quelqu’un a l’insolence de demander à Mme Vallaud-Belkacem pourquoi elle a été
nommée à ce poste, elle sera en droit de répondre, comme Virginie Ledoyen il y
a quelques années dans une publicité pour des produits de beauté :
« Parce que je le vaux bien » !
Un film historique (2) : de
l’importance des costumes
Les costumes auraient pu être ceux de soldats de la
guerre de 1914-1918, mais ce n’est pas de cela que je veux vous entretenir. Il
ne sera donc point question ici du discours récent de ce monsieur Zélande,
Brabant ou Flandru, je ne sais plus, pour inaugurer les commémorations du
centenaire de cette guerre. Il semble en effet que, dans la confusion qui règne
en France en ce moment, l’auteur du discours ait un peu mélangé ses fiches et
fourni à son patron des notes sur La 7ème
compagnie. Jetons un voile pudique sur cet anachronisme et ce mélange des
genres, par compassion pour M. Limbourg, ou je ne sais plus comment.
Non, et comment ne pas finir par en arriver là, je
pensais à la Bretagne et à ses bonnets
rouges. Grâce à nos journalistes, devenus incollables, nous savons tous que
ces bonnets sont un rappel d’une révolte bretonne de 1675, laquelle n’aurait
pas été sans annoncer 1789. Ajoutons à cela le fantasme d’un nouveau 1968, et
nous voilà ramenés dans les arcanes d’une numérologie déjà évoquée ici en mai
(cela posé sans me vanter).
La distribution des rôles n’oublie personne dans ce
spectacle, en faisant défiler ensemble les patrons et les ouvriers qu’ils ont
licenciés, les syndicalistes agricoles et les élus locaux, les bourgeois comme
il faut et les gauchistes. On observe aussi de magnifiques effets
pyrotechniques, qui ont nécessité la destruction par le feu de portiques eux aussi passés à la
postérité. Seule ombre au tableau, les costumes : on apprenait en effet
cette semaine qu’il a fallu importer d’Ecosse une partie des bonnets portés par
les figurants.
Plus sérieusement, ce paradoxe en révèle d’autres.
Oui, bon nombre de ces gens souffrent réellement ; mais parmi eux se
trouvent par exemple des paysans utilisant des méthodes agricoles très
intensives, nuisibles pour l’environnement, coûteuses au point de les étouffer
sous les dettes et frisant parfois l’absurde (en envoyant, paraît-il, leurs
cochons se faire abattre en Allemagne avant de les rapatrier). Comment en
sont-ils arrivés là ? Les libéraux accuseront une inondation de subventions
pour n’importe quoi et les antilibéraux la pression exercée par d’implacables
puissances libre-échangistes. Bien qu’étant incompétent dans ce domaine, j’ai
envie de traiter les uns et les autres de borgnes : ne serait-ce pas une
combinaison de ce que chaque système – l’hyper-capitalisme et la technocratie
étatique, voire supranationale – a de pire ?
C’est plutôt la littérature que quelques
connaissances vagues des sciences économiques qui m’y a fait penser. Plus
précisément, le souvenir d’un roman d’Ernst von Salomon, La ville. Au début de ce roman, des paysans du Schleswig-Holstein
se révoltent, vers 1930, contre des autorités qui, après les avoir vivement
incités à se lancer dans l’élevage intensif de cochons, ont passé des accords
commerciaux avec la Yougoslavie, permettant l’importation en Allemagne d’une
viande porcine bien moins coûteuse.
Ce roman est riche en similitudes avec toute époque
plus ou moins agitée : le héros, un genre d’agitateur un peu perdu, fera
la connaissance d’un vrai révolutionnaire professionnel, un cynique nommé
Hinnerk, tour à tour nazi ou communiste, selon son humeur et son désir d’être
toujours du côté « qui n’est pas
celui des Schupos ». Ce goût de l’agitation pour l’agitation, s’il est
parfois tentant, me semble assez vain et même dangereux. On ne sait jamais trop
où cela mène…
Quoi qu’il en soit, lecteurs curieux, goûtez-donc à
la prose d’Ernst von Salomon : vous ne le regretterez pas.
Autofiction
Toujours dans notre cinéma permanent, on apprenait
cette semaine la convocation en justice pour dénonciation de délit imaginaire
d’une étudiante de l’UNEF, qui a avoué avoir menti, après avoir porté plainte
pour des menaces et des violences émanant de dangereux fascistes (« On va
te violer, sale Arabe. On sait où t'habites, sale gauchiste », lui
auraient dit les méchants du film après l’avoir bousculée). On ne peut que
regretter que l’imagination soit aussi mal récompensée, de nos jours. Pensez,
l’éternel combat antifasciste en décors réels, ça jette, non ?
L’auberge des poupées chinoises – et
le cinéma !
Cette semaine sont apparues les premières affiches
du nouveau film de Cédric Klapisch, Casse-tête
chinois, qui fait suite à L’auberge
espagnole et aux Poupées russes.
On n’annonce pas encore Les cigarettes
anglaises, L’omelette norvégienne,
La popeline irlandaise, L’escalope milanaise ni Les tricots islandais. Mais soyons
patients. J’ai en revanche des craintes pour La quiche lorraine, La potée
auvergnate, La tarte porteloise
ou Le cassoulet toulousain. Trop
franchouillard, trop provincial, tout ça. Et ne parlons pas du Far breton, titre trop polémique en ce
moment !
Pour rester dans le cinéma, une petite absurdité
suédoise : certains cinémas ont décidé de noter les films selon la place
accordée aux femmes. Pour obtenir un « A », un film doit montrer
pendant plus d’une minute deux femmes parlant d’autre chose qu’un homme. Mon
cœur saigne en pensant que La 317ème
section, du regretté Schoendoerffer, serait impitoyablement recalé (il y a
longtemps que je n’ai pas revu ce beau film : peut-être y aperçoit-on une ou deux paysannes
indochinoises, et encore…). Mais tout ayant ses limites, même en Suède ces
choses-là finissent par être ramenées à leur juste valeur, c’est-à-dire à rien.
In cauda venenum
Le prix Goncourt ayant été attribué cette année à
Pierre Lemaitre pour son roman Au revoir
là-haut, il n’est pas allé au Prochain
Goncourt. Soulagement : un peu de réel ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).