Cette phrase, nous l’avons tous entendue une fois ou
l’autre, de la bouche de la concierge à celle du président de la République,
lorsque ce dernier veut avoir l’air comme vous et moi. Qu’elle soit pour ou
contre quelque chose, d’ailleurs, comme pour manifester une horreur du vide juridique ou encore ce que Philippe
Muray nommait justement l’envie du pénal.
On finit par en arriver à un empilement de lois aux conséquences parfois intéressantes.
Effet inattendu de la « loi
Taubira »
Cet effet, c’est bien entendu la décision de justice
visant à expulser les époux Tellenne (Frigide Barjot et Basile de Koch) de leur
logement. Je n’ai aucune idée du caractère licite ou non de l’usage qu’ils
faisaient de leur appartement, mais il appert que cet usage durait depuis des
lustres. Que n’ont-ils été expulsés plus tôt par la régie immobilière de la
ville de Paris, si domicilier chez eux leurs activités professionnelles était
illicite ?
Le lien entre cette expulsion et la « Manif
pour tous » crève les yeux et personne n’est dupe des dénégations des
différentes autorités, qui crient à la pure coïncidence. Il ne sera pas
question ici des divergences qui se sont fait jour entre la « Manif pour
tous » et Frigide Barjot depuis ce printemps (sans compter que le chemin
pris par Frigide Barjot me semble une impasse, mais c’est un autre sujet). Tout
ce que je me bornerai à constater est que, si nous ne sommes certainement pas
en dictature, nous frisons une forme encore flasque, brouillonne et hypocrite de
totalitarisme. Forme d’autant plus inélégante qu’elle touche non seulement l’intéressée,
mais aussi tout son foyer, en prenant les activités professionnelles de son
époux comme prétexte.
343 salauds
Le projet de pénaliser les clients des prostituées
pris sur le fait redevient à la mode. Ce qui a provoqué une protestation sous
la forme du Manifeste des 343 salauds.
Les signataires de ce texte (à paraître dans le prochain numéro de Causeur, mais déjà éventé) invoquent la
liberté d’avoir recours à des relations
tarifées, du moment que cela se fait entre adultes consentants.
Je veux bien, mais ce genre de réponse me semble
quand même relever du romantisme de la pute généreuse et libre. On pourrait
rappeler aux signataires de ce manifeste que la pute, même libre, même
généreuse, même si elle se livre par goût à cette activité (il doit bien y en
avoir quelques-unes dans ce cas), attente à sa dignité en considérant son corps
comme une boutique.
Cette réflexion, outre signaler aux « 343
salauds » la bizarrerie, pour ne pas dire l’incongruité de leur manifeste,
pourrait – modestement – leur servir de piste pour s’opposer à un projet dont l’absurdité
est facile à mettre en évidence. Je m’explique :
En peu de mots, vouloir interdire l’usage de la
prostitution sans interdire la prostitution elle-même est une fameuse
gribouillerie. La pornographie aussi, c’est laid. Pourquoi ne pas alors
interdire l’achat de publications pornographiques tout en en autorisant la
production et la vente en kiosques ?
Je mentionnais plus haut le mal que se fait une
prostituée en louant son corps comme un pas de porte, même en le faisant de son
plein gré, si elle aime cela. Il y a pour de telles personnes une prière dite
le vendredi saint, à la dixième station du chemin de croix : « Souviens-toi, Seigneur, de tous ceux que ne
respectent pas le corps que tu leur as donné, des victimes et des profiteurs de
la prostitution… » Comme on l’aura compris, cette prière est dite pour ces personnes et non contre elles. Elle n’est pas d’ordre
légal mais d’ordre spirituel (et s’applique à la morale). Il ne s’agit pas en
effet de vouloir la punition de pécheurs, mais leur salut. Car s’il fallait
punir légalement tous les péchés, il faudrait aussi verbaliser toutes les
personnes prises en flagrant délit, non seulement de luxure, mais aussi de
gourmandise, de paresse, d’orgueil, de colère, d’envie ou d’avarice. Et nous
serions nombreux à raser les murs, je crois…
Sans approuver ce manifeste, je veux bien lui
reconnaître, donc, le mérite de nous inviter à réfléchir à une question un peu
plus vaste qu’une vulgaire histoire de cuisses (et aussi celui d’em…bêter les
adorateurs du Manifeste des 343 salopes…).
Soupe tsigane
A propos de ce genre de loi, j’observe que ses
partisans invoquent l’exemple de la Suède. C’est curieux, tout de même, cette
manie chez les progressistes, de
vouloir imiter n’importe quelle sottise, dès lors qu’elle vient de Suède. L’exemple
du paradis social-démocrate, sans doute… Notons que, d’après ce que j’ai
compris, le client pris sur le fait en Suède peut bénéficier d’une réduction d’amende
s’il dénonce à la police un réseau de proxénètes. Pourquoi pas, mais voilà qui
donne quelques lettres de noblesse à la délation.
Ce genre d’ennoblissement peut s’avérer inquiétant. Certains
finissent par prendre goût à la délation.
Pour rester en Suède, on pouvait lire dans une
récente brève de Svenska Dagbladet
que le patron d’un restaurant de Malmö avait été dénoncé à la police (par un
client, je suppose) pour avoir mis à sa carte une « soupe tsigane »
dont il garantissait que tous les ingrédients avaient été volés. Fier de l’avoir
dénoncé, le client-justicier a déclaré à la presse que « le racisme rampant est un danger pour Malmö ».
Et la délation de tous par tous ?
Si jamais les plaisanteries d’un goût douteux sur
les mœurs culinaires des autres viennent à être désormais illégales ici aussi
(abstraction faite de la qualité nécessairement inégale de ces blagues), je
signale à l’attention des censeurs un passage de Trois hommes dans un bateau, de Jerome K. Jerome, où les héros
hésitent, lors de la confection d’un mélange infect qu’ils nomment ragoût irlandais, à y ajouter un rat
crevé que leur chien leur a amené ; ajoutons, dans un registre pour
initiés, l’Irish Ballad de Tom
Lehrer. Jugez-en plutôt ici (et appréciez les commentaires de certains auditeurs)…
Le troisième sexe
Qu’il me soit permis, vu l’attachement que je
manifeste à la Suède, de soupirer d’aise : c’est en Allemagne qu’un sexe indéterminé vient d’être officiellement
reconnu. Pour une fois que ce n’est pas en Suède que ce genre d’incongruité
apparaît pour combler un vertigineux vide
juridique…
Tout fout-il le camp ?
Pour revenir aux cartes des restaurants et cafés, j’ai
constaté avec tristesse cette semaine la disparition du Welsh rarebit de la carte du Sélect,
à Montparnasse. Il devrait y avoir une loi contre de tels abandons. A moins qu’il
ne s’agisse de prévenir un risque de dénonciation pour racisme anti-gallois. Allez
savoir, le monde post-moderne est si complexe…
Je presume que les 343 salauds n'ont pas d'objection à ce que leurs filles, sœurs, cousines, voire mères, tantes et grand-mères se prostituent. LL
RépondreSupprimerIls en verraient certainement, ce qui leur permettrait de voir par où ils se trompent !
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