samedi 16 septembre 2017

Un appeau à imbéciles

Le Figaro Magazine a cru bon, il y a peu de poser en couverture cette question essentielle : « le pape est-il de gauche ? ». Ce titre annonçait la publication de bonnes feuilles d’un livre d’entretiens du pape François avec M. Dominique Wolton. Et tombait sans doute bien, aux yeux de la rédaction dudit magazine, après des déclarations faites le 21 août par le pape en vue de la prochaine journée du migrant et du réfugié.
Une telle question, posée dans de telles circonstances, par une publication qui se veut « de droite », ressemble, sinon à un signal, du moins à une provocation pour un certain public : le site internet du Figaro a été envahi de propos hallucinants – ou plutôt hallucinés – de quelques lecteurs sur le pape. De même, sur le site de Causeur, trois auteurs se sont succédé, avec un manque de talent plus ou moins criant, combien les récentes déclarations du pape leur déplaisaient[i]. Nouveau signal pour une meute de lecteurs-commentateurs dont on ne saurait dire si leurs transes relèvent de la possession ou de la maladie de Gilles de la Tourette. La quasi-totalité des commentaires approuvaient ces textes d’une manière proprement délirante, en rajoutant souvent. Deux autres auteurs contribuant occasionnellement à ce site proposèrent des textes en faveur du Saint Père[ii] : las ! la même meute se rassembla, les couvrant d’injures et ressassant les mêmes ruminations haineuses et obsessionnelles contre « Jorge Bergoglio », qu’ils ont du mal à reconnaître comme pape[iii].
A ce train-là, ce n’est plus de la haine, ni même de la rage, bien que les propos de tels commentateurs évoquent l’écume ou la bave qui suinte de la gueule d’animaux touchés par ce mal. Non, il faudrait plutôt songer à quelque purge, vidange ou débagoulis de sécrétions foireuses d’un diablotin que l’on viendrait d’asperger d’eau bénite – ou, pour être plus indulgent, d’un membre de la fédération nationale de la libre pensée à jour de ses cotisations contemplant une crèche de Noël devant la mairie de la sous-préfecture qu’il orne de son esprit fort.
(Pour revenir au Figaro, relevons un entretien accordé fin août par M. Laurent Dandrieu[iv], un homme assurément mieux élevé et plus subtil qu’une poignée d’internautes anonymes. Pour lui, ce qu’énonce François au sujet des migrants et des réfugiés est tout à fait dans la continuité de ce qu’énonçaient ses prédécesseurs Benoît XVI et saint Jean-Paul II. Et la mansuétude exprimée par ces papes envers lesdits migrants et réfugiés n’a pas l’heur de plaire à M. Dandrieu. Lequel n’est probablement pas sans savoir que l’institution de la journée du migrant et du réfugié remonte à un siècle environ, soit au temps du pontificat de Benoît XV. On s’interroge pour savoir depuis combien de temps le trône de saint Pierre est, selon M. Dandrieu, mal occupé. Reconnaissons-lui cependant le mérite d’une certaine politesse.)
A propos de continuité, ces attaques insensées contre l’actuel pape ne sont pas sans rappeler celles que l’on put entendre contre Benoît XVI et saint Jean-Paul II naguère. Seulement, ces attaques, émanant le plus souvent de journalistes illettrés, de libres-penseurs ou – autres fossiles vivants – de quelques « catholiques de gauches » (ou « d’ouverture »). Que ces gens attaquassent le pape avec bêtise, ignorance et mauvaise foi était, somme toute, dans l’ordre des choses[v]. Eh bien, maintenant, d’autoproclamés gardiens de la tradition catholique se comportent exactement de même[vi].
Au fond, cela n’est pas si surprenant. Dans les deux cas, nous avons affaire à des gens que les principes énoncés par le pape mettent mal à l’aise. Ils leur rappellent qu’être un chrétien exige des efforts et n’est pas de tout repos. C’est même inconfortable par moments. Il est donc compréhensible que certains grincent des dents à ces rappels. Mais, de même qu’il est quelquefois dit que l’Eglise est semper reformanda, ne sommes-nous pas semper reformandi ? S’il en était autrement, nous serions déjà des saints[vii]. Et, pour ce qui est de se sentir à l’aise, les plus lettrés se rappelleront que l’endroit peu flatteur où cette sensation se produit a été désigné de manière définitive par Bernanos[viii].
Il est quand même regrettable que les paroles du pape qui parviennent jusqu’au grand public fonctionnent le plus souvent comme des appeaux à imbéciles, de gauche ou de droite[ix]. Le pape ne parle pas à cette fin. S’il est permis d’être désarçonné de temps à autre, cela n’oblige pas à se joindre à quelque meute.


[i] Ici, , et encore . Avec deux articles du même auteur, pris d'un besoin urgent d'insister, au cas où l'on n'aurait pas compris sa pauvre rhétorique.
[ii] Ici et .
[iii] J’en viens à me demander s’il ne va pas y en avoir quelques-uns pour voir un complot dans le fait que Pâques tombe un 1er avril en 2018.
[iv] Voir ici.
[v] Il faut ajouter à cette liste des politiciens soucieux de ne pas passer pour « réacs », tel un Alain Juppé disant un jour que Benoît XVI commençait « à poser un problème » : en matière d’imbécillité, M. Juppé se posa là.
[vi] Pour les aider à ne pas sombrer, il y a ceci, de l’abbé de Tanoüarn, qui est rarement considéré comme un dangereux gauchiste.
[vii] Ce qui me rappelle une homélie entendue le jour de la Toussaint, il y a quelques années, où le prêtre nous disait que quiconque lui disant croire avoir atteint cet état se verrait montrer le chemin du confessionnal.
[viii] Dans Les enfants humiliés : « Être à l’aise… se mettre à l’aise… les lieux d’aisance… voilà précisément où je voulais en venir : on n’est à l’aise que sur le pot. »
[ix] Rendons justice à Causeur, où l’on peut lire d’intéressants propos à ce sujet, dans « le moi de Basile de Koch » de septembre, notamment sur l’attitude à adopter si tel ou tel propos du pape met mal à l’aise. Longue vie au président de Koch !

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