Le Figaro Magazine
a cru bon, il y a peu de poser en couverture cette question essentielle :
« le pape est-il de gauche ? ». Ce titre annonçait la
publication de bonnes feuilles d’un livre d’entretiens du pape François avec M.
Dominique Wolton. Et tombait sans doute bien, aux yeux de la rédaction dudit
magazine, après des déclarations faites le 21 août par le pape en vue de la
prochaine journée du migrant et du réfugié.
Une telle question, posée
dans de telles circonstances, par une publication qui se veut « de
droite », ressemble, sinon à un signal, du moins à une provocation pour un
certain public : le site internet du Figaro a été envahi de propos
hallucinants – ou plutôt hallucinés – de quelques lecteurs sur le pape. De
même, sur le site de Causeur, trois auteurs se sont succédé, avec un
manque de talent plus ou moins criant, combien les récentes déclarations du
pape leur déplaisaient[i].
Nouveau signal pour une meute de lecteurs-commentateurs dont on ne saurait dire
si leurs transes relèvent de la possession ou de la maladie de Gilles de la
Tourette. La quasi-totalité des commentaires approuvaient ces textes d’une
manière proprement délirante, en rajoutant souvent. Deux autres auteurs
contribuant occasionnellement à ce site proposèrent des textes en faveur du
Saint Père[ii] :
las ! la même meute se rassembla, les couvrant d’injures et ressassant les
mêmes ruminations haineuses et obsessionnelles contre « Jorge
Bergoglio », qu’ils ont du mal à reconnaître comme pape[iii].
A ce train-là, ce n’est
plus de la haine, ni même de la rage, bien que les propos de tels commentateurs
évoquent l’écume ou la bave qui suinte de la gueule d’animaux touchés par ce
mal. Non, il faudrait plutôt songer à quelque purge, vidange ou débagoulis de
sécrétions foireuses d’un diablotin que l’on viendrait d’asperger d’eau bénite
– ou, pour être plus indulgent, d’un membre de la fédération nationale de la
libre pensée à jour de ses cotisations contemplant une crèche de Noël devant la
mairie de la sous-préfecture qu’il orne de son esprit fort.
(Pour revenir au Figaro,
relevons un entretien accordé fin août par M. Laurent Dandrieu[iv], un
homme assurément mieux élevé et plus subtil qu’une poignée d’internautes
anonymes. Pour lui, ce qu’énonce François au sujet des migrants et des réfugiés
est tout à fait dans la continuité de ce qu’énonçaient ses prédécesseurs Benoît
XVI et saint Jean-Paul II. Et la mansuétude exprimée par ces papes envers
lesdits migrants et réfugiés n’a pas l’heur de plaire à M. Dandrieu. Lequel
n’est probablement pas sans savoir que l’institution de la journée du migrant
et du réfugié remonte à un siècle environ, soit au temps du pontificat de
Benoît XV. On s’interroge pour savoir depuis combien de temps le trône de saint
Pierre est, selon M. Dandrieu, mal occupé. Reconnaissons-lui cependant le
mérite d’une certaine politesse.)
A propos de continuité,
ces attaques insensées contre l’actuel pape ne sont pas sans rappeler celles
que l’on put entendre contre Benoît XVI et saint Jean-Paul II naguère.
Seulement, ces attaques, émanant le plus souvent de journalistes illettrés, de
libres-penseurs ou – autres fossiles vivants – de quelques « catholiques
de gauches » (ou « d’ouverture »). Que ces gens attaquassent le
pape avec bêtise, ignorance et mauvaise foi était, somme toute, dans l’ordre
des choses[v]. Eh
bien, maintenant, d’autoproclamés gardiens de la tradition catholique se
comportent exactement de même[vi].
Au fond, cela n’est pas
si surprenant. Dans les deux cas, nous avons affaire à des gens que les
principes énoncés par le pape mettent mal à l’aise. Ils leur rappellent qu’être
un chrétien exige des efforts et n’est pas de tout repos. C’est même
inconfortable par moments. Il est donc compréhensible que certains grincent des
dents à ces rappels. Mais, de même qu’il est quelquefois dit que l’Eglise est semper
reformanda, ne sommes-nous pas semper reformandi ? S’il en
était autrement, nous serions déjà des saints[vii]. Et,
pour ce qui est de se sentir à l’aise, les plus lettrés se rappelleront que
l’endroit peu flatteur où cette sensation se produit a été désigné de manière
définitive par Bernanos[viii].
Il est quand même
regrettable que les paroles du pape qui parviennent jusqu’au grand public
fonctionnent le plus souvent comme des appeaux à imbéciles, de gauche ou de
droite[ix]. Le
pape ne parle pas à cette fin. S’il est permis d’être désarçonné de temps à
autre, cela n’oblige pas à se joindre à quelque meute.
[iii] J’en viens à me demander
s’il ne va pas y en avoir quelques-uns pour voir un complot dans le fait que
Pâques tombe un 1er avril en 2018.
[iv] Voir ici.
[v] Il faut ajouter à cette
liste des politiciens soucieux de ne pas passer pour « réacs », tel
un Alain Juppé disant un jour que Benoît XVI commençait « à poser un
problème » : en matière d’imbécillité, M. Juppé se posa là.
[vi] Pour les aider à ne pas
sombrer, il y a ceci, de l’abbé de Tanoüarn, qui est rarement considéré comme
un dangereux gauchiste.
[vii] Ce qui me rappelle une
homélie entendue le jour de la Toussaint, il y a quelques années, où le prêtre
nous disait que quiconque lui disant croire avoir atteint cet état se verrait
montrer le chemin du confessionnal.
[viii] Dans Les enfants humiliés : « Être à l’aise… se mettre à l’aise… les lieux
d’aisance… voilà précisément où je voulais en venir : on n’est à l’aise
que sur le pot. »
[ix] Rendons justice à Causeur, où l’on peut lire
d’intéressants propos à ce sujet, dans « le moi de Basile de Koch »
de septembre, notamment sur l’attitude à adopter si tel ou tel propos du pape
met mal à l’aise. Longue vie au président de Koch !
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