« En revenant, voyez A bout de
souffle, d’un jeune ; excellent, pudique et fort ; une longue
scène entre amants, remarquable. Une étude profonde des jeunes, leur
indifférence à tout. »
Lettre de Paul Morand à Jacques Chardonne, 5 avril
1960
Que savons-nous de
Jean-Luc Godard ? Plus précisément : que savons-nous de lui après
1965, à l’issue d’une période féconde commençant en 1959, durant laquelle il
donna quelques joyaux, d’A bout de souffle à Pierrot le fou, en
passant par Le petit soldat, Une femme est une femme ou Bande
à part ? Selon une hypothèse sérieuse – quoique cruelle –, devenu fou,
il se serait pris pour un individu nommé Jean-Luc Godard et aurait, sous ce
transparent pseudonyme, réalisé quelques indigestes films politiques à la
photographie et au montage parfois superbes ; tant il est vrai que
Jean-Luc Godard avait assimilé le langage cinématographique de Jean-Luc Godard.
Nous pourrions citer comme parangon de ce genre de travail La Chinoise,
film réalisé en 1967.
Anne Wiazemsky, qui
apparaît justement dans La Chinoise, fut à cette époque la compagne, et
même l’épouse, de Godard. Elle a tiré de sa vie avec lui deux romans (Une
année studieuse et Un an après), dont le second vient d’être adapté
au cinéma par Michel Hazanavicius sous le titre : Le Redoutable. N’ayant
jamais rien lu de la plume d’Anne Wiazemsky, je ne dirai rien de ce qu’elle a
pu écrire de sa vie avec Godard vers 1968, 1969… Je n’ai pas vu le film d’Hazanavicius
non plus, mais il me paraît possible de m’en faire une idée – mince, peut-être –
grâce à la bande-annonce de celui-ci, à ce que j’ai pu lire ou entendre à
propos d’Hazanavicius et à ce que je connais des films de Godard.
D’abord un aveu :
non seulement je n’ai pas vu le dernier film d’Hazanavicius, mais je n’en ai vu
aucun. Cependant, sa réputation de détourneur (ou de recycleur) d’images, de
pasticheur, voire de parodiste, et d’amateur d’exercices de style est désormais
solidement établie, des OSS 117 à The Artist. Elle se confirme
dans la bande-annonce du Redoutable : un collage ou un concentré de
figures de style et de tics godardiens : blagues de potache (un genre d’Almanach
Vermot en plus pince-sans-rire ou plus distingué), aphorismes politiques
aussi pesants que stupides (mais prononcés avec sérieux), gags très slapstick ;
montage précis, couleurs magnifiques, tranchées, rendant aussi bien les tons
vifs que le gris des trottoirs, des voitures et des costumes[i] ;
plans qui semblent lorgner du côté du Mépris, citation de la musique d’A
bout de souffle…
Cette bande-annonce offre
donc à nous regards et à nos oreilles comme un petit assortiment de ce qui peut
émerveiller autant qu’atterrer dans le cinéma de Godard. On y sent le mélange d’admiration
et de raillerie que l’on pourrait nommer troisième degré. Cette brève
imitation, ce point de vue au troisième degré, voilà de quoi faire un
pastiche réussi, en tant qu’exercice de critique par l’échantillon.
Maintenant, la question
qui se pose est celle de la durée : cela peut-il tenir la distance dans un
long-métrage ? C’est ce doute qui me fait hésiter, je l’avoue, à aller
voir Le Redoutable[ii].
Un bon signe toutefois :
j’ai entendu quelques critiques descendre en flammes ce film « réactionnaire »,
où l’on ose se moquer de Godard et de mai 68. Vraiment, les gens ne respectent
plus rien. Pour ma part, je trouve au contraire qu’une certaine irrévérence est
saine, si elle est pratiquée avec talent.
Et, puisque ma critique d’une
critique et des critiques des développements de cette dernière commençait par
une citation d’un vieil écrivain, finissons par en citer un jeune :
« Dragan disait :
"Personne ne veut de la vérité vingt-quatre fois par seconde. Deux fois
par mois, ça suffit amplement" ».
C’est de Clément Bénech,
dans son dernier roman, dont je tâcherai de dire deux mots d’ici peu. Au travail,
donc, pas de cinéma et, pour pasticher une réplique assénée par Jean-Paul Belmondo
dans Pierrot le fou : « un film tous les cinquante livres ! »
[i] Les rues de Paris, dans
les années 60 et 70, n’avaient pas toujours – et de loin – les couleurs pop que leurs prêtent les publicitaires
d’aujourd’hui…
[ii] Et je n’ai à mes côtés
aucune Brigitte Bardot en perruque pour me dire : « Ne va pas le voir… Oh et puis si, vas-y,
toi, le voir… »
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