Les organes de presse de
différents pays (dont la France, où Le Monde s’en charge) ont décidé de
divulguer les noms de nombreux riches contribuables, de préférence célèbres,
ayant jusqu’ici échappé aux rigueurs de leurs administrations fiscales
respectives au moyen de sociétés écrans domiciliées à Panama. En France,
parler à ce sujet des Panama Papers semble être l’usage établi.
Bien entendu, cette
affaire a des aspects multiples, dont certains dépassent mon faible entendement
et mes maigres connaissances. Du peu que j’ai compris, ces opérations ont
toutes les apparences de la légalité. Reste donc un problème moral. Ou même
deux.
Le premier est évident :
soustraire ses richesses aux impôts, quand on a plus que largement de quoi
payer ceux-ci, est un acte tout ce qu’il y a de plus égoïste. C’est refuser d’en
faire profiter ses compatriotes – même si l’usage fait de l’argent public est
certainement discutable. De plus, cela ressemble à un trait de folie, voire de
possession : la recherche, quand on est pourvu au-delà du suffisant et
même du superflu, d’encore plus de superflu. Ces riches se sont en somme faits
les esclaves de leur argent.
Il faut ajouter à cela le
caractère peu exemplaire de telles pratiques, lorsqu’elles sont le fait de
politiciens. Mais peut-être se croient-ils au-delà de considérations aussi
mesquines ? Rien de neuf là-dedans…
Ne négligeons pas
cependant un autre problème moral qui, cette fois, devrait se poser aux
journalistes. Si les comportements qu’ils entendent dénoncer sont illégaux,
pourquoi, en effet, se gêner pour les dénoncer ? Mais s’ils sont légaux
tout en étant moralement répréhensibles, c’est une autre affaire : qui
sont ces journalistes pour jeter en pâture au public les noms de personnes se
comportant mal, en risquant, de plus, d’être soupçonnés de choisir
soigneusement leurs cibles et la manière de les présenter ? Il pourrait
très bien, après tout, se trouver un petit malin pour, un jour ou l’autre,
rappeler ses fautes à celui-ci ou à celui-là. Et il serait drôle de voir les
réactions des intéressés.
En résumé, si ces
journalistes sont indignés par ce qu’ils savent, qu’ils essaient plutôt d’user
de leur possible influence pour inciter les responsables politiques à rendre
illégales les pratiques qui les indignent. En somme, qu’ils avancent des
opinions – s’appuyant sur des faits observés – plutôt que de pratiquer ce qui
ressemble à du journalisme de chantage.
Mais intéressons-nous
plutôt à un aspect, disons plus léger, de ces choses.
Panama Papers, pour commencer, est une expression qui
présente deux avantages. Premièrement, ce « Panama », en France,
rappellera à quelques lettrés le scandale du même nom, qui secoua quelque peu
une troisième république encore bien jeune. Ce scandale brisa, anéantit ou,
pour les plus habiles des éclaboussés (dont Georges Clemenceau), ralentit des
carrières politiques. Brandir un « Panama », de la part des
journalistes français, ne consiste donc pas à agiter un joli chapeau apprécié
des élégants, mais à se donner l’aire d’un contre-pouvoir qui pourrait menacer
bien des puissants. Secondement, Panama Papers, c’est en anglais dans le
texte : chaque journaliste fouillant dans ces documents aura donc le
sentiment gratifiant de faire partie d’une communauté internationale chargée d’importantes
révélations ; et, en retenant ce nom anglais, il donnera à ses lecteurs l’impression
– tout aussi gratifiante – d’être initiés à quelques mystères de cette
confrérie.
En France, les titres en
anglais pour ce genre d’affaires jouissent d’un prestige immense au moins
depuis l’affaire du Watergate en 1974, lorsque deux journalistes du Washington
Post firent « tomber » Richard Nixon. Que de gates,
fermées ou ouvertes, enfoncées depuis ! Chaque affaire prenant une
tournure menaçante pour un politicien, où quelque journaliste avait une chance
d’abattre une proie, de faire le justicier, d’égaler ces deux mythiques, fut
affublée de l’obligatoire suffixe gate : après l’Irangate
aux Etats-Unis sous Ronald Reagan, nous eûmes en France notre Angolagate[i] !
Cette mode fut tenace, ce
qui est un fait curieux : Watergate n’était-il pas un nom propre,
celui d’un immeuble cambriolé par des espions envoyés par Richard Nixon ?
En tout cas, elle dura jusqu’à l’apparition de nouveaux supports pour les
fuites alimentant les journalistes d’investigation. Au XXIe siècle, place à l’électronique,
aux nouvelles technologies, à l’immédiat ! Ce fut le temps des Wikileaks,
tout devant être wiki, désormais, et des lanceurs d’alerte (parce
que bon, pour une fois, l’anglicisme whistle-blower n’était pas
terrible-terrible). Leak ne signifie jamais que fuite ; pour la
petite histoire, il y eut en France dans les années 1950 une « affaire des
fuites », où un certain François Mitterrand… Mais passons. Nous eûmes donc
droit à quelques leaks ici où là, au nom plus ou moins euphonique :
Vatileaks, Swissleaks ou, de loin le plus joli, Luxleaks. Et
sur le site Internet du Monde, on trouve une rubrique Leaks :
pas fuites, pas scandales, ni révélations, indiscrétions
ou enquêtes. Non, le Monde vous livre des Leaks toutes
fraîches.
Le XXIe siècle étant une
sorte de XXe en plus fou (encore que) et en plus rapide, la mode semble passer
en ce moment : désormais, c’est donc à des Papers que doit s’intéresser
le journaliste qui veut du chaud. Cela durera ce que cela durera.
La question essentielle
paraît donc être : quel sera le prochain vocable anglais pour désigner une
réalité qui n’a somme toute pas grand-chose de neuf ? Les paris sont
ouverts.
Les "Panama fuites", ça aurait de la gueule, non ? Ce qui est intéressant, aussi, dans la communication desdites fuites, c'est l'usage du mot "scandale" (au fait, qui décrète le scandale ?). Remplaçons-le par exemple par "dossier" ou "affaire", ça devient plus respectable (l'affaire des Panama papers, le mystère fiscal s'éclaircit).
RépondreSupprimerOn pourrait aussi nommer "canal de Panama" le mystérieux trajet suivi par ces informations. La révélation de toute évasion fiscale pourrait être ensuite qualifiée d'authentique panama !
SupprimerPour ce qui est du scandale, c'est à voir : si l'on s'en tient à la légalité, rien à redire, apparemment. Ceux qui décrèteront le scandale seront alors ceux qui auront donné la liste de noms qu'ils n'aiment pas parmi ceux des indélicats.
Maintenant, il y a aussi le point de vue moral. Là, au lieu de se donner des airs de justiciers, nos amis les journalistes feraient mieux de nous donner une idée du coût de ce genre de pratiques légales pour la collectivité (donc pour nous)...
S.L.