Entre quelques lectures
ou relectures de plus sérieuses ou profondes (Dostoïevski ou Bernanos, par
exemple), s’offrir un bref divertissement n’est pas nécessairement coupable. Encore
faut-il bien en choisir l’objet et ne point se perdre dans les plaisirs qu’il
procure.
La politique est parfois
réduite, hélas, à offrir de tels objets, pas toujours des plus honnêtes, il est
vrai. Qui se souvient aujourd’hui de M. François Fillon ? M. Michel Crépu,
rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française, qui eut naguère un
rôle dans la Revue des Deux-Mondes, ne l’a pas oublié, apparemment. Et il
semble même, à la lecture d’Un empêchement, paru aux éditions Gallimard
il y a quelques mois avec le sous-titre « essai sur l’affaire Fillon »,
qu’il n’en ait pas tout digéré.
En quoi un tel essai, au
sous-titre austère autant que le titre est amer et ironique, pourrait-il
constituer un divertissement ? On pourrait se le demander puisque parmi
tous les noms d’hommes morts ou vifs convoqués dans ce bref écrit (cent pages) ou
trouve ceux, susnommés, de Dostoïevski et de Bernanos (p. 69). Mais c’est pour
aussitôt nous rappeler qu’avec cette « affaire Fillon » nous nous
trouvons, comme dans le monde politicien en général, dans des cercles bien trop
médiocres pour être en rapport avec les univers respectifs de ces deux géants. Nous
voilà donc condamnés à nous amuser un bref moment de la farce grisâtre que fut
cette affaire, au moyen d’un petit livre qui, d’après la quatrième de
couverture, « se veut surtout un bon moment de conversation ».
Autant savoir, avant d’entamer
ladite conversation, à qui nous parlons, ou plutôt qui nous parle. M. Crépu
donne quelques aperçus de ses opinions ou de ses penchants au fil des pages :
vaguement atlantistes, libéraux-conservateurs (selon l’oxymore en vogue) et
europhiles. Faute de mieux (il se dit gaulliste, ce qui ne fait pas sérieux
dans les « cercles de la raison »), peut-être, M. Fillon sera « son
homme » en 2017.
C’est là que survient « l’affaire » :
on découvrit soudain, en pleine campagne électorale, que sous ses airs de bon
élève, M. Fillon n’était qu’en politicien aussi médiocre et combinard que ses
petits camarades. Dans la bonne moyenne des cancres en somme.
Ce n’est pas cette
découverte qui est restée sur l’estomac de M. Crépu. Il fallait, après tout, s’en
douter un jour ou l’autre, non ? Ce serait plutôt le fait de voir sur
quelles minces accusations son candidat fut traîné dans la boue, avec quelle
mollesse il fut défendu âr ses prétendus partisans et avec quelle médiocrité il
se défendit lui-même.
Peut-être n’y avait-il du
reste rien à défendre. Déjà qu’il n’y avait pas grand-chose à attaquer… Ni
François Fillon (une « énigme » comme l’écrit M. Crépu, ou un costume
vide ?) ni ce qui aurait pu lui tenir lieu de programme politique ;
le livre de M. Crépu s’ouvre sur une phrase dangereuse pour celui qu’il cite :
« Dans les jours
qui suivirent le désastre électoral de François Fillon, Éric Woerth eut ce mot,
suivant lequel la droite républicaine avait été "empêchée" d’aborder
les vrais débats. »
On veut bien, mais on
attend toujours de vrais débats.
Que reste-t-il à tirer de
ce bref livre, auquel M. Crépu eût peut-être dû donner pour titre Un épanchement ? Quelques portraits (Alain Minc par
exemple), des tableaux d’ambiance d’une talentueuse aigreur. Peut-être une
manière de se consoler en portant quelques jolis coups d’épingles à des baudruches
déjà à terre depuis un moment, parfois en lambeaux. Des humeurs plus qu’une
réflexion. On cherche l’essai, et on finit par se dire que ce livre eût pu
avoir pour titre : Un épanchement.
Un mot, peut-être, sur le
bénéficiaire de cette médiocre fillonnade ? Pour M. Crépu, M.
Macron, c’est « Harry Potter ». Un peu mince, comme jugement. Il eût
pu parler d’un nouveau Giscard avec un petit côté bas-empire en supplément. Son
Jupitérisme en serait un indice parmi d’autres. Mais n’anticipons pas :
au moment de la parution d’Un empêchement, nous ignorions encore que
certains autour de M. Macron aimaient à prendre les manifestations d’opposants
pour des safaris. Le nouveau monde macronien ne serait-il pas en somme beaucoup
plus ancien que l’on ne croit ?
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