samedi 18 août 2018

Chacun son complot

Il aura été assez parlé un peu partout de l’affaire Benalla pour que je n’aie pas besoin d’ajouter mon grain de sel à tout ce ragout. Je me contenterais volontiers d’en dire qu’il ne s’agit pas tout à fait de rien, tout en n’étant pas de ces affaires qui ébranlent l’Etat – ou le régime politique du moment – sur ses bases : en somme, une illustration des aises que prennent avec les règles ou la simple décence ceux qui occupent le pouvoir ainsi que leurs subordonnées, obligés et courtisans. Le « nouveau monde » de M. Macron n’a peut-être pas grand-chose de neuf.
Seulement, l’affaire a fait du bruit, les réseaux prétendus sociaux ont gazouillé abondamment. Au point qu’une organisation nommée EU Disinfo Lab a cru bon de publier une étude censée vérifiée si tout le bruit autour de l’affaire ne résultait pas du travail de mystérieuses officines moscoutaires[i]. Même les inévitables « Décodeurs » du Monde n’ont pas paru convaincus par cette hypothèse[ii]. Soyons généreux et offrons une piste aux zélateurs de M. Macron : le manifestant molesté place de la Contrescarpe par le nommé Benalla se trouve être d’origine grecque ; or les Grecs sont orthodoxes, tout comme les Russes ; l’ombre menaçante de M. Poutine se profile dès lors, n’est-ce pas ?

Mais trêve de plaisanteries. Ne voit-on pas, dans les cercles de la conformité moderne, surgir l’hypothèse d’une conspiration dès que les événements leur déplaisent ? Il en est ainsi en particulier des résultats de votes, qu’il s’agisse de ceux d’un référendum, d’une élection ou d’un vote parlementaire. Ce genre de réaction a sa part d’ironie, chez des gens toujours prompts à dénoncer chez les autres des tendances conspirationnistes. L’exemple le plus récent en est le rejet par le sénat argentin d’une loi visant à légaliser l’avortement. La grosse presse européenne s’est étranglée de rage, évoquant à ce sujet la « pression » de l’Eglise catholique sur la société argentine, en particulier sur les sénateurs. Libération n’y est pas allé de main morte, parlant dans un article des « fachos » de l’Opus Dei[iii]. Voilà-t-il pas, bonnes gens, que les sociétés libérales sont menacées par un dangereux complot catholique mondial ?

Une vertu que l’on pourrait attendre des partisans de la légalisation de l’avortement ou de ceux qui considèrent cet acte comme un droit fondamental, c’est la cohérence. Or il y a fort à parier que la plupart de ces gens sont opposés à la peine de mort. Et ils sont ensuite capables de justifier l’avortement en prenant comme exemple le cas de femmes enceintes à la suite de viols. Un partisan assez dur de la peine de mort appliquerait volontiers celle-ci aux violeurs. Dans certaines sociétés aussi archaïques que violentes, ce sont probablement les femmes violées que l’on condamnerait à mort, tandis que nous les considérons évidemment comme innocentes. Eh bien, chez les progressistes, ce sont les enfants qui pourraient naître de viols que l’on se propose de condamner à mort. De tels enfants étant tout aussi innocents que leurs mères, en quoi cela vaut-il mieux que lapider celles-ci ?
Presque aussi incohérents sont ceux pour qui l’avortement est un scandale et la peine de mort une nécessité. Accordons-leur que le condamné à mort s’est, dans la plupart des cas et à moins d’une erreur judiciaire, rendu coupable d’un crime, un meurtre par exemple. Mais est-il nécessaire d’ajouter des morts aux morts ?
Ce genre d’incohérence est notamment présente chez quelques autoproclamés supercatholiques choqués par quelque récente mise à jour du catéchisme de l’Eglise catholique au sujet de la peine de mort. On trouve probablement parmi ces derniers des personnes atteintes d’une curieuse maladie nommé par certains bergogliophobie. Les plus gravement atteints en sont peut-être à s’imaginer que l’élection du pape François est le fruit d’un complot maçonnique. Que voulez-vous : à chacun son complot !


[i] Comme on disait au bon vieux temps.
[ii] Voir ici.
[iii] Voir ici.

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